Remy Azria. l’évocation de la Shoah à travers la chanson française

Il aura fallu attendre quelques années après la libération de Paris et de façon générale, la fin de cette guerre, pour que la chanson française pût décrire, souvent à mots semi-cachés,  ce que fut le sort d’une grande partie de la population juive d’Europe.
Il ne fallait pas heurter l’opinion, ne pas choquer, écrire avec des phrases posées sur des œufs délicats sans faire d’omelette dérangeante, être dans le suggéré, le presque narré ou chanté, l’a peu près ; tout une panoplie de faux semblants pour à peine effleurer discrètement l’indicible.

***

La ville de Varsovie


– Renée Lebas
cette chanteuse, juive d’origine roumaine, a été la première artiste à interpréter en 1956 une chanson qui fait une discrète allusion à la ville de Varsovie et ce qu’elle peut évoquer dans les années sombres de la seconde guerre mondiale.
Cette chanson, “La fontaine endormie”, écrite par Eddy Marnay (de son véritable nom “Bacri”) et composée par Emil Stern (juif d’origine roumaine), reste assez floue sur sa signification. L’interprète interroge cette fontaine, située à Varsovie, lourde de souvenirs douloureux pour qu’elle puisse lui raconte ce qui a pu se passer après toutes ces années.
Renée Lebas a dédié cette chanson à deux membres de sa famille, raflés à Paris, déportés et morts dans les camps d’extermination. ” A mon père et à ma petite soeur Madeleine “

Extraits : 
“Tu verras tout au fond d’une cour
près d’un mur où s’arrête ma vie,
une fontaine endormie,
endormie pour toujours” 



– Gilbert Bécaud
Dans la même période, Gilbert Bécaud compose et interprète, sur des paroles de Pierre Delanoë, une chanson ayant pour titre “Le pianiste de Varsovie”.
À travers une certaine nostalgie pour ce professeur de piano qui est parti pour toujours, se glissent ces paroles tristement significatives: 

“A tous les coins de l’horizon,
Des pas qui claquent,
Des murs qui craquent,
Des pas qui foulent,
Des murs qui croulent,
Pourquoi ?”



– Jean Jacques Goldmann

En 1982, il publie ce titre “Comme toi”    qui, même écrit avec sensibilité, ne fait aucun doute sur le contenu des paroles et probablement sur la destruction du ghetto de Varsovie. 
Les termes “juifs”, “nazis”, “guerre”, “camps” ne sont nullement mentionnés.
Les personnages qui construisent la trame de cette chanson sont des enfants qui aimaient la musique, rêvaient de se marier et en furent empêchés.
Cette chanson, aussi discrète qu’elle fût, dans ses mots, aura peut-être été un des premiers maillons de cette chaine de transmission et de mémoire sur le sort de tous ces enfants qui ont été assassinés durant cette période.

“Elle s’appelait Sarah elle n’avait pas huit ans
Sa vie, c’était douceur, rêves et nuages blancs
Mais d’autres gens en avaient décidé autrement”
 

***

Anne Frank


L’histoire tragique de cette adolescente est devenue un symbole des enfants victimes de la barbarie nazie.
Cette histoire a été mentionnée dans un journal, dans lequel elle racontait ses deux années passées dans ce grenier jusqu’à la déportation de toute sa famille dans les camps et son décès à l’âge de 16 ans.
Elle a fait l’objet de deux chansons. 

– Daniel Guichard
Dans son album publié en 1974, il interprète “Chanson pour Anna”, écrite et composée par quatre auteurs/compositeurs.
Cette chanson raconte les conditions d’enfermement d’Anne, ses peurs, ses rêves qui ne se sont pas réalisés. 
 
“C’est par un beau matin d’été, je crois
qu’ils sont venus chercher Anna, 
ils ont laissé juste un cahier, les soldats”


– Louis Chedid
Dans cette chanson “Anne, ma sœur Anne” qu’il a écrite et composée, Il associe le martyre de cette enfant victime du nazisme à ses craintes sur une éventuelle remontée de cette doctrine, du retour de la bête immonde.

“Anne, ma sœur Anne
En écrivant ton journal du fond d’ton placard
Anne, ma sœur Anne
Tu pensais qu’on n’oublierait jamais, mais
Mauvaise mémoire !”

***

La Rafle du Vel d’Hiv’


– Annie Cordy
Elle joua et interpréta le rôle de Madame Rosa, dans la comédie musicale du même nom, ( années 80 ) , inspirée du livre de Romain Gary “La vie devant soi”, sur une musique de Gilbert Bécaud. 

La chanson, “Bravo”,  raconte ouvertement l’implication de la police française sur la rafle de plus de treize mille juifs, hommes, femmes et enfants, entre le 16 et 17 juillet 1942, et envoyés à la mort  après avoir été parqués dans le camp de Drancy.

“Ils nous ont parqués au vélodrome
Le soleil crachait sur Israël
Et dans les gradins nos étoiles jaunes
Qui faisaient honte au ciel”  

-Calogero
Dans son album sorti en 2017, figure cette chanson, “Vélo d’hiver”, dont les paroles sont de sa compagne, Marie Bastide.
Contrairement à la chanson précédente qui raconte sans retenue l’action de la police française envers la communauté juive, celle de Calogero laisse venir progressivement, à mots couverts, ce qui se passa dans ce vélodrome transformé en lieu d’incarcération inhumaine, première antichambre avant la solution finale.


“On m’appelait le vélo d’hiver
C’était le plein juillet
Ils enfermèrent sous ma verrière
Vrai de vrai je me rappelle
Des familles entières
Qu’ils déportèrent vers l’enfer”

***

La Déportation



– Catherine Ringer du groupe Rita Mitsouko possède dans son répertoire deux chansons qui se rapportent à cette sombre période.
“C’était un homme” (Un Mensch, pourrait-on écrire), fait référence à l’histoire vécue par son papa, juif polonais, déporté dans plusieurs camps de concentration et auquel elle rend hommage dans cette chanson.

“Près d’Auschwitz
Mon père grandissait
C’était un juif polonais
Aux Beaux-Arts à Cracovie
Il rêve de Paris

Et puis la guerre l’a surpris
Ils l’ont pris à 19 ans…”

-Une autre chanson du répertoire du groupe a pour titre “Le p’tit train”. Publiée en 1988.
C’est, au demeurant, une parodie cinglante sur le plan musical, d’une chanson gentillette  datant du début des années 50 et qui racontait l’histoire d’un petit train en bois qui roulait dans la montagne.
Le train évoqué par Catherine Ringer fait référence aux trains qui envoyaient les déportés vers les camps de la mort, avec le souvenir de son père en toile de fond.

“Le petit train dans la campagne 
Et les enfants ? 
Le petit train Dans la montagne
 Les grands-parents
 Petit train Conduis-les aux flammes
 A travers champs”

Les paroles du texte de cette chanson peuvent apparaître, décalées, déjantées ou dérangeantes, elles traduisent, pour autant l’horreur de ces voyages qui accompagnèrent des millions de personnes, sans retour pour la quasi-totalité d’entre elles.

– Pascal Danel
Connu dans les années 60 avec deux succès, “Les neiges du Kilimandjaro” et “La plage aux romantiques”, Pascal Danel propose dans son album sorti en 2007 une chanson ayant pour titre “L’ami Jacob”.
Quelques extraits des paroles racontent cette triste histoire à mots discrets mais qui ne laissent aucun doute:

“Lorsqu’un dimanche, s’ouvrit la porte 
Des trains, des trains ont des portes, 
Vint mourir dans mes yeux d’enfant 
Son costume noir, son col un peu moins blanc 
Ma yiddish mama, l’ami Jacob gémissait…
Mais un jour se ferma la porte 
Non du couloir mais du train qui emporte, 
Mes yeux brouillés d’absence n’étaient plus d’enfant 
Dans mon costume noir et mon col blanc 
Mon père pleurait l’ami de ses cheveux blanchis 
L’étoile avait jauni, mes rêves, mes rêves d’enfant aussi”


-Yves Duteil
Petit neveu du capitaine Alfred Dreyfus, Yves Duteil a inscrit dans son  album paru en 2012 ce titre: “La chanson des Justes”, qui rend hommage à celles et ceux qui ont sauvé des Juifs de la déportation durant l’occupation allemande, et ce, souvent au péril de leur propre vie.

“Dans ce voyage infernal 
où tant d’âmes ont sombré ,
celui qui sauve une étoile 
éclaire l’univers tout entier;
des lueurs que les Justes ont allumées,
la porte entrebâillée   dans l’escalier 
sur le dernier refuge inespéré”

-Anne Sylvestre
Peut-être est-ce en réaction vis-à-vis de son père qui a été le bras droit d’un collaborateur du régime de Vichy durant l’occupation qu’elle aura voulu écrire ces deux chansons : 

“Le p’tit grenier”, paru en 2003, raconte la vie de ces enfants juifs qui ont été recueillis par des familles françaises et ont vécu dans des greniers pour échapper aux persécutions antisémites.

“Quand on avait fermé la trappe 
Il fallait, on vous l’avait dit, 
Que pas un cri ne vous échappe 
Silencieux comme des souris”  

“Roméo et Judith”, paru en 1994, est une chanson écrite sous forme de dialogue entre “Judith”, fille juive, descendante de  rescapés de la shoah et “Roméo”, chrétien, fils d’une famille qui n’a pas eu de bienveillance vis-à-vis de la communauté juive de France, bien au contraire.

“Tu ne comprends pas Roméo
J’ai la tristesse sous la peau
Le sang de mon peuple s’indigne
Et je ne peux pas oublier
Que tu descends en droite ligne
De ceux qui l’ont persécuté”



-Barbara
Elle a été plutôt discrète sur ses origines mais dans sa chanson “Mon enfance”, elle fait rapidement allusion à cette période de  la guerre où elle s’est réfugiée dans le village de St Marcelin, avec sa famille, pour échapper aux officiers nazis.

“La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense”

-Maurice Fanon
Cet auteur-compositeur-interprète, révélé au public  par sa chanson “L’écharpe”, possède dans son répertoire une chanson un peu moins connue qui a pour titre “La petite juive”.
A travers des paroles où sont fustigés les collaborateurs, les dénonciateurs et les indifférents, il  évoque dans le refrain sa rencontre avec une jeune fille juive qui fut obligée de partir pour toujours, un beau matin.
Maurice Fanon ne biaise pas dans son texte, il n’édulcore pas les mots, il décrit les évènements  sans ambages.

“Et je me souviens, la petite juive
On lui a dit Viens
Elle était jolie
Elle a fait sa valise
Un baiser de la main
Elle s’appelait Lise
Il n’en reste rien”

-Hugues Auffray
Il avait raconté, lors d’une interview, que durant la guerre, sa mère avait accueilli un jeune juif jusqu’au jour où la gestapo arriva dans ce village, découvrit ses véritables origines, et le déporta à Buchenwald.
Cet épisode le marqua terriblement et lui vint le besoin  d’interpréter une chanson, un peu comme un devoir de mémoire, dans lequel un adulte s’adresse à un petit enfant juif de la génération d’après-guerre.
Cette chanson a été écrite par Vline Buggy, ( auteur également d’un des plus grands succès d’Hugues Auffray, Céline) sur une musique d’Alex Alstone.
Il est à noter que les premières mesures de cette chanson, “Petit Simon”, rappellent celles de la chanson “Céline”, composée par Mort Schumann
On retrouve le son de l’accordéon slave, l’harmonie de base en mode mineur, caractéristiques de plusieurs airs du folklore Yiddish..


“… Petit Simon tu vois tout là-haut
Comme le monde semble beau
Mais tu verras lorsque tu grandiras,
un jour tu comprendras 

Les étoiles ne sont pas toujours belles
Elles ne portent pas toujours bonheur
Les étoiles ne sont pas toujours belles
Quand on les accroche sur le cœur”

-Jean Ferrat
Fils de Ménassé Tenenbaum, russe de confession juive, émigré en France, arrêté, déporté et mort à Auschwitz, Jean Ferrat( Tennenbaum) a été marque profondément par ce drame qui lui a inspiré cette chanson “Nuit et Brouillard”, chanson qui a été longtemps censurée car elle mentionnait la passivité des français devant les multiples arrestations des juifs.
Même si Jean Ferrat évoquait d’autres populations minoritaires dans ses paroles, il n’en reste pas moins que ce  fut la seule chanson qui a porté sur les ondes cette extermination de la communauté juive à l’échelle industrielle 


“Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres”

© Rémy Azria

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Rémy Azria est l’auteur de “Auprès des oliviers”, paru chez Éditions du Net

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Rémy Azria est né en Tunisie et a rejoint la France à l’âge de 15 ans en compagnie de sa famille.
Il est titulaire d’une licence en bio-physiologie, d’un DESS en psychologie du travail et du comportement, d’une certification sur les tests projectifs et d’une certification en développement sur la plateforme Microsoft.
Il a exercé et exerce toujours en tant que formateur en développement d’applications pour Internet.
Il est membre de la Société des Auteurs et Compositeurs de musique (SACEM) en tant qu’auteur / compositeur.
Auprès des oliviers est son premier ouvrage.


 






 

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3 Comments

  1. N’oubliez pas “Les vacances au bord de la mer” de Michel Jonasz, avec cette fine allusion à “sauf quand on pouvait déjà plus”.

    • Michel Jonasz est né en 1947
      Les vacances qu’il évoque sont , à priori , les siennes avec ses parents et sa sœur
      Rien n’indique qu’il parle de ses grands parents dont beaucoup de proches ont péri dans les camps

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