La cicatrice portée par le peuple juif a été rouverte à vif le 07 octobre dernier par le massacre de ma famille à Beeri et celui de toutes les victimes

Corps rassemblés au kibboutz Beeri. Le 11 octobre 2023. © AFP

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“On est seul jusque dans sa propre solitude”. “Écrire”, M. Duras

Dans le deuil si difficile que le peuple juif porte collectivement et face au regain des actes antisémites partout dans le monde, la solitude domine. Il est difficile d’aller vers les autres et de les laisser venir vers soi. C’est quand les autres sont là, avec soi, que cette citation prend tout son sens.
Dans toute sa violence, c’est trois ans plus tard que cette phrase me revient. Je me sens seule en tant que juive, et cette solitude persiste alors même que je la partage avec ma famille et mes amis de confession juive. Seulement, je refuse ce dicton qui dit que les malheurs de la vie enseignent l’art du silence. Le silence, ami de la solitude, doit être rompu. Alors j’ai écrit.
Voici quelques mots qui m’ont occupé l’esprit ces derniers jours.

Il y a plus de deux semaines maintenant, les habitants de Beeri ont été massacrés. Massacrés. Parmi eux, une partie de ma famille maternelle. II aura fallu près de dix jours pour que leurs corps soient identifiés. Dix jours d’attente insupportable avant d’avoir la confirmation de leur mort. Le 07 octobre 2023, Shoshana, Mayana et Noah ont été assassiné par le Hamas. Leurs enfants ont perdu père, mère et grand-mère en un instant. Arrachés à la vie parce que Juifs. Oui, Juifs et non pas simplement Israéliens.

La violence et la nature des attaques à Beeri font de celles-ci un pogrom.
Les pogroms, c’est ce que vous avez étudié au lycée au détour d’un chapitre d’histoire, vous vous souvenez peut-être des pogroms de Kichinev ou encore de la Nuit de Cristal le 09 novembre 1938. C’est ainsi que nous nous souviendrons du 07 octobre 2023 à Beeri, une journée où hommes, femmes et enfants furent assassinés parce qu’ils étaient juifs.

Nous voilà à plus de 4000 km d’eux, un sentiment d’impuissance grandissant, sans cesse sur nos téléphones à attendre des nouvelles. Depuis 2 semaines, j’ai l’impression de vivre dans une réalité alternative, décalée de tout. À la maison, c’est le silence du deuil, les pleurs de ma mère, ceux de ma sœur et les miens, les pleurs de mes cousins au téléphone depuis Jérusalem, comme ceux des enfants de Mayana et Noah lors de leur enterrement.
Assister à 3 enterrements en 2 jours, sur zoom. Voilà ce que nous avons fait cette semaine. Voilà la réalité que nous vivons.
Dans le silence de ce deuil impossible à faire, celui de ma famille et de toutes les victimes du terrorisme, il y a le bruit assourdissant des réseaux sociaux. Mon fil d’actualité est devenu un champ de bataille, chacun postant à la vitesse des informations reçues, autrement dit en continu. J’ai quitté Instagram pendant quelques jours. J’avais besoin de silence, incapable d’encaisser plus d’images, plus d’informations, plus de mots. Tout était trop violent.

Et dans la folie de cette guerre de communication, il faut porter le deuil sans trop faire de bruit, pour rapidement condamner haut et fort la politique de Netanyahu en soutien au peuple palestinien, au risque d’être immédiatement pointé du doigt comme anti-humaniste. Votre indécence est sans nom.
On m’a demandé pourquoi je me suis désabonnée des comptes de certains “amis” participant aux manifestations pro-palestiniennes.
Pourquoi ? Parce que celui qui soutient vraiment le peuple palestinien s’oppose autant au gouvernement israélien actuel qu’au Hamas, celui qui poste fièrement une photo de lui à ces manifestations poste aussi une photo pour dénoncer les dérives antisémites de ces rassemblements. Le cas échéant, cela ne fait d’eux que des complices, volontaires ou non, de cet antisémitisme.

IIs ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas : les tags anti-juifs Place de la République, les slogans infâmes criés aux quatre coins du monde tels que “gas the jews” en Australie, une rabbine poignardée à mort à Detroit, et j’en passe, en sont la preuve. Par équivalence, vous ne verrez jamais de tels actes anti-musulmans à une manifestation en soutien à Israël.

Il est évidemment légitime de porter la voix du peuple palestinien, cependant cela n’est pas synonyme de nier l’existence d’Israël et refuser au peuple juif le droit de disposer de lui-même. Vos mots sur Israël ont un impact sur les Juifs du monde entier. La violence de vos propos à l’égard d’Israël, le seul pays juif du monde par ailleurs, participe de la violence et du regain d’actes antisémites. Que vous le vouliez ou non, c’est la réalité. C’est notre réalité.

Je parle de cette réalité dans laquelle ma mère m’a demandé de retirer la mezouza à l’entrée de chez moi, celle où j’ai dû changer mon prénom sur Uber, celle où je répète chaque jour à mon petit frère de ne surtout pas dire qu’il est juif à l’école et de fuir toutes les discussions sur Israël pour qu’il ne soit pas pris à partie. Cette réalité dans laquelle une amie m’apprend qu’elle ne peut plus aller en classe car un étudiant, admirateur d’Hitler, appelle à finir la “solution finale” sur ses réseaux sociaux. Oui, vous avez bien lu.
En somme, une réalité où rester caché devient synonyme de sécurité. Si ça ne vous rappelle rien, sachez que pour nous, Juifs, c’est le souvenir douloureux de la Shoah et de ses 6 millions de morts qui refait surface.

Je suis allée à Auschwitz-Birkenau, je suis allée à Majdanek, je suis allée à Sobibor, je suis allée dans la forêt de Zbylitowska Góra, je suis allée dans tous ces endroits où il ne reste que nos recueillements face à l’horreur des conséquences d’un antisémitisme décomplexé et politisé. Il m’a fallu des années pour me remettre de ce voyage commémoratif et saisir l’ampleur de cette cicatrice portée par le peuple juif.
Cette cicatrice a été rouverte à vif le 07 octobre dernier par le massacre de ma famille à Beeri et celui de toutes les victimes.
Plus jamais, c’est maintenant.

© Ava

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