La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -17-

Judith Bat-Or

“l’ennemi sioniste”, c’est-à-dire mes enfants, mes voisins, mes amis, ceux que je croise à la gym, dans la rue, au marché, moi. L’entité sioniste, c’est nous, c’est moi

Attendre, je déteste, comme tant d’autres. Pourquoi d’ailleurs cette détestation générale ? Attendre, c’est être en suspens, ne rien faire – pas forcément désagréable –, ou faire, mais la tête ailleurs, à ce que l’on attend, l’appel de ceux qu’on aime, le résultat d’un examen, d’un entretien, la guerre… La guerre. Le grand mot. Les grands maux. 

Depuis plusieurs mois, au réveil, à peine un œil ouvert, j’attrape mon téléphone pour lire les titres de la nuit. La menace est intense et constante ces derniers temps en Israël. Hier donc, encore dans mon lit, j’ai appris sur ma page d’information le lancement de l’opération “Bouclier et flèche” avec l’élimination à Gaza de trois dirigeants du Djihad islamique et le bombardement de sites stratégiques. J’ai compris. Je me suis levée. Me suis préparé un café. Ai pris le temps de digérer – plus d’une demi-journée – vaquant à mes occupations.

En milieu d’après-midi, je me suis préparée pour aller à la gym. En sortant, j’ai lancé à mes filles : “L’abri est rue Nehar Prat, vous voyez où ?” Comme elles ne voyaient pas, je suis revenue sur mes pas. J’ai cherché sur google l’emplacement exact, et le leur ai transmis. Enfin partie, j’ai envoyé un message sur le groupe Whatsapp de l’immeuble pour m’assurer que mes petits voisins-voisines – petits, façon de parler – connaissaient eux aussi l’adresse.

Première réponse : “Non, Judith, pas l’abri, tu n’auras pas le temps d’y arriver. Tu te couches par terre, mains sur la tête, dans un endroit sans fenêtres”.  Sauf que, chez moi, il y a des fenêtres partout. Deuxième réponse : “Le mieux, c’est la cage d’escaliers”. Les émojis hilares sont aussitôt apparus, l’un après l’autre, en réaction : notre cage d’escaliers est ouverte à tout vent. Sur ce rire libérateur, chacun est retourné à ses occupations, laissant la question en suspens. On verra, le moment venu.

La journée est passée, pleine de menaces de représailles. Le soir, j’ai rechargé sur mon portable l’application du Pikoud Haoref, commandement du front intérieur, censée nous prévenir des dangers dans notre secteur. La dernière fois, c’était il y a deux ans presque jour pour jour, pour “Gardien des murailles”. Je l’ai paramétrée pour recevoir aussi les alertes sur Tel-Aviv, où mon fils vient de s’installer avec sa fiancée. Mariage dans quelques jours. Si D.ieu le veut. Et j’ai éteint la lumière. La nuit porte conseil. J’espérais qu’elle en porterait de bons  à nos ennemis… 

Ce matin, toujours rien. Enfin, si. Des émeutes à Jérusalem Est. Pas de morts à déplorer. Un attentat. Deux morts. Les terroristes. Je regarde leurs photos. Si jeunes ! Quelle tristesse ! Pourquoi la guerre ? Pourquoi la haine ?

Je continue de traîner, en travaillant, le cœur ailleurs. Dans le Sud, à la frontière de Gaza, où les familles ont reçu l’ordre de rester près des abris. Là-bas, on ne rit pas. On ne rit plus. Là-bas, en vingt ans de roquettes, ils ont eu le temps d’apprendre où courir se réfugier quand l’alarme retentit. Je vérifie régulièrement le fil de l’actualité. Une nouvelle frappe israélienne… Je sens dans mon ventre ces mots des leaders du Hamas, qui promettent une réaction conjointe et puissante qui donnera une leçon à “l’ennemi sioniste”, c’est-à-dire mes enfants, mes voisins, mes amis, ceux que je croise à la gym, dans la rue, au marché, moi. L’entité sioniste, c’est nous, c’est moi.

Même pas peur. En fait, si. 

© Judith Bat-Or

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