Charles Baccouche. Israël en crise?

Depuis que le gouvernement de Netanyahou, issu d’une majorité relative, a lancé la réforme de la Cour suprême et que des manifestations de l’opposition menée par Yair Lapid enflamment les grands villes d’Israël pour contester la validité de cette réforme, des opinions diverses et hétérogènes animent un débat étrange. On va de la chute de la démocratie israélienne à divers coups d’états, voire pire.

La Cour suprême serait devenue le garant ultime de la légalité des lois votées par la Knesset, (le Parlement), mais dans ce cas, le Pouvoir Judiciaire domine le Pouvoir législatif, que les Constitutionnalistes appellent “le Gouvernement des Juges”.  

Il faudrait que ce contrôle nécessaire s’exerce par une institution  indépendante au regard d’une Constitution, norme suprême de la hiérarchie des Lois. 

Cette réforme violerait le principe d’égalité fondement de la démocratie, les droits des minorités. On convoque les plus hautes autorités diplomatiques, les spécialistes de droit constitutionnel pour justifier ces alarmes, agitées mais sans véritable fondement.

Certains décrètent même qu’Israël serait à la veille d’un “coup d’état constitutionnel” sans craindre l’outrance de cet oxymore. On ose même redouter “la disparition pure et simple du pays”. C’est à qui sera le plus prévoyant, le plus savant, le mieux informé et moins on connait le pays et plus on exprime des avis définitifs. La médiocratie règne en maitre sur les médias et les supposés experts de géopolitique.

Ces supposés Sachants parlent à profusion de “la démocratie israélienne” en danger, la seule du proche et moyen Orient (sic), de la trahison de l’idéal des premiers sionistes qui aurait bâti un état démocratique libéral et égalitaire. 

Hélas, le pays, répètent-ils, se dissout dans “l’apartheid” et un racisme qui suffisent à le discréditer sans réserve.  On s’interpelle, on s’interroge, on s’approuve les uns les autres, on renchérit dans l’air du temps qui est à l’humanisme-humanitaire, devenu produit de consommation courante pour dénigrer Israël et vouer son gouvernement aux gémonies. 

En fait, on applique sans sourciller des concepts européens de droite et de gauche (extrêmes, d’ailleurs, comme il se doit) qui sont sans application au Proche orient.

Mais ont-ils vu, ces contempteurs, les milliers de drapeaux agités par tous les manifestants de “droite” et de “gauche”, les ont-ils vu flotter partout dans les rues, aux fenêtres, sur les routes, au-dessus des voitures?

Ils ne s’en soucient pas, enfoncés qu’ils sont dans leur petite passion d’apparaître et paraître.

Pour tenter de rétablir de simples vérités : 

– Il est si vrai qu’Israël est un État Juif que les sionistes les plus socialistes se nomment eux-mêmes sionistes, qualificatif dont la racine est Sion qui est l’Histoire, la mémoire et le cœur d’Israël au sein de la Judée.

– Faut-il rappeler que l’O N U, en 1947, a consacré la naissance d’un État juif et d’un État arabe, qui ne fut jamais proclamé par la volonté même des arabes.

– Qu’Israël a dû affronter toutes les guerres déclenchées par les États arabes et le terrorisme arabe, avant que par la magie de l’Egyptien Arafat surgisse de nulle part un “peuple palestinien” revendiquant une terre que nul n’avait revendiquée durant les centaines de siècles précédents.

-Que sur la portion congrue qui lui fut reconnue, Israël a reçu et intégré des milliers d’immigrants, de rescapés des camps de la mort, de réfugiés des pays arabes. 

Israël est en crise depuis sa naissance : En effet, par souci d’égalité et de liberté qui a été si longtemps refusée aux Juifs, le gouvernement de l’indépendance a pris les deux mesures les plus démocratiques qui soient, mais dont les effets pervers expliquent la crise institutionnelle qui secoue le pays.

La première fut d’instaurer un mode de scrutin intégralement proportionnel et de considérer tout le territoire comme une seule circonscription.

La seconde fut de renvoyer dans un futur évanescent la création d’une Constitution.

L’adoption d’un mode de scrutin proportionnel sans aucun aménagement a conduit mécaniquement à l’émiettement des forces politiques, si bien que jamais un parti politique israélien n’a obtenu la majorité absolue de 61 sièges sur les 120 au parlement monocamérisme d’Israël. 

Le professeur Duverger a parfaitement exposé les effets négatifs d’un système électoral apparemment parfait, car il respecte le principe d’égalité entre les citoyens, mais dont l’application extensive se révèle nocive.

Le mode de scrutin proportionnel non seulement disperse les voix des électeurs entre diverses tendances mais aussi confère un effet de loupe qui profite aux petits Partis, lesquels seront sur-représentés au Parlement (Knesset).  Ces conséquences sont aggravées par le fait que le pays est une circonscription unique.

L’absence de Constitution et d’une Chambre haute pour atténuer la toute-puissance de la Chambre basse à l’image de la Grande Bretagne, où la Chambre des Lords contrebalance la Chambre des communes, ou de la France qui connait la navette entre le Parlement et le Sénat, prive Israël d’un Organe de contrôle du respect des principes fondamentaux du droit.

Il en ressort qu’Israël fonctionne depuis sa naissance sans Constitution et sans majorité stable susceptible de soutenir l’activité gouvernementale.

Il convient d’en conclure que les crises successives relèvent de ces carences, alors que la population en 75 ans est passée de six cent milles à neuf millions d’habitants, composés de dizaines d’origines différentes, une forte minorité arabe, dont une partie s’est intégrée et une partie persiste dans l’irrédentisme.

L’absence de politique à long terme, la paralysie de toute évolution du conflit israélo arabe, les pénuries qui affectent les villes du Sud et la pauvreté envahissante dans les villes de développement, alors que le pays prospère et s’enrichit de ses réalisations industrielles et technologiques, sont directement liées à la faiblesse des Institutions de la Nation.

La réforme judiciaire que le gouvernement de coalition, Netanyahou réélu sans majorité conséquente, veut mener est de nature à priver la Cour suprême d’une partie de ses pouvoirs exorbitants, qui empiètent sur les deux autres Pouvoirs. En effet, Montesquieu le disait élégamment, la garantie qu’un Etat reste démocratique réside dans la séparation des trois Pouvoirs : Exécutif, Législatif, Judiciaire.

Il faut savoir que jusqu’en 1993, la Cour suprême ne disposait que de pouvoirs de recours des décisions juridictionnelles.

Elle régulait  la jurisprudence des juridictions inférieures, comme en France le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.

A partir ce cette époque, en l’absence de contrôle de la légalité des lois votées par la Knesset, la Cour suprême s’est arrogé ce Pouvoir. Sa propension à étendre sa compétence au contrôle de la légitimité des lois votées par la Knesset ignore le principe de la séparation des Pouvoirs et mine les fondements de la démocratie.

Les partis politiques israéliens n’ignorent pas les causes des crises d’Israël, mais d’une part tous sans exception profitent du mode de scrutin proportionnel intégral, tous bénéficient de la manne qu’ils reçoivent en fonction l’importance de leurs représentations à la Knesset, et d’autre part, le peuple conserve un attachement puissant aux principes vertueux des débuts de la jeune Histoire d’Israël : Une  démocratie intégrale, égalitaire et une liberté sans entrave.

Les premiers dirigeants ont  confisqué le Pouvoir jusqu’à la grande désillusion de la guerre de kippour d’octobre 1973, où les Nationalistes libéraux sous la conduite de Menahem Beguin emportèrent les élections en 1977 et signèrent la paix avec l’Egypte en 1979.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les vainqueurs ont succombé aux démons de la démocratie fondée sur le vote ultra égalitaire de la proportionnelle intégrale, et ont dû composer avec les petits partis  pour constituer des coalitions viables. 

Grave est cette crise, mais elle est salvatrice car elle force Israël à prendre conscience  des défis majeurs qu’Il doit affronter : Assainissement des Institutions, lutte contre la pauvreté navrante de couches importantes du pays, lutte contre la délinquance meurtrière dans les communautés arabes, et conte le terrorisme des «  Palestiniens » et celui, extérieur, de l’Iran et de ses supplétifs du Hizbollah et du Hamas.

Ces dangers n’empêchent pas Israël de poursuivre son développement économique ni de développer ses innovations technologiques, tout en continuant à recevoir des milliers d’immigrants des tous les pays du Monde et de les intégrer en son sein.

Ces observations démontrent qu’Israël est un État jeune, en crise de croissance.

Il reste que l’existence d’Israël reste un souci pour nombre de gens et de pays qui ne peuvent concevoir qu’un si petit peuple survive aux coups terribles de son Histoire depuis l’antiquité, et s’autorise l’audace de rebâtir son Etat après 2 000 ans d’errance.

                                                                       © Charles Baccouche

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3 Comments

  1. La phrase clé de cette article est la suivante : « Il faudrait que ce contrôle nécessaire s’exerce par une institution indépendante au regard d’une Constitution, norme suprême de la hiérarchie des Lois. »
    Effectivement. Comme, à qq détails près, en France, aux USA et ailleurs.
    Il faudrait donc une CONSTITUTION.

    MAIS que fait-on lorsqu’il n’y en a pas ?
    Sachant qu’il n’y a pas de Constitution en Israël vu que les « pères fondateurs », Ben Gourion en premier, reculèrent devant cette tâche dès 1948 et jusqu’à aujourd’hui.
    Vu que cela risquait la sécession des « religieux » (plutôt les ultra-orthodoxes) pour lesquels la Constitution existe depuis toujours ; inutile d’en écrire une, disent-ils ; puisque c’est la « Thora d’Israël » et RIEN ne saurait la supplanter, encore moins l’améliorer.
    A cela ajoutons l’absence en Israël d’autres pierres angulaires de la démocratie telle que pratiquée ailleurs : une « chambre haute » (Sénat), une limitation du nombre des mandats du dirigeant (deux mandats de quatre ou de cinq ans comme en France et aux USA), « Conseil Constitutionnel » etc….

    Israël remplace, tant bien que mal, ces lacunes structurelles de son système par deux institutions :
    – La Cour Suprême de Justice, censée être puissante et indépendante au point de retoquer des lois votées qui lui semblent contraires aux principes fondateurs « démocratiques ».
    – Les conseillers juridiques au gouvernement, nommés indépendamment des ministres qu’ils conseillent au point d’annuler certaines de leurs décisions.

    Tout ça met des juristes, en principe non-élus, en position de supériorité au-dessus des parlementaires et ministres, en principe élus. Cela est présenté par les initiateurs de la réforme judiciaire proposée actuellement comme anti-démocratique.

    La « réforme judiciaire » proposée actuellement (et pour l’instant gelée vues les oppositions farouches qu’elle génère, en Israël et ailleurs) vient, disent ses initiateurs, « corriger » cette situation.

    Certes MAIS.
    La solution de priver la Cour Suprême et les conseillers juridiques au gouvernement de leur pouvoir de retoquer des lois et des décisions ministérielles en vertu de principes juridiques laisserait le pays sans Constitution (ni Sénat etc…).
    MAIS AUSSI sans les alternatives, certes imparfaites, pratiquée aujourd’hui.

    Le remède pourrait bien être pire que le mal ; d’où l’opposition absolue d’une partie importante (peut-être majoritaire) du pays à cette « réforme ».

  2. J’aurais souhaité que l’opinion de Maurice Duverger soit citée sous le nom d’autres juristes qui ont exprimé la même opinion. J’aimerais en effet qu’on oublie la mémoire de ce juriste, petainiste, qui a fait des commentaires fleurant bon l’antisémitisme dans ses chroniques juridiques sur le Statut des juifs pendant la Guerre, qui s’est illustré par une attitude anti-israélienne dans la Presse et par des votes hostiles lorsqu’il a siegé au Conseil de l’Europe. Alors oublions vite ce sinistre personnage.

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