Dès la première semaine, Sophie Chemla, franco-israélienne, s’est portée volontaire pour accompagner des journalistes dans le sud du pays, principaux lieux de la tuerie, ce qui a fait d’elle un témoin parmi les plus précieux: de Reim, où s’est tenu le Festival Nova, au Kibboutz Be’eri, en passant par Abu Kabir, l’institut médico-légal au sud de Tel Aviv, elle décrit dans “6h30, Le 7 octobre 2023” les découvertes effroyables, les mutilations, les tortures, les viols… l’horreur absolue, recensant jour après jour, tout en découvrant l’étendue du mal, les lieux et les gens qu’elle a croisés et interrogés.
L’intention
Le 7 octobre 2023, le monde entier a découvert en live le massacre perpétré dans le sud d’Israël par les brigades al Qassam, les troupes armées du Hamas. L’intention de ce livre n’était pas de décrire une fois encore les événements de cette journée. Plutôt de retracer et de retranscrire le fil émotionnel du point de vue israélien. (D)écrire comment chaque journée apportait son lot d’épreuves et l’impact laissé sur un peuple finalement peu connu (et donc peucompris) par le reste du monde.
“J’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire si je n’avais pas été en Israël au moment du massacre. En discutant avec mes proches restés en France, je ressentais leurs frustrations, leur peur et leur besoin incessant de recevoir des informations. J’ai voulu me faire le témoin direct des événements, et pour celà, j’avais besoin d’aller sur place et voir de mes propres yeux.
En parallèle, j’ai vite réalisé que les sentiments et les troubles que je ressentais étaient les mêmes pour tous les israéliens. Une tristesse inouïe, une volonté farouche de s’en sortir et de participer à l’effort national, et une colère grandissante face aux événements relégués à l’international. J’ai souhaité parler de notre réalité au quotidien, donner une perspective plus personnelle des israéliens, sortir du cliché de l’uniforme kaki et de l’arme en bandoulière. Parce qu’Israël et les israéliens, c’est tellement plus que ça.
Si au départ je m’adressais à ma communauté, souhaitant lui apporter le maximum d’éléments de réponse, aujourd’hui, face aux messages qui circulent sur la toile, aux mots hors contexte et tellement chargés de sens, et à l’incompréhension grandissante, j’espère que toute personne souhaitant comprendre le conflit pourra aussi y trouver des réponses et une vision que j’espère être objective”.
Primo Levi, l’antisémitisme, Sophie Chemla: “Qu’est-ce que j’aurais fait?”
Une citation de Primo Levi, le jour tragique du 7 octobre, et le face à face devant la page blanche amène l’auteur à se poser la question que nombreux nous nous posons: “Qu’est-ce que j’aurais fait ?”: Qu’est-ce que j’aurais fait si j’étais née dans les années 1920, si j’étais en âge de décider de mes actions àl’époque des purges antisémites du XXe siècle, au temps où des millions de juifs étaient menés vers les camps de la mort ? Est-ce que j’aurais suivi, pétrie de peur ? Est-ce que je me serais cachée ? Est-ce que j’aurais fui dans un autre pays quand cela était encore possible ? Ou bien aurais-je rejoint les mouvements de résistance, pour m’opposer à la fatalité et sauver ce qui était encore sauvable ?
C’est probablement la question que tout juif né après 1945 s’est posé à un moment de sa vie. C’est en tout cas celle que je me suis posée pendant longtemps, et depuis mon plus jeune âge. Terrifiée de ne pas connaître la réponse. Avec cette honte de ne pas pouvoir affirmer haut et fort que oui, je me serais rebellée si j’avais vécu à cette époque”.
En fin de journée du 7 octobre 2023 …
“En fin de journée du 7 octobre 2023, nous savions que nous ne serions plus jamais les mêmes. Pourtant, nous étions encore loin du bilan définitif et de la compréhension entière des événements qui s’étaient déroulés sur le sol israélien.
Les jours qui ont suivi ont tous été porteurs d’horreurs supplémentaires et de découvertes morbides. Les jours qui ontsuivi, le peuple israélien sombrait chaque fois un peu plus en état de choc.
Pourtant, les jours qui ont suivi ont aussi été les jours du rassemblement. Il n’y avait plus d’opinions politiques, plus de classes sociales, plus d’ambitions personnelles. L’heure était au rassemblement et à l’effort collectif”.
“Non, les juifs au début du XXIe siècle n’étaient pas paranoïaques“
Lorsque Arthur Schnitzler écrit “Vienne au crépuscule” en 1908, il fait dire à son personnage juif – “Non, nous ne sommes pas paranoïaques. Nous savons dans nos os, dans notre chair lorsque nous avons affaire à un antisémite. On sait aujourd’hui qu’il avait raison, et que non, les juifs du début du XXe siècle n’étaient pas paranoïaques”.
A partir de septembre 2000, de nombreuses associations luttent pour faire reconnaître l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme. Ils s’entendent répliquer “arrêtez d’être paranoïaques, ça n’a rien à voir”. On sait aujourd’hui que ces associations avaient raison, et que non, les juifs au début du XXIe siècle n’étaient pas paranoïaques.
“Je me réveille tous les matins avec la radio. J’ai toujours trouvé que c’était un bon moyen de reprendre ses esprits et de s’acclimater au jour nouveau.
Mais ces derniers mois, s’acclimater au jour nouveau c’est se souvenir à nouveau…
Comme la plupart des radios, celle que j’écoute fait un point info à chaque heure. Aujourd’hui : Lior Sivan, 32 ans, de Beit Shemesh, capitaine de réserve, officier du 363e bataillon de la brigade “Harel” est tombé au combat. Paix à son âme !
Tous les matins, de nouveaux noms. Tous les matins l’horreur absolue. Tous les matins une immense tristesse. Comment expliquer au reste du monde que chaque militaire tombé au combat, chaque victime de cette guerre sans fin est un coup de poignard dans notre cœur à tous. Nous connaissons le visage de chacun, leur nom, leur âge, leur ville d’origine, leur fonction s’il s’agit d’un militaire. Et si nous ne sommes pas directement liés avec chacun d’entre eux, nous partageons tous la peine et le déchirement de leurs proches.
Après les infos, c’est au tour des animateurs radio, qui font un peu partie de la famille, en tout cas de nos réveils. Ils commentent, échangent, et nous donnent la température. 75e jour. La route est longue les chéris”.
“Mon père, ce monsieur de 87 ans, n’a pas les outils pour appréhender ce qui vient de se produire le 7 octobre 2023”
“Il ne comprend pas. Il a 87 ans, il a vécu petit garçon les lois de Vichy depuis son Algérie natale, il a traversé la guerre de 62 en tant que militaire. Il a été témoin des différentes guerres qu’a endurées Israël. Mais ça, il n’ajamais vécu. Et ça le perturbe énormément. Ce monsieur de 87 ans qu’est mon père n’a pas les outils pour appréhender ce qui vient de se produire le 7 octobre 2023. Comme tout le monde, il a traversé des épreuves dans sa vie, il s’en est remis, il a réussi à avancer et à conserver son sourire légendaire. Mais cette fois, il est à bout de ressources. Et ça me brise le cœur de le voir tourner en rond dans sa cuisine, essayant de se souvenir ce qu’il était venu chercher.
Et puis, tout le temps que je reste chez lui, que j’essaie de lui parler et de maintenir une conversation, je remarque que pas une seule fois je n’arrive à saisir son regard. D’ailleurs, c’est une réflexion que je me ferai souvent à l’avenir, en croisant des gens dans la rue. On ne se regarde pas dans les yeux. Pas que nous ayons honte de quoi que ce soit. C’est juste trop difficile. Trop difficile de sortir de sa torpeur et de risquer de rencontrer celle des autres. De risquer de rencontrer l’âme meurtrie de ceux qui nous entourent”.
Sophie Chemla, l’Auteur
Franco-israélienne, Sophie Chemla, après de longues années au service de la sécurité de la communauté juive de France, part vivre en Israël : nous sommes en 2009.
Elle y démarre une carrière dans la high-tech, et évolue vers le consulting et la stratégie marketing de jeunes entreprises se destinant au marché international.
Dès le 8 octobre, comme des millions d’israéliens, elle se dédie à la hasbara, la communication au plus grand nombre des événements perpétrés en Israël.
Accédant de fil en aiguille aux différents lieux clefs du massacre, elle décide de se faire le relais de ce qu’elle découvre, tout d’abord via ce récit, puis en rejoignant l’équipe du réalisateur Pierre Rehov dans son nouveau documentaire, “Pogrom(s)”.
TJ
Sortie du livre 6h30, le 7 octobre 2023 sur les différentes market place d’Amazon, en format broché et kindle.
Le livre est désormais disponible en français et en anglais (Une version en hébreu est encours de traduction).
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