Charles Baccouche. Les enfants d’Israël, Peuple d’Exception

Tu marches toute droite, petite fille, dans ton petit manteau, sous le regard vide d’une brute menaçante. Tu marches, sérieuse comme il n’est pas permis pour une enfant si jeune. 

Ma petite fille, ma petite juive qui sait que les monstres existent vraiment et qu’ils sont sans pitié. 

Tu marches seule sans ta maman, sans ton papa, sous le regard vide de la brute qui surveille tes pas. Des gens malheureux raflés par les barbares te suivent comme si tu ouvrais la marche vers l’enfer.

Ces monstres sortis des ténèbres, en uniformes noirs, ont gazé, brulé tes parents, tes tantes et tes oncles, toute cette belle famille qui célébrait en leur temps les fêtes de l’Eternel.

Tu ne sais pas vers quel improbable endroit tu es emmenée, tu te doutes que ce sera méchant dans un endroit qui ne devrait pas exister, ni pour les enfants, ni pour grands, ni pour les Juifs. 

Toi, le petit garçon qui dit «  Monsieur je ferai plus, pardon », tu ne sais pas encore que ce pantin sanglé dans un habit de mort n’a pas d’oreilles, que ses yeux sont éteints, que sa bouche éructe mais ne parle pas, que sa langue est collée à son palais. 

Il te braque et tu lèves les bras comme un grand, comme un voleur pris en flagrant délit. Qu’as-tu volé, quel crime abominable un petit garçon peut-il avoir commis, pour que de si grandes peines lui soient réservées ?

Et toi, l’enfant tremblant devant le démon obtus, tu remontes ta manche pour montrer que le numéro tatoué sur ton bras ne s’est pas effacé, car tu n’as plus de nom, tu es un numéro qui sera jeté aux flammes, pas un enfant pour le salaud. Tu resteras à jamais “un enfant de chez nous”.

Vous tous, les milliers et les centaines de milliers d’enfants, vous avez été privés de tout, de nourriture, de vêtements, de parents, de caresses, emportés dans des chambres closes et gazés au milieu des cris et des douleurs des Juifs expiant le crime d’être nés juifs dans un monde de malheur.

Toi, le vieil homme à la barbe arrachée et trainé dans la poussière, pour que les bourreaux s’amusent, tu plies et ne romps pas parce que tu es juif.

Toi, la vieille femme à genoux, le menton relevé par le fouet te frappant cruellement par une figure sans visage, tu ne blasphèmes pas,  tu ne renies ni ta foi, ni ton dieu ni ton peuple. Tu seras immolée justement parce que tu es juive, comme vous, les femmes juives qui faisaient chanter leurs maisons et leurs familles. Ils vous ont fait courir sous les coups de leurs matraques, nues dans l’hiver glacé de Pologne sur la rampe qui mène aux chambres à gaz.

Les hommes aussi, soumis à la « sélection », couraient sous le fouet vers la chambre à gaz ou vers le travail forcé des esclaves de l’Allemagne nazie.

Tous, sans pain, sans habits, torturés par la faim lancinante qui épuise les corps et affadit les âmes, ils vous ont astreints sans fin à de lourds et stupides travaux, dans des habits légers, au milieu du froid intense, sans répit jour après jour sous un ciel indifférent, et le regard impavide des serviteurs soumis à des hommes sans qualités et qui se croyaient des dieux.

Ils ont tué nos enfants, ils les ont torturés, livrés au feu sans les regarder, tout en choyant leurs familles, leurs enfants, comme de bons pères et bons époux. 

Ils se sont évaporés, les monstres et les temps maudits qui assassinent les enfants. Nous sommes toi, tu es nous, à jamais dans la gloire et l’éternité d’Israël.

Non, petite fille qui marche toute droite dans ton petit manteau, tu n’es pas seule, un peuple d’exception se tient à tes côtés, c’est Israël, ce peuple dont la mémoire est cinq fois millénaire, qui a vaincu la haine des hommes, a surmonté l’Histoire et enfin qui revient dans son pays qui est le tien.

                                                                       © Charles Baccouche

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