Yana Grinshpun et Fadila Maaroufi. Les marches contre l’antisémitisme en France et en Belgique : sont-elles encore utiles ?

La marche du 12 novembre 2023 à Paris © Lionel Guericolas / MPP/SIPA
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Nous voudrions dans ce texte, proposer une analyse des marches successives contre “l’antisémitisme” qui se sont tenues à Paris et à Bruxelles à l’intervalle d’un mois. Il est écrit à la troisième personne, ce qui peut sembler inhabituel ; nous y avons croisé nos propres expériences et nos analyses. Que le lecteur nous pardonne cette hybridation stylistique !

Les phénomènes idéologiques qui provoquent les actes de haine doivent être combattus, personne dans notre société ne peut le contester. Rappelons le contexte dans lequel les marches dans les deux grandes villes européennes se sont tenues. Le 7 octobre, l’organisation terroriste islamiste Le Hamas, l’émanation des Frères Musulmans dans sa version la plus radicale, a attaqué les civils israéliens sur leur sol, en tuant, violant, mutilant, et filmant les meurtres comme preuves de la déshumanisation totale de l’ennemi juif et sioniste. Malgré la persistance de certaines voix publiques qui essaient de présenter le Hamas comme un parti politique, il est nécessaire de comprendre que le Hamas est d’abord et avant tout une émanation d’une idéologie religieuse musulmane ultra-radicale, un mode de vie, une mentalité qui contrôle tous les secteurs de la vie de ses citoyens depuis le berceau. Les crèches, les écoles, les colonies de vacances, les universités, les mosquées, la culture sont les lieux où l’on enseigne la haine des Juifs et a fortiori des Israéliens. L’extermination de ces derniers est inscrite dans le Projet du Hamas, illustré par la charte de 1998 et celle de 2017. Le 7 octobre a eu lieu la tentative de réaliser le Plan. Qui fut bien plus grandiose que ce que le monde a pu voir, selon les informations obtenues à ce jour. Israël devait être détruit entièrement, ce qui n’est pas arrivé uniquement à cause des problèmes d’organisation internes du Hamas et du Hezbollah.

Les Israéliens ont répondu à ces attaques, en décidant d’en finir avec l’existence du Hamas, qui régnait en maitre à Gaza, élu en 2006 à 75% de voix. La guerre que mène Israël est une guerre existentielle, celle qui touche à la survie d’un peuple, confronté pour la deuxième fois consécutive en cent ans, à la tentative d’extermination. 

Parallèlement à la défense d’Israël, nous avons assisté en Europe et aux Etats-Unis à l’augmentation fulgurante des actes antisémites, dont le nombre ne fait que s’élever. Comme si l’attaque du Hamas a donné le feu vert à une haine jusqu’ici retenue. Comme si le fait que les Juifs israéliens ne se sont pas laissé abattre et ont défendu la vie de la nation, en décidant d’écraser l’ennemi comme pendant la deuxième guerre mondiale les alliés ont écrasé les Nazis, a tellement énervé les antisémites européens qu’ils sont passés à l’action aussi. 

Ces passages à l’acte en Europe ont provoqué les réactions indignées de nos concitoyens respectifs, Juifs et non-Juifs, hommes et femmes politiques, des honnêtes gens, des démocrates, des républicains, respectueux de l’altérité, de la liberté et de la loi. Une marche contre l’antisémitisme a eu lieu à Paris, le 12 novembre et à Bruxelles, le 10 décembre dernier. 

C’est de la nature de ces marches et des discours entendus pendant et après les marches que nous voudrions proposer quelques réflexions. 

  1. Les marches n’ont-elles vraiment rien à voir avec le soutien à Israël ?

Nous avons souvent entendu que ces marches n’ont rien à voir avec Israël tant des hommes politiques que des participants, dont certains se sont exprimés sur les plateaux télé.  Des commentaires sur le compte Facebook de Fadila Maaroufi l’exhortent de ne pas “faire l’amalgame” entre les Juifs et Israël. A Bruxelles. A Paris, on a fait remarquer à Yana Grinshpun qu’il ne fallait pas “amalgamer” les Juifs français ou les Français juifs avec Israël.  Mais la réalité de la manifestation et les discours au sein de la foule manifestante démentent ces dires. Les gens qui portaient les drapeaux israéliens à Paris exprimaient leur soutien au peuple juif, soit parce qu’ils appartenaient à ce peuple, soit parce qu’ils exprimaient leur soutien au peuple entier dont les membres sont agressés violemment où qu’ils soient. En plus, beaucoup de citoyens français juifs sont également citoyens d’Israël. Nier ce lien, en affirmant que lorsque l’on marche contre l’antisémitisme, cela n’a rien à voir avec Israël, est soit une naïveté, soit une mauvaise foi, soit tout simplement une peur d’être associé au mal absolu qu’est Israël dans les yeux d’une certaine élite politique.

Si à Paris, des drapeaux israéliens ont émaillé çà et là la marche, à Bruxelles, aucun drapeau israélien n’a été autorisé. Fadila Maaroufi, une rare personne issue de la culture musulmane, est arrivée à la marche avec un drapeau d’Israël. Un geste fort et symbolique dont la signification semble échapper à beaucoup de gens. Pour un musulman, tenir un drapeau israélien relève du “haram”, de l’interdit, d’un blasphème. Maaroufi a expliqué de nombreuses fois dans des entretiens donnés que son geste s’adresse non seulement aux Juifs dont les destins sont inséparables du peuple d’Israël, qu’ils le veuillent ou non, mais aussi à la communauté musulmane pour leur montrer qu’ils peuvent faire de même.

Par ailleurs, il n’y a pas pire pour les islamistes que la “fitna” (la division) contre un ennemi. En l’occurrence “l’ennemi sioniste”. Les membres de l’Oumma sont censés tenir le même discours, avoir la même position afin d’éviter le doute. Un “vrai musulman” n’a pas d’autre choix que de tenir le même discours que l’ensemble de l’Oumma, même s’il va à l’encontre du respect des droits de l’Homme.  Si Fadila Maaroufi est venue avec le drapeau d’Israël, c’est aussi pour donner un signal fort aux musulmans qu’ils peuvent ne pas écouter les préceptes de l’Oumma.

Cependant la “fitna” ne touche pas uniquement l’Oumma, elle est aussi visible au sein de la communauté juive. Et cela est réjouissant pour les islamistes. C’est ainsi que l’Union des Progressistes juifs de Belgique (UPJB) a contribué à la division des “marcheurs”, en annonçant vouloir marcher contre l’antisémitisme, mais séparément, car, selon les progressistes, il fallait protester contre “tous les racismes” et contre “l’extrême droite” et pas seulement contre l’antisémitisme, comme si les actes antisémites étaient la manifestation du racisme en général, et commis par l’extrême droite. Le problème est que faisant cela, ce n’est pas le “jeu de l’extrême droite” que l’UPJB a joué, mais bien le jeu des islamistes !

 Le problème majeur aujourd’hui est l’explosion de l’antisémitisme partout dans le monde. En accusant les organisateurs de la marche et en les pointant du doigt comme “extrême-droite”, formule magique pour désigner le diable en personne,  l’UPJB a essayé de discréditer l’entreprise salutaire. Rappelons que l’UPJB compte par exemple des figures comme Henri Goldman, qui travaille de près avec Farida Tahar, administratrice du collectif contre l’islamophobie en Belgique. Cette dernière a réussi   à dévoyer la manifestation bruxelloise contre le massacre de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher en manifestation contre islamophobie[1]

Presque tous les signes d’appartenance au judaïsme (religion et culture) étaient peu visibles, voire effacés à Bruxelles. En guise d’humour, l’étoile de David était présentée comme un cornet de frites. Ce détournement dont le but était de montrer l’assimilation du judaïsme à la culture belge aurait été drôle, selon Fadila Maaroufi, s’il ne s’agissait pas de protester contre les agressions réelles subies par des gens uniquement parce qu’ils appartiennent à la culture juive. 

C’est ainsi qu’un policier a demandé à Fadila Maaroufi de ranger son drapeau israélien en précisant que seuls les drapeaux belges sont autorisés. Un manifestant, témoin de la scène, demandait au policier pourquoi les drapeaux du Hamas ne sont pas interdits lors des manifestations pro-palestiniennes.  Il a demandé aussi pourquoi lors de la marche contre les violences faites aux femmes, les drapeaux de la Palestine étaient exhibés en très grand nombre, malgré l’objet de la manifestation qui n’avait rien à voir avec la Palestine ?  Le policier avait répondu qu’il n’était pas au courant. On ne peut pas le lui reprocher.  

De surcroît, le policier avait demandé à Fadila Maaroufi une carte d’identité et a pris des photos comme si elle avait commis une infraction. 

A la lumière de ce que nous observons lors des manifestations pro-palestiniennes avec des appels violents à “libérer la Palestine” et les drapeaux palestiniens, l’interpellation de Mme Maaroufi, l’absence générale de réaction des marcheurs sur cette interdiction incongrue est un signe de la soumission des Belges et des Juifs belges à la doxa ambiante, contaminée par la peur irrationnelle d’être assimilée au spectre de “l’extrême droite”. 

Nous pensons au contraire que le désir d’effacer le signe juif de la marche à Bruxelles et l’acceptation de cet effacement par les Belges et par les Juifs ne peut que réjouir les islamistes et leurs alliés. Fadila Maaroufi, par son geste, a voulu lever le sceau de l’interdit, montrer que l’étoile de David et le drapeau d’Israël sont des symboles d’une grande culture qui ne peut ni ne doit être piétinée, qu’un musulman peut également le porter avec fierté, comme le font des musulmans en Israël. De nombreux musulmans n’approuvent pas les cris de haine antijuifs, mais ne se permettent pas de le dire ouvertement, à de rares exceptions près, comme l’imam Chalghoumi ou Mohammed Sifaoui. La peur de soutenir les Juifs ne peut que légitimer les crachats, le piétinement ou les autodafés réguliers organisés par les ennemis des Juifs et d’Israël. Être juif, être Israélien n’est pas une insulte, il l’est seulement pour Houria Bouteldja et ses sbires.  Nier le lien de l’antisémitisme islamiste avec l’existence d’Israël, c’est être soit aveugle, soit complètement soumis. 

Et c’est làoù toute l’hypocrisie des décisionnaires belges de cette interdiction saute aux yeux. Joël Rubinfeld rappelle dans son discours prononcé sur la tribune bruxelloise que l’augmentation des actes antisémites (1000%) est le résultat du “conflit là-bas” et pas d’un antisémitisme surgi ex nihilo.  Rubinfeld a également rappelé “les trois D contre Israël” dont parlait Nathan Sharansky, le célèbre opposant anti-soviétique, qui a passé neuf ans au Goulag pour le crime impardonnable d’être sioniste. Délégitimation, Double standard et Diabolisation, pratiqués en Occident tant par l’extrême droite que par l’extrême gauche.  Il est donc curieux qu’on y ait parlé d’Israël, mais que les drapeaux   aient été formellement interdits. 

Dans les manifestations palestiniennes, où se font entendre des slogans génocidaires “From the river to the sea, Palestine will be free” (“de la mer au Jourdain libérez Palestine”), les slogans qui appellent à libérer Israël des Juifs, on voit majoritairement les drapeaux palestiniens en France, quelques drapeaux français, portés notamment par les membres du PCF. En revanche, on n’a pas vu de drapeaux belges lors des manifestations pro-palestiniennes en Belgique. La réponse qu’on entend déjà est que les manifestations pro-palestinienne soutiennent la Palestine et qu’il est donc normal que seuls ses drapeaux soient visibles. Mais ne serait-il pas de très mauvaise foi de nier le fait que le drapeau d’Israël ne symbolise pas uniquement Israël, mais le peuple juif, qui en est inséparable ? Faut-il penser que Mohammed Merah fut plus honnête que ceux qui nient le rapport des Juifs à Israël ? Nous rappelons ici qu’il disait qu’il tuait des Juifs en France, parce que les “mêmes” Juifs tuent en Palestine. Pour lui et pour ses successeurs, ce rapport est clair. Comme il l’est pour de nombreux Juifs attachés à Israël pour des raisons historiques et spirituelles. Pour nous aussi, avoir peur de le reconnaître, c’est réduire l’efficacité des marches et montrer leur détachement des vraies causes de l’antisémitisme en hausse. 

Nommer les antisémites

L’idéologie est toujours une production de “on”, ce n’est pas un acte d’expression des individus solitaires. L’antisémitisme n’existe pas sans antisémites, et ses formes contemporaines sont mis en acte par des profils bien connus.  Certes, marcher contre une abstraction, sans nommer les metteurs en acte est une action qui fait sens, cela réconforte les gens tant dans le sentiment de leur unité pour une cause juste, mais cela donne surtout un signal fort de la peur de nommer les véritables acteurs d’actes antisémites. 

Alors qui est antisémite ? L’extrême gauche a été pointée du doigt par J. Rubinfeld, et à juste titre. Ce dernier a bien précisé que l’antisémitisme se cache derrière le discours des droits de l’Homme. Il a été également beaucoup dit sur l’extrême droite, sans préciser de quoi on parle, car l’extrême droite antisémite ce n’est pas celle du RN, qui n’a d’extrême que l’épithète accolé par les médias. Même si l’antisémitisme d’un Soral et de ses suiveurs en France est indéniable, comme l’est celui de l’extrême droite fasciste en Belgique, rappelons qu’il reste très minoritaire et n’est pas meurtrier, comme l’est l’antisémitisme islamiste, celui qui a mené à la mort des Juifs en France et en Belgique. 

Or, dans son discours, en s’adressant aux manifestants, J. Rubinfeld et d’autres organisateurs n’ont p mentionné ni l’islamisme, ni les musulmans radicaux qui prennent les Juifs pour cible depuis des décennies. Il en était de même à Paris. Tout s’est passé comme si l’importation culturelle de l’antisémitisme amenée par une immigration massive et que les Juifs belges vivent quotidiennement, n’avait pas lieu, comme si la haine d’Israël n’était pas pratiquement la seule cause complètement partagée par tous les mouvements adverses du monde, le point de ralliement et d’unification de l’Oumma. Comme si Nemmouche et Merah n’existaient pas, comme si le dernier acte terroriste à Paris, commis par un radicalisé iranien n’avait pas expliqué qu’il tue ici, parce que “les Palestiniens sont tués là-bas”. Comme si celui qui a agressé le 12 décembre un couple à Paris, dans le 17ème arrondissement en criant Allah Akbar était un lapon d’extrême droite. Comme si l’agresseur d’une institutrice à Champigny était un tchèque ou un Japonais. L’antisémitisme est inscrit dans l’ADN de l’islamisme, il est lié à la vindicte antijuive inscrite dans le Coran et mis au centre de l’idéologie islamiste radicale, pas seulement celle des Frères Musulmans et des autres mouvements islamiques. La grande majorité des actes antisémites en France et en Belgique, notamment après le 7 octobre, mais aussi avant, est commises par des musulmans radicaux. L’antisémitisme est inscrit dans l’ADN de l’islamisme, il est lié à la vindicte antijuive inscrite dans le Coran et mis au centre de l’idéologie islamiste radicale.

Cette omerta sur un phénomène archi-étudié, et même tout simplement constaté par tout le monde, est une erreur. Ne pas nommer les antisémites, c’est se soumettre à la loi de silence, ne pas prononcer des mots de soutien à Israël, c’est trahir la mémoire des Juifs morts le 7 octobre et ceux qui continuent à mourir en défendant leur pays et la vie de ceux qui marchent ici contre des abstractions. Dans leur message, des gens ont remercié Fadila Maaroufi de venir, mais personne ne l’a remerciée d’avoir eu le courage et surtout la lucidité de brandir le drapeau du pays qui se bat pour son existence et pour l’existence paisible des marcheurs dont certains exhortent le « pas d’amalgame ». Sans Israël, personne n’osera marcher nulle part. 

Pour changer un peu de Camus, citons, pour terminer les propos de Brice Parain :

“Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur du ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine sera de ne pas servir le mensonge”.

© Yana Grinshpun © Fadila Maaroufi



Notes

[1] https://cclj.be/article/mahinur-ozdemir-farida-tahar-et-freres-musulmans-a-bruxelles/


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