Entretien Alexandre Devecchio-Alain Finkielkraut pour Le Figaro: “La France insoumise n’est plus rien d’autre que la France soumise à l’islam radical”

GRAND ENTRETIEN – L’opération menée par le Hamas montre à quel point Israël reste vulnérable, constate le philosophe et académicien, qui s’inquiète de l’avenir de la région et des répercussions en France à l’heure où l’extrême gauche refuse de condamner les attaques terroristes contre l’État hébreu.

LE FIGARO. – Comment qualifiez-vous la tragédie vécue par Israël actuellement ? Parler de guerre n’est-il pas une manière de relativiser les faits dans la mesure où le Hamas s’en est pris à des civils ?

Alain FINKIELKRAUT. – Le but du droit international n’est pas de mettre fin à la guerre – comment le pourrait-il ? – mais de l’encadrer, de la domestiquer, de la civiliser. Pour le Hamas cette domestication n’a aucun sens. L’organisation, qui règne d’une main de fer sur Gaza, ne fait pas de différence entre les soldats et les civils : tout Israélien, homme, femme, enfant, vieillard est un ennemi, et tout ennemi un criminel à éliminer.

Ce ne sont pas seulement des milliers de roquettes qui se sont abattues sur le pays. De véritables pogroms ont eu lieu en guise de guérilla urbaine dans les villes et les kibboutz du sud d’Israël or, « plus jamais de pogroms », c’était et c’est toujours le « plus jamais ça » d’Israël. Comme l’a écrit Wladimir Rabi : « Nous ne pouvons pas oublier. Nous n’oublierons jamais. Nous avons été la balayure du monde. Contre nous, chacun avait licence. »

Si guerre il y a, s’agit-il toujours d’un simple conflit territorial ou le Hamas mène-t-il une forme de djihad ?

Le Hamas a toujours joué cartes sur table. Sa charte est explicite : « La Palestine qui s’étend de la Jordanie à l’est jusqu’à la Méditerranée à l’ouest est une terre islamique arabe. C’est une terre sacrée et bénie qui a une place spéciale dans le cœur de chaque Arabe et de chaque musulman ». Au principe « la paix contre les territoires » le Hamas oppose la reconquête par la guerre sainte de tous les territoires occupés par les sionistes. Il n’a jamais dévié de cette ligne. Après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, une campagne d’attentats suicides a conduit à l’élection de Benyamin Netanyahou. Après le retrait de Gaza, le Hamas a renversé l’Autorité palestinienne et, au lieu d’offrir une vie décente aux habitants de l’enclave, s’est lancé dans une guerre à outrance contre Israël. Il a sacrifié le bien-être des Gazaouis à la poursuite du djihad. Le camp de la paix ne s’en est pas relevé.

En cela, ce conflit s’inscrit-il dans une forme de choc des civilisations qui concerne tout l’Occident ? Si certains observateurs ont comparé cette attaque à celle d’octobre 1973, d’autres ont fait la comparaison avec le 11 Septembre ou le Bataclan…

On ne peut pas manquer de faire le lien entre « la double razzia bénie » sur New York et Washington, la tuerie du Bataclan et les attaques perpétrés par le Hamas sur le sol d’Israël. Cette violence n’est pas une réponse aux crimes de l’armée israélienne ou à la colonisation rampante de la Cisjordanie. C’est l’occupation de Tel-Aviv, de Haïfa, de Beersheba qui constitue un crime aux yeux du Hamas. Pour comprendre ce qui se joue, il faut reconnaître l’importance du facteur religieux dans le monde musulman. Depuis la révolution islamique en Iran et la défaite soviétique en Afghanistan l’islam est redevenu un sujet politique à part entière. La fierté renaît avec le sentiment de faire à nouveau l’histoire. Ce n’est pas le désespoir qui conduit de jeunes Palestiniens à la radicalité, comme l’affirment encore, impavides, certains éditorialistes, c’est la force intrinsèque de l’islamisme. Il s’agit aussi pour le Hamas et pour l’Iran d’empêcher le rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël, de torpiller les accords d’Abraham, et plus généralement, de mettre les dirigeants musulmans qui sont tentés de choisir la voie de la modération en porte-à-faux avec leurs peuples.

Pour en revenir à une analyse moins globale, cette attaque a tout de même été une surprise, y compris pour l’État hébreu. Celle-ci révèle-t-elle les fragilités d’Israël, non seulement sur le plan extérieur, mais aussi intérieur ?

Israël a beau être une « start-up nation », les opposants à la réforme judiciaire ne sont pas des « anywhere » mais des patriotes révoltés à l’idée que les ultras orthodoxes puissent être dispensés de leurs obligations militaires. Il serait faux de croire que cette division paralyse Israël. Face à l’horreur les citoyens sont unis et tous les réservistes sans exception répondent à l’appel.

Dans son livre, Ma terre promise, le journaliste Ari Shavit explique qu’Israël est la seule nation occidentale qui occupe le territoire d’un autre peuple et la seule qui est menacée dans son existence. Il nous invite à ouvrir assez grands les yeux pour voir « le périmètre intérieur du conflit dans lequel un Goliath israélien se dresse au-dessus d’un David palestinien et le périmètre extérieur où un Goliath arabo-islamique se dresse au-dessus d’un David israélien ». Les attaques du Hamas ont révélé le lien entre le David palestinien et le Goliath arabo-islamique. Sans l’appui militaire et logistique de l’Iran, une telle opération n’aurait pas été possible. Même avec une armée puissante et des services de renseignements performants, Israël est vulnérable.

Benyamin Netanyahou et une partie de la société israélienne n’ont-ils pas fait preuve d’aveuglement en pensant repousser éternellement la question palestinienne ? Croyez-vous que cette tragédie puisse pousser, in fine, les acteurs du conflit à trouver enfin une solution pérenne ?

Des manifestations en Iran, au Yémen, en Turquie, au Liban, en Cisjordanie, ont salué l’exploit du Hamas. Malgré les images atroces ou plutôt à cause d’elles, on a héroïsé les pogromistes, on a mis les lyncheurs au pinacle. Ces réjouissances obscènes portent un coup mortel à la paix. Le parti Force juive d’Itamar Ben-Gvir est né en réaction au retrait de la bande de Gaza ordonné par Ariel Sharon et confronté au tout ou rien du Hamas, il a beau jeu de dire qu’il n’y a pas de partenaire pour un compromis territorial.

Comment après ce massacre – plus de 900 morts, 2600 blessés, une centaine d’otages qui vont servir de boucliers humains – les Israéliens pourraient-ils se retirer de la Cisjordanie et accepter la création d’un État palestinien qui mettrait le pays tout entier à portée de missiles et de pogroms. Le statu quo est funeste pour la société israélienne comme pour les Palestiniens mais la seule chance qu’une solution pérenne voie le jour, c’est la défaite de l’islam radical et sa mise hors d’état de nuire.

Rétrospectivement, l’ancien premier ministre Ariel Sharon a-t-il eu raison d’ordonner le retrait unilatéral d’Israël de la bande de Gaza?

Ariel Sharon voulait même aller plus loin jugeant indispensable ce qu’il appelait lui-même des painful concessions et il pensait au démantèlement d’un certain nombre d’implantations en Cisjordanie. Son accident cérébral l’a empêché de mener à bien ce projet, mais c’était devenu son intention car il avait tardivement compris que l’occupation mettait Israël en danger. Et nous venons de le voir avec ces événements terribles. La barrière de sécurité a été franchie avec une facilité déconcertante par les terroristes du Hamas parce que des unités de Tsahal avaient été transférées en Cisjordanie pour protéger les colons. La situation est vraiment tragique. Israël ne peut pas rétrocéder aujourd’hui la Cisjordanie et en même temps le maintien de l’occupation fait souffrir les Palestiniens et affaiblit Israël.

Le conflit semble déjà avoir des répliques en France où le ministre de l’Intérieur a décidé de protéger les synagogues et les écoles juives. Que révèle cette décision et craignez-vous pour la sécurité des Juifs en France ?

En 2004, le doyen de l’équipe d’inspecteurs chargé de faire un rapport sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les écoles a interrogé un groupe d’enseignants qui évoquaient le départ de leurs élèves juifs. « Pourquoi sont-ils partis ? » leur a-t-il demandé. « C’est simple, lui fut-il répondu, ils n’étaient pas assez nombreux pour se défendre. » Dans les quartiers qu’on appelle populaires depuis que l’ancien peuple et les anciens immigrés en ont été chassés, certains se réjouissent à n’en pas douter de « la razzia bénie » sur Israël. Israël a été créé pour assurer la sécurité des Juifs et maintenant les Juifs de la diaspora sont en danger du fait d’Israël. Cette situation ne les éloigne pas de l’État juif, elle le leur rend d’autant plus précieux, d’autant plus cher.

Mais les lendemains seront difficiles. Quand la riposte de Tsahal prendra toute son ampleur, on peut craindre que l’esprit et la pratique du pogrom ne gagnent la France et d’autres pays européens.

Dans ce contexte, que pensez-vous de la non-condamnation des attaques par l’extrême gauche ? Assiste-t-on à une extension du domaine de l’islamo-gauchisme ? La gauche doit-elle faire entendre plus nettement sa différence, voire mettre en œuvre une sorte de cordon sanitaire à l’égard des Insoumis ?

LFI a osé qualifier le carnage auquel nous venons d’assister d’« offensive armée des forces palestiniennes menée par le Hamas ». Le pogrom à grande échelle devient donc une guerre en forme et même une guerre juste qui répond avec les moyens du bord à la politique coloniale d’Israël. Voilà où conduisent l’antisionisme et l’opportunisme électoral de l’extrême gauche. Tout est bon, même la judéophobie, pour conquérir et conserver les voix du nouveau peuple. La France insoumise n’est plus rien d’autre que la France soumise à l’islam radical. Alexis Corbière et François Ruffin qui ne se reconnaissent pas dans cette dérive doivent impérativement partir ou reprendre la main et, sous peine de se déshonorer, le reste de la gauche doit prononcer sans tarder l’acte de décès de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale. On nous tympanise avec l’antifascisme et le retour des vieux démons au moment même où un antisémitisme qui n’a plus rien à voir avec Hitler se répand parmi nous.

© Alexandre Devecchio © Alain Finkielkraut

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/alain-finkielkraut-on-peut-craindre-que-l-esprit-et-la-pratique-du-pogrom-ne-gagnent-l

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3 Comments

  1. Mr Finkielkraut , il y a bien longtemps que les israeliens normaux ont compris qu un etat arabe de plus sera une dictature terroriste ……comme les autres .
    L armée genocidaire iranienne est au Liban, a Gaza , dans le Golan syrien, seuls des ânes suicidaires imaginent qu on pourrait les faire venir au bout des pistes de l aeroport BG .
    Israel est un timbre poste , c est une bande de sable de 20 km de large au niveau du sharon et nous ne tolererons pas une armée de tueurs a nos portes .
    Preoccupez vous plutot de la future implosion islamo gaucho mafieuse qui guette la France , faible , lache et soumise .

    • Finkielkraut a ce côté de beaucoup d’intellectuels qui ne voient pas le danger à sa porte. Vous avez raison T amouyal de parler de faiblesse de lâcheté et de soumission de la part des gens qui gouvernent la France mais toute la population française ne partage pas ce point de vue et cette politique qui ne lutte pas contre le nazislamiste .

  2. La France Soumise n’est rien d’autre qu’une vitrine des indigènes de la République, mouvance néo nazie et suprémaciste pro Hamas ayant pour objectif l’extermination des Juifs et des Blancs. Exactement comme BLM dont le parti de Joe Biden (qui est dans une large partie de ses sympathisants comparable à la FI, le militarisme en plus) est également une vitrine. Grande-Bretagne, Canada, Belgique etc…même schéma. Donc Alain Finkielkraut pas plus que les autres ne s’avère capable de nommer les choses. Melenchon et Obono sont des fascistes purs et durs : ils sont meme encore plus haineux et dangereux que Jean-Marie Le Pen et Dieudonné ou Soral. Pour ne pas voir que la FI est un parti fasciste, mes contemporains doivent avoir…

    Pour le reste, il a raison : au Moyen-Orient, le parti de la paix n’a plus aucune crédibilité : l’idee de la création d’un État palestinien doit définivement etre écartée. Et en Europe des pogroms antisémites peuvent être commis demain à Londres ou Paris. Et avec la bénédiction de nos gouvernements et de l’UE qui font tout pour que cela se produise.

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