
« Tôt ou tard, la vie s’en va. A peine a-t-on le dos tourné qu’elle s’en est déjà peut-être allée. Il nous faut donc veiller sur les morts, entretenir la flamme, faire en sorte qu’ils ne soient jamais oubliés. » Serge TOUBIANA
J’ai toujours été très sensible aux hommages posthumes qui évoquent, à l’heure où ils vont rejoindre l’humus ou ne vont pas tarder à entrer en combustion, des personnalités plus ou moins célèbres, afin de revenir sur qui elles étaient de « leur vivant » et louangeant (ou pas) le parcours de ces (chères ou chers) disparus(es) qui vont manquer ici-bas (ou pas).
Sans doute ma sensibilité vient-elle un peu d’un glorieux aîné Tunisien du côté de ma mère, au cimetière du Borgel à Tunis et ailleurs, qui en avait fait son métier, à la fois informationnel et poétique, accompagnant le défunt jusqu’à sa sépulture, soutenant les familles dans la douleur et gravant avec virtuosité des épitaphes qui rendaient grâce au Seigneur d’avoir prêté vie à l’être d’exception retournant à la poussière…
HOMMAGES
L’exercice moderne peut toutefois s’avérer irritant quand des louangeurs professionnels ou plus rarement des contempteurs patentés s’échinent à faire de la personne décédée un génie ou un bienveillant qu’elle ne fut pas (ou pas seulement). A contrario de s’empresser de débiner le mort, à peine froid, en dévoilant avec gourmandise des facettes du personnage qu’ils n’auraient jamais eu le courage de dévoiler de leur vivant…
A mille lieues de cela, le nouveau livre de Serge Toubiana, que j’ai rencontré pour la première fois de ma vie sur la ligne 9 du métro et à qui j’ai eu l’audace de demander s’il accepterait d’être interrogé dans mon podcast « Le Bonheur c’est Les Autres » (il a dit oui très vite), est sans conteste un petit joyau compilant les hommages du grand homme de cinéma qu’il est à des femmes et des hommes du « métier », ou plus généralement de la culture, sur une période de quarante ans.
De François Truffaut, son « frère en 7ème art » décédé en 1984, à Alain Delon et David Lynch morts en 2024 et 2025, Serge Toubiana se souvient, sur un mode chronologique, de tous ces gens plus égaux que d’autres… Il s’en souvient sans excès de zèle, mais avec des mots si justes et bienveillants qu’ils font souvent regretter de ne pas avoir connu de leur vivant les personnalités décrites.
A la clé, de magnifiques textes, ciselés avec l’art de l’écriture qui n’a jamais quitté le natif de Tunisie à l’enfance Grenobloise, monté à Paris pour vivre la formidable expérience des « Cahiers du cinéma » avant un grand nombre de postes à responsabilités (la Cinémathèque, Unifrance). Postes auxquels il faut ajouter des livres, des émissions et des documentaires télévisuels ou radiophoniques.
Cela l’a conduit, forcément, à croiser et à fréquenter, parfois dans leur sphère intime, toutes sortes d’acteurs et d’actrices, de réalisateurs et de réalisatrices, de producteurs(trices), d’écrivains, etc. Des Français, mais pas que…
Ces petites bulles de sourires ou de larmes qui tombent doucement sur nous sous la plume de Serge Toubiana sont faites souvent d’admiration, d’amour aussi (l’amour débutant toujours par l’admiration dont il partage la même racine).
Mais Serge Toubiana, qui a dévoilé le 30 avril l’ouvrage dans le Marais, à la librairie des Cahiers de Colette, avant de signer des autographes, a beau avoir un œil attendri pour les membres disparus de sa « deuxième famille », il n’en est pas moins juste et clair dans ses propos. Hors de question de passer sous silence quelques traits moins flatteurs ou douloureux, par peur d’altérer l’impression positive d’un personnage, à l’heure de son départ.
Jamais cependant aucun de ces départs ne lui fera aussi mal que celui de la remarquable écrivaine Emmanuelle Bernheim, qui partagea si longtemps sa vie (lire le bouleversant « Les bouées jaunes »). Elle est décédée il y a tout juste 8 ans (un 10 mai).
Force de vie et d’amour, Serge s’est remarié il y a quelques mois et m’avait dit, lors de l’enregistrement chez lui d’un épisode de mon podcast, combien il avait le trac. Tel un artiste qui va remonter sur scène après un très long intermède.
BONHEUR
Soyons clair : j’ai aimé « On ne connaît du film que la scène des adieux » – titre magnifique, sublimé par la photo de Catherine Deneuve sous un parapluie Cherbourgeois en 1964 face à Nino Castelnuovo.
Mieux que ça, j’ai adoré ! Pour la qualité des textes, je l’ai déjà dit. Pour le choix des personnalités, des plus connues et influentes aux plus discrètes. Pour ce subtil antidote aux temps actuels, marqués si souvent par l’hostilité et le mépris…
Le cinéphile nostalgique, l’amoureux des mots et des alchimistes des mots que je suis, ne pouvait être que touché au cœur par ce livre de 390 pages et plus de 80 portraits-hommages, paru chez Calmann-Lévy (1).
D’autant plus qu’aux Cahiers de Colette, Serge Toubiana m’a écrit une dédicace délicieuse et bouleversante… Déçu de ne pouvoir rester pour la soirée qui suivait, je rentrais chez moi par la ligne 11 du métro, les semelles légères et sans quitter le sourire qui avait commencé de se dessiner face au « Maître ». Je sortais de son sac en papier le livre et je commençais aussitôt la lecture « au hasard »… Je tombais sur « Gentleman Bernard Giraudeau (1947-2010) »… Ma lecture ne pouvait pas mieux commencer !
© Gérard Kleczewski
- « On ne connaît du film que la scène des adieux », de Serge Toubiana. Editions Calmann-Lévy. 390 pages. 21,50€.

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