“7 octobre 2023, un crime sans nom”: le Film Témoignage de Jose Ainouz

Parti sur place parmi les premiers voir, analyser, témoigner, José Ainouz nous livre aujourd’hui “7 octobre 2023, un crime sans nom”, un documentaire qui tire son titre de la célèbre phrase que Winston Churchill prononça en 1941 pour qualifier les premiers crimes perpétrés par les nazis contre les Juifs.

Témoignages bouleversants de survivants, d’endeuillés, de secouristes et et analyses d’experts en psychanalyse, histoire, sociologie et philosophie croisent des images fortes toutes incontestables puisque toutes sourcées et souvent venues des captures des terroristes-mêmes, le tout se distinguant par une approche méticuleuse et défilant sous notre regard effaré mais in fine rassuré, l’ensemble devant servir de témoignage inébranlable pour l’Histoire bafouée par ceux qui nient, contestent, inversent, accusent, assurés qu’ils sont de détenir “la” vérité.

Là où d’autres ont choisi, eux aussi par le biais d’images d’archives et de témoignages d’experts, d’analyser les ressorts et les aboutissants du 7 octobre et de le nommer sans détour “pogrom”, José Ainouz, dans”7/10/23 Un crime sans nom”, s’il choisit lui aussi de montrer sans réserve et de donner la parole à des témoins de l’horreur et à des sommités, reste comme pétrifié et dans l’impossibilité de nommer l’indicible.

Les témoins auxquels il donne la parole sont tous des experts en leur domaine. Ils analyseront les ressorts du carnage, l’invasion étant d’emblée rendue dans toute sa spécificité par des images du Kibboutz Nir Oz Horreur qu’une bande-son accompagne, figeant dans l’esprit du spectateur ce basculement dans la vie d’Israël. Des appels téléphoniques aux plus proches se superposent, bandes-son eux aussi, à ces images de bêtes et d’humains fuyant, épouvantés, vers on ne sait où, le Festival de Reim devenu cimetière précédant avec éloquence et justesse une carte où, estampillés en rouges, figurent les points de massacres : “28”, précisera Georges Bensoussan. Reim, Kfar Aza, Nir Oz, Sderot, autant de  noms qui nous deviendront tragiquement familiers, d’images violentes et Ô combien nécessaires pour dire la réalité et ses conséquences plurielles.

Les “preuves”

Des témoins, pour la plupart habitants ayant subi dans leur chair le crime ou ayant perdu un enfant, un père, alterneront avec des universitaires, professeurs en santé mentale, Psychiatres, Historiens, qui commenteront la chose et ses conséquences, affirmant tous la trace indélébile laissée, l’équilibre mental à jamais fracassé, mais encore combien tout cela était le vœu de Hamas : à défaut d’éradiquer la terre d’Israël, déséquilibrer tout un peuple, le faire vivre en état de peur constante. 

Un photographe de Kfar Aza explique que les caméras filmant à 360 degrés montraient en direct l’étendue de l’attaque : Bombes Tanks Armes automatiques à l’intérieur du kibboutz.  

Tous décrivent l’état de choc. La peur. “C’est l’holocauste à Nir Oz”, dit celle-là, citant les derniers mots au téléphone de sa fille, autiste, qui sera exécutée avec sa grand-mère. Tous disent leur stupéfaction et leur prise de conscience d’une attaque qui ne ressemblait en rien aux alertes coutumières: ils sont devant l’inconcevable.

Des ballets d’ambulances des secouristes du Hatzalah, lesquels, comprenant qu’il ne s’agissait pas d’une attaque typique, créent eux aussi une carte de l’événement tout en dressant, sous les attaques de drônes, des hôpitaux de fortune : un spectacle inouï alternant avec des images de Kfar Aza où l’armée retrouve pêle-mêle hommes, enfants, animaux,  membres découpés, spectacle macabre, géré tant bien que mal sous les tirs continus et  venus de partout.

“Combien de terroristes”, se demandent tous ? Des milliers, secondés par un bon millier de civils palestiniens. Un enregistrement capté nous montre une colonne de 8 chars se dirigeant vers Ashkelon et opérant un demi-tour  en apprenant la tenue, non loin, d’un festival à  Reim, promesse de profusion de jeunes filles…

Des images du Festival battant son plein alternent avec celles d’une invasion cauchemardesque venue du ciel, de la mer, de la terre, créant  un monde disloqué soudainement : autant d’images qui défilent sous le bruit des kalach, les cris de panique des festivaliers, ceux des secouristes hurlant à la recherche d’un signe de vie : “Ô My God”, entend-on, suivi de moult “Allah Ouakbar”, et de ces scènes montrant les prises d’otages, le sang, les corps figés, ce missile qui s’abat sur une maison, ce long couloir de sang guidant le cameraman et le spectateur: la langue française, si riche, se révèle brutalement au linguiste comme n’ayant pas prévu les mots adéquats. 

Une mère interrompt un recueillement sur une tombe et raconte l’appel désespéré d’un ado duquel elle apprendra qu’il a été mitraillé puis brûlé avec ses amis.

L’espace du Festival devenu Mémorial, Visages des défunts, Seuls du rouge et du noir, des corps alignés dans des sacs, autant de scènes qui ponctuent sobrement le documentaire, cette sobriété étant une des caractéristiques remarquables du film. Un Responsable de Zaka parle d’”un cauchemar jamais vu”, de cette foultitude de voitures  desquelles seules restent les carcasses calcinées. De “l’indescriptible”. “L’indicible”. Leur mission : d’abord repérer “les encore vivants cachés”, puis ramasser les corps. Les morceaux à reconstituer, ces familles attachées par un lien grossier avant que d’être brûlées ensemble. 

Venu de Be’eri, un appel de Dror à sa fille: “We lost connexion”. Elle recevra plus tard une video l’informant de l’exécution de son père lui aussi brûlé vif avec son épouse: “Il a cru en la paix. En la cohabitation. C’est déchirant. Comment être une mère et la fille d’un otage, d’un père exécuté ainsi”, nous dit-elle. Ce père depuis Nir Oz rappelant la video où son fils, au bout de 202 jours de captivité, lisait sous l’ordre de ses geôliers la lettre appelant à un accord. Cet autre, passé lui aussi à l’exercice sadique de l’appel-video, a été retrouvé au bout de 231 jours dans le puits d’un tunnel avant que sa dépouille revienne sur la terre d’Israël. Les visages des Bibas apparaissent à l’écran, celles de leur enlèvement monstrueux de sauvagerie, mais aussi celles de ces jeunes filles arrachées et jetées dans un camion après avoir été tâtées animalement par des mains qui souillent le sacré, … le tout au milieu des youyou.

Une ex-otage tente de raconter ce qu’elle a vécu à Gaza, transportée avec une partie de ses enfants d’appartements en appartements, ces cinq semaines dans l’un d’eux, ces 8 jours dans un tunnel, sans médicaments, dans le noir, sans hygiène, dans l’humidité, ans eau, avec “ordre d’être Happy” : “nos ravisseurs nous protégeaient de la férocité de la foule, dormaient à côté de nous”, cette présence 24 heures sur 24, nos vies entre leurs mains, Radio gaza, parfois les infos du soir, seul lien avec la réalité, ces discussions improbables sur les racines du conflit. “Pour eux nous étions des assassins”.

Mais aussi ces rencontres au gré des déplacements avec des soldates blessées depuis 50 jours, violées, cette impossibilité d’appliquer dans les tunnels les règles en vigueur dans nos sociétés. Qui étaient ceux qui les gardaient ? Étaient-ce des groupes formés à la chose…

Cet autre responsable de la sécurité du kibboutz Magen demandant en vain dès l’infiltration des gilets en céramique mais seules seront fournies des armes de fortune, des M16,  pour contrer les mitrailleuses et les roquettes RPG. Un travail d’équipe distribué par les Responsables de la défense fera cependant que Magen aura repoussé l’attaque, avec 2 victimes au total… Un petit miracle venu aidé un sang-froid qui nous laisse cois.

Que ce soit à Kfar Aza ou à Be’eri, sont narrées la course et les heures suffocantes, figés dans le maaman, sans eau ni lumière, “52 heures”, dit celui-là, sous les tirs automatiques incessants, le bruit des bombes, les incantations à Allah, elles-mêmes parsemées de références haineuses à “tuer les Yahoud”.

Enfin, l’allégresse, la jouissance perverse et pathologique des assassins qui filment leurs forfaits, si elle nous plonge au cœur de l’horreur, nous contraint à une interrogation insupportable lorsqu’elles sont suivies des derniers mots à leurs proches de ceux qui savent qu’ils vont mourir : “Papa, Ne cherche pas la vengeance” , ou encore ce père qui raconte s’être battu avec une idée fixe : que ses enfants ne le voient pas user d’un couteau . Comme dans “La Vie est belle”.

Les analyses

Alors qu’un spécialiste en trauma, psychanalyste Professeur en psychopathologie, suivi de l’Historien Georges Bensoussan, commenteront  l’exhibition de la cruauté : “L’islam veut terroriser les juifs, c’est toute une stratégie, propre à l’islam. Le juif doit baisser la tête”, le philosophe Bruckner évoquera la symbolique de l’existence de l’Etat d’Israël confrontée à cette déflagration : “Ce n’est pas un combat à la loyale, c’est un massacre à l’arme blanche, au viol, avec des décapitations, des égorgements”, et Richard Prasquier parlera de cet “Israël invincible et ayant la solution à tous les problèmes  soudain pourtant mis à bas”.

“Il ne s’agit en rien de quelque chose d’impulsif, pulsionnel, qui serait le fait de gens révoltés, mais d’un acte préparé depuis longtemps, les atrocités perpétrées sur les bébés coupés en deux devant leurs parents, ces femmes et hommes éventrés, ces embryons extraits, ces tortures en face de proches : tout a été écrit, planifié, programmé”, commentera Wolkowicz, suivi de Bensoussan pour qui d’évidence “3000 terroristes infiltrés dès 6h30 depuis 28 points, cela témoigne d’un acte prémédité depuis plus d’une année”.

Alors que Michel Gad Wolkowicz se demandera comment on pouvait nommer la chose, fruit de cette jouissance perverse qu’il qualifie à raison de “jouissance incestueuse de mort” lorsqu’il rappelle cette scène où un criminel, exhibant ses mains en sang, jouit avec sa mère de son exploit, Boualem Sansal évoque “la barbarie inimaginable, abominable pour les Palestiniens”.

Georges Bensoussan revient sur cette zone à la frontière, la plus dangereuse qui soit, où les futures victimes vivaient pourtant en sérénité, ignorants de ce qui se  fomentait et était pensable au vu de l’éducation à la haine et à l’éradication du juif dispensée, cette forme “d’autisme” à croire inexistant ce qu’ils ne voyaient pas :  “Mis à part quelques localités à Sderot, ils ont attaqué des kibboutz de gauche, si ouverts au dialogue, emmenant se faire soigner leurs voisins, cohabitant avec les Palestiniens auxquels ils fournirent sans le savoir tant et tant de renseignements précis : Le traumatisme c’est le rappel aux Israéliens qui vivaient dans une bulle de sécurité, couverts par l’armée la plus experte qui soit, pris en traitres par un ennemi qui ne veut pas les vaincre mais les éradiquer. C’est la caractéristique du 7 octobre : cette volonté d’éradiquer ces nuisibles de la surface de la terre. D’où cet acharnement contre les corps qu’il fallait démembrer”.

Ce psychiatre évoquant les conséquences: suicides, désir de mort, enfermement des rescapés : “ils ne sont pas là. Ils vivent sans vivre”. La panique . Le sommeil disparu. La vie sous médication. L’anxiété. La nervosité. Les séjours en psychiatrie. Ces dépressions. Ces dépersonnalisations. Cet état de sidération. Ces larmes. Cette perte de confiance en soi et en tout. Ces cauchemars. Ce professeur en santé mentale explique que ce trauma-là s’est surajouté aux autres traumas. 

Pour Georges Bensoussan tout cela dit “l’énorme frustration sexuelle d’une société arabe, dans laquelle le viol est une façon de dire aux juifs de rester à leur place de dhimmis: le viol est une arme essentielle d’humiliation disant au dhimmi qu’il n’aurait jamais dû sortir de sa condition”.

Le jour d’après?

Alternent en final les images résultant du travail admirable de “Bring Theim Home Now” : “Arshav !” Partout dans le pays et au-delà, ces affiches sur les monuments, Espaces publicitaires des media, Cette table du shabbat dressée en attente du retour, ces manifs, ces chants, ce “Arshav”.

“Israël est en grand trauma car il n’a pas réussi dans sa mission de protéger les siens. Il doit apprendre demain à négocier avec la société palestinienne qui n’est pas le Hamas et existe bien ! Tous les Palestiniens ne se reconnaissent pas dans l’hyper violence du Hamas”, conclura pourtant Georges Bensoussan qui, après avoir pointé “cette volonté arabe de renvoyer le juif à son statut de dhimmi et d’exterminer les nuisibles de la surface de la terre”, nous exhortera néanmoins à ne pas confondre … le peuple palestinien avec le Hamas.

Place au générique, avec une mise à l’honneur de la musique d’Avishaï Cohen et de la chanson, “Shuvi Elae”, créée par Itamar Gilad. Ce “kaddish pour le 7 octobre” d’Erella Atlan. Ces mots de José Ainouz au Forum des Familles des otages et au Kibboutz Nahshonim.

C’est José Ainouz auquel nous voulons dire notre gratitude pour ce film qui devra être montré, soutenu et porté le plus largement possible.

Sarah Cattan


Les réalisateurs ont besoin d’être soutenus financièrement


José Ainouz

J’ai réalisé, dans les 10 dernières années, plus de 15 documentaires sur l’art et les  conditions de vie du peuple Dogon au Mali , les orphelins de la Shoah en France, les juifs noirs du Nigeria,  les motos-ambulances d’Hatzalah à Jérusalem pendant les attentats et mon dernier film est le portrait d’un historien français : Georges Bensoussan.

Liens pour visionner 3 films 

Attentions aux enfants, les orphelins de la Shoah

https://vimeo.com/manage/videos/157927249

Georges Bensoussan, un historien. Le prix de la liberté

https://vimeo.com/manage/videos/389997242

Les juifs noirs du Nigeria 

https://vimeo.com/manage/videos/151289696


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2 Comments

  1. Merci Sarah pour ce pitch de notre ami commun José ; hâte de voir son film ; 1ère projection initialement prévue lors de la journée nationale du 7 octobre 2024, mais finalement annulée par le CRIF !!! Bizarre !!!

    • Bizarre? Bien plus encore dirais-je: si nos représentants ne soutiennent pas ces documentaires, autant ne plus jamais compter sur eux… Je ne veux même pas y croire. Peut-être un retard? Un report? Nous réagirons très, très fortement si ce n’était pas le cas.

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