Le Thriller de l’été. “Liquidation à Pôle Emploi”. Judith Bat-Or

Ces cent mètres sont interminables. Vos Laulau, vos Zaza, Hugo ?! Vos Laulau, vos Zaza ?! Il rumine son erreur. Grossière ! Impardonnable ! Ça va ! Ça va ! Je sais ! Pas la peine d’en rajouter. Cent mètres interminables. Sous la loupe de cette Laulau. Il sent le poids de son regard. Ses yeux accrochés à son dos. Deux sangsues assoiffées, avides de lui sucer son âme, de la vider de ses secrets. Dégage, vieille peau, y a rien à voir ! tempête-t-il en lui-même. S’obligeant, pour donner le change, à marcher d’un pas mesuré. Le pas de la conscience tranquille. 

Cent mètres interminables, sous la coupe de cette folle. Cette créature malfaisante lui a jeté un sort. Pour l’empêcher d’avancer, d’arriver au bout de la rue, de disparaître de sa vue, d’échapper à son influence. Il avance en apnée, comme au fond d’une piscine où lumière, son, espace se distordent, se distendent. Une seule réalité subsiste, cette distance à parcourir jusqu’à la surface, jusqu’à l’air, la liberté de respirer, sa voix cognant contre son crâne, au rythme de ses mouvements, exagérément lents : Vos Zaza. Vos Laulau. Vos Zaza. Vos Laulau.

Il reste quelques mètres jusqu’au coin de la rue. Encore un dernier effort. Et… Ça y est, il a tourné ! Franchi le cap fatidique ! Il continue sur sa lancée. Marge de sécurité. Enfin, il sort la tête de l’eau, exhale une sourde plainte. Suffoquant, il se plie en deux, cherche son souffle. Ouf ! ça va mieux. Puis il s’accroupit un instant au milieu du trottoir. Son sang reprend son cours. La peur a reflué. Déjà, son erreur éclatante a perdu de sa netteté. Sa colère s’adoucit. Il plaide l’indulgence. Et se l’accorde, grand seigneur. Il a un faible pour lui-même. Surtout que vu les circonstances, il s’en est plutôt bien tiré. 

***

Quelle hargne ! Quelle hostilité ! Cette violence de Hugo, retenue, mais à fleur de peau, a laissé Laurence pétrifiée par une sensation de danger. Incapable de bouger, elle l’a regardé s’éloigner, de son pas assuré. L’a-t-il réellement menacée ? Ou a-t-elle faussement interprété ses gestes, mimiques et intonations ? Extrapolant au gré de son imagination. Qui lui a déjà joué plus d’un tour de cochon. Pourtant, pas cette fois, non. L’impression de danger résiste à son examen. Dangereux, le fils de Zaza ? 

Et, tout à coup, ça l’a frappée. « Vos Laulau ! Vos Zaza ! » Le choc de la révélation l’a extirpée de sa torpeur. Ah, c’est comme ça, mon salaud ! Désormais, en état d’alerte, elle a attendu, impatiente, qu’il tourne au bout de la rue. Lui qui s’était déclaré si pressé d’aller travailler a mis un temps interminable pour parcourir à peine cent mètres. Après qu’il a disparu, elle a retiré ses chaussures, sans trop savoir pourquoi, et couru derrière lui, sur la pointe des pieds. Finalement les chaussures, c’est pas si con comme invention, a-t-elle réalisé en s’écorchant sur des cailloux.

Au coin de la rue, elle s’arrête. Passe la tête de l’autre côté, en mode détective privé. Hugo, accroupi, presque en boule, se berce d’avant en arrière. Au loin, un ado attardé – la trentaine flasque, jogging, baskets, la casquette à l’envers – approche en chaloupant, les mains enfoncées dans ses poches. Il mâche son chewing-gum, l’air blasé. Dès qu’il remarque Hugo, pourtant, il accélère le pas, et arrivé près de lui, se penche en avant, prévenant.

« Ça va, mec ? » demande-t-il.

Hugo se relève d’un bond, comme un diable à ressort, et s’éloigne à fond de train sans une parole ni un regard. Un beau salaud, conclut Laurence. Qui ne s’en étonne pas. Elle le connaît déjà assez pour ne pas l’apprécier. 

« Enculé ! » conclut quant à lui la grosse brute au grand cœur. 

Laurence n’aurait pas mieux dit.

En tout cas, mon salaud, tu nous caches quelque chose, résume-t-elle en se rechaussant, résolue à découvrir quoi.

Elle n’imaginait pas en prenant cette résolution, parvenir aussi vite à une solution. En effet, un instant plus tard, alors qu’elle traverse la rue, dans l’autre sens, vers sa voiture, la vérité lui apparaît. Mais oui ! évidemment ! Laulau, t’es un génie ! Elle a percé le mystère. Et va immédiatement tirer cela au clair.

© Judith Bat-Or

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