Sur le chemin de Damas. Par Francis Moritz

Quoi de commun entre le changement opéré par Saül qui devient Paul, sur le chemin de Jérusalem à Damas ?

Une explication nous est proposée, selon la tradition chrétienne :

« Trouver sa voie », c’est-à-dire renoncer à ses anciennes idées et en adopter de nouvelles », c’est cela dont il s’agit ici.

L’UE a suspendu ses relations avec Damas depuis 2011, au début de la guerre civile qui a fait des centaines de milliers de victimes, de disparus, de suppliciés dans les geôles du régime, millions de déplacés dans leur propre pays, de réfugiés par millions dont près de 3 millions en Turquie. Le 24 juillet dernier, le président syrien a été reçu par W. Poutine, son allié et soutien. Le président russe veut essayer de rétablir les relations entre Damas et Ankara. Ce qui le renforcerait dans sa stratégie actuelle au Moyen Orient, où l’axe Iran-Russie prospère. Côté UE, les choses bougent. L’Italie, la Grèce, l’Autriche, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie se sont adressés au Haut Représentant pour la politique étrangère, Josep Borrell, en vue de « réexaminer et réévaluer » l’approche de l’UE vis à vis de la Syrie. 

Fin juillet, l’Italie, aussi membre du G7, a annoncé son intention de rétablir ses relations avec Damas, sans attendre le retour de J. Borrell. La ligue Arabe avait réintégré Damas en mai 2023. Ce rétablissement des relations diplomatiques se traduirait pour les victimes par une deuxième mort. Elles seraient sacrifiées sur l’autel des intérêts des États. Pas ou très peu de démarches de l’ONU, aucun pays n’intervient sérieusement auprès de la Cour Pénale Internationale. On préfère Israël manifestement. L’intérêt soudain de la Turquie s’explique par son anticipation d’un éventuel retrait des forces américaines encore présentes en Syrie, dans l’hypothèse de l’élection de D. Trump. Mais rien n’est moins sûr lorsqu’on sait que moins de 70% du territoire est contrôlé par le régime. La Turquie -au prétexte de protéger son territoire, notamment parce qu’elle fait la chasse aux Kurdes, assimilés à une organisation terroriste, qui est sous la protection des Américains- occupe une large bande le long de sa frontière avec la Syrie. Le Nord-Est reste aux mains de divers milices qui s’y affrontent régulièrement. La Russie, de son côté, conserve une alliance avec une autre milice kurde syrienne (Unité de protection du Peuple) contre l’avis d’Ankara, on ne sait jamais ce qui peut se passer et puis, ça permet de ne pas déposer ses œufs dans le même panier.

Oui mais,

Alors pourquoi vouloir reprendre le chemin de Damas ?  Certains diplomates en mal de cause à défendre et autres hommes politiques avisés, en mal d’actions humanitaires qui sous-tendent l’aspect économique, imaginent que le moment est venu de penser à la reconstruction du pays, à la mise en place de financements. C’est la condition nécessaire mais pas suffisante pour permettre le retour d’une importante partie des exilés partout en Europe et des trois millions parqués en Turquie, financés à date par l’Union Européenne à raison d’un budget de l’ordre de 9 milliards d’euros par an. Ce qui ne peut être engagé qu’avec la participation et la volonté du pouvoir en place. C’est ce que les diplomates chevronnés appellent « tourner la page » et « construire l’avenir » : ce faisant, on en finirait par oublier que le chemin qui part de Damas est parsemé, non pas par de petits cailloux, mais des pilules de CAPTAGON. Ce qui fait de la Syrie un narco-état. Avec cette particularité assez unique sur la planète et certaine au Moyen Orient que c’est l’état qui en est le producteur. 

Le changement de pied opéré par la Turquie est aussi lié aux difficultés accrues du régime turc devant la contestation croissante de la population en raison de la présence des réfugiés, alors que le pays s’enfonce dans une crise économique sans précédent. Poutine fait pression sur Erdogan, membre de l’Otan, pour éventuellement obtenir une diminution des sanctions. En vue de masquer son échec face à la crise interne, le président turc a entamé une gesticulation belliqueuse et haineuse contre Israël, laquelle est ressentie comme faible par la population qui considère que c’est le traitement réservé aux réfugiés (avec le financement de l’UE) qui est la cause de la crise actuelle.

On est encore loin d’un accord entre Damas et Ankara, car le chemin de Damas est semé d’embuches. La Syrie souhaite le départ des troupes turques qui contrôlent sa frontière. Ce qui ne se fera pas demain en raison de l’incapacité du régime à contrôler cette partie.

Tous ceux qui s’indignent, s’insurgent, se répandent en superlatifs, seulement quelques minutes après avoir reçu l’information du « ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas » selon laquelle Israël auraient provoqué la mort de centaines de Gazaouis, devraient d’abord contrôler l’information, ensuite s’indigner beaucoup plus et plus fort à l’examen des chiffres connus de la guerre civile en Syrie.

Selon les organismes connus dont la Commission des droits de l’Homme, depuis 2012 quatre-vingt-quatre civils meurent chaque jour en lien direct avec les combats.

Dès 2022, cette Commission évaluait le nombre de victimes à plus de 300.000 depuis 2011. Ce qu’écrit l’ONU à ce propos :

Il est critique que nous fassions le meilleur usage des (chiffres établis) afin de reconnaitre et d’honorer les victimes de ce conflit.

Les survivants, parents, pères, mères, enfants apprécieront.

À ce jour, le nombre de victimes oscille entre 500.000 à plus de 600.000. Près de la moitié de la population (21 millions au début de la guerre) est déplacée dans son propre pays, dans des zones contrôlées en partie par les troupes gouvernementales ou par des milices sous contrôle de la Turquie, de la Russie, de l’Iran, les groupes terroristes encore présents. En juin 2023 le Haut-Commissariat des réfugiés de l’Onu recensait 5,3 millions de réfugiés ou demandeurs d’asiles, dont un large groupe parqué en Turquie. On peut comprendre pourquoi l’UE agit peu pour apporter une solution politique, pendant qu’elle finance des camps en Turquie. Elle a adopté la même solution avec la Tunisie, autre pays dont les méthodes démocratiques sont bien connues, avec les résultats que l’on sait. 

Alors si l’on résume la situation actuelle, un pays membre de l’OTAN, la Turquie, dont la majorité des Européens sont membres, ainsi que huit pays de l’UE, souhaitent reprendre les relations et un, l’Italie, a déjà pris sa décision comme membre du G7.  Ce qui reflète l’absolue absence de consensus dans les organisations en question. Comment l’UE, forte de ses 27 pays, d’un Haut Représentant aux affaires étrangères, peut-elle ne pas parler d’une seule voix et accepter de renouer des relations avec un Etat-voyou et narco trafiquant et en même temps traiter Israël, état démocratique, comme le dernier des parias ? 

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme “Bazak”, en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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3 Comments

  1. Faut-il rappeler qu’en Syrie Obama et Hollande ont financé des groupes islamistes (nullement modérés) ?
    Faut-il également préciser que la Turquie est un régime islamiste ayant commis ou favorisé d’innombrables crimes de guerre ? Et accessoirement pro Hamas…
    Des qu’on rappelle les faits, le narratif de l’ONU, l’UE et l’OTAN s’effondre comme un château de cartes.

  2. Synthèse pertinente. L’UE est un appendice de l’ONU sur le plan diplomatique et “droits de l’homme” sélectifs, gangrénée par l’esprit de gauche consensuel qui diabolise d’une manière insolente Israël. La normalisation des relations avec les états voyous est la maladie des démocraties occidentales.

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