Renée Fregosi. Du fantasme de la “fachosphère”


Les militants laïques qui s’opposent à l’offensive islamiste et les intellectuels qui en analysent les modalités, les tenants d’une gauche démocratique et sociale qui s’élèvent contre les dérives islamo-gauchistes, les rares politiques qui évoquent un contrôle de l’immigration, les personnalités dites “d’origine musulmane” qui refusent les dictats islamistes, ceux qui défendent le droit d’Israël à l’existence, tous sont désormais renvoyés à l’enfer de la “fachosphère”. La résistance à l’islamisation est taxée de stigmatisation des musulmans et d’islamophobie.

À la demande de mesures spécifiques plus efficaces contre le terrorisme islamiste, on s’écrit “amalgame” et tentation liberticide. À une quelconque évocation de la question migratoire, on dénonce “l’obsession du Grand remplacement”. Aux attaques meurtrières contre des Juifs en France comme en Israël, on répond “légitime défense”, et ceux qui osent condamner les assassins sont traités de “racistes sionistes” ou “d’extrême droite israélienne”.

La résistance à l’islamisation est taxée de stigmatisation des musulmans et d’islamophobie

La chasse aux “réactionnaires” honnis, aux “supplétifs indigènes” et autres “islamophobes” alliés de l’extrême droite s’organise en meute. Les cibles sont persécutées sur les réseaux sociaux, interdites de parole, voir agressées physiquement et mises en danger, on le sait, d’être assassinées à la balle ou au couteau.
Un petit blog, anonyme comme il se doit, et au nom évocateur, est tout à fait représentatif de ce militantisme agressif : “Cinquième colonne” traque principalement la supposée “islamophobie” non pas de la véritable extrême droite ni même du populiste Rassemblement national, mais plutôt de personnalités que l’on aurait qualifiées “d’intellectuels de gauche” dans les années soixante-dix. Le site se propose en effet de dévoiler “les preuves de la porosité entre laïcs [sic] (ou prétendus tels) et extrême droite”.

Le venin de la calomnie

Mais l’ignominie ne se donne pas seulement libre cours sur des blogs ou sur Twitter. Au cœur-même du monde universitaire le plus reconnu et du milieu journalistique le plus révéré, le venin de la calomnie se distille de jour en jour depuis longtemps déjà. Car les intellectuels sont des vecteurs tout aussi efficaces que les militants politiques, et aussi indispensables à la brutalisation du monde (1).
En 2002, le Rappel à l’ordre de Daniel Lindenberg (réédité en 2016 dans une version augmentée) a ouvert la bonde à la déferlante accablante du qualificatif désignant ceux qui refusent le “vivre ensemble”, le “pas d’amalgame” ou le prêchi-prêcha anti-blancs de l’antiracisme devenu idéologie.

“Au cœur-même du monde universitaire le plus reconnu et du milieu journalistique le plus révéré, le venin de la calomnie se distille de jour en jour”.

Le mouvement de mise au pas, de “mise en conformité” (Gleichschaltung disait-on sous le nazisme) s’était poursuivi avec le fameux numéro du “Nouvel Observateur” de 2005 sur “les néo réacs”. Tout récemment encore, un petit ouvrage d’Edwy Plenel reprend le flambeau pour alimenter le bûcher.
En s’appropriant le titre d’une tribune datant de 1993 (“Appel à la vigilance”), il instrumentalise une ancienne lutte légitime contre le Front national qui, à l’époque, commençait à prendre une singulière ampleur (notamment grâce à l’abandon de la classe ouvrière par la gauche, comme le soulignait d’ailleurs déjà Marcel Gauchet dans un remarquable article de la revue “Le Débat”) (2) pour s’attaquer aujourd’hui à une extrême droite fantasmatique étrangement composée surtout d’intellectuels issus pour la plupart d’une gauche laïque, humaniste, universaliste, démocratique.

Vieille tradition bolchevique, on est là dans une diabolisation somme toute assez classique des “sociaux-fascistes” par la gauche révolutionnaire. Mais les disciples de Pierre Bourdieu font mieux encore : aux études sur les stratégies de pression et d’influence des militants islamistes, ils s’écrient “nouveaux Édouard Drumont de l’islamophobie” en citant Edwar Said qui affirmait que “l’animosité antisémite populaire est passée en douceur du Juif à l’Arabe”.
La reductio ad Hitlerum réalise ici la perfection de l’inversion des rôles : le procédé de victimisation assimilant les islamistes aux musulmans, eux-mêmes assimilés aux Arabes, accomplit symboliquement le souhait islamiste de l’annihilation des Juifs. Les sycophantes complices ou idiots utiles du totalitarisme de troisième type qu’est l’islamisme accusent ainsi de “complotisme d’atmosphère” (3) ceux qui osent décrire l’offensive islamiste sous ses différentes formes.

Florence Bergeaud-Blackler est moquée et conspuée par une certaine école universitaire néo-orientaliste française

C’est ainsi que le récent ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler (4), solidement fondé sur des études de terrain et des analyses de textes irréprochables, et préfacé par Gilles Kepel, est attaqué, moqué et conspué par une certaine école universitaire néo-orientaliste française. Cette spécialiste du militantisme frériste, qui s’est précédemment illustrée notamment par une remarquable étude sur le marché du hallal, avait déjà rejoint, de ce fait, la cohorte des intellectuels régulièrement ciblés par les pourfendeurs desdits islamophobes de la fachosphère.
Elle est aujourd’hui violemment attaquée par certains de ses collègues qui tentent de la discréditer car ces universitaires sont avant tout des militants qui de leur propre aveu, comme le fait François Burgat dans son blog sur Médiapart (5) citant “Bourdieu sur les épaules de Marx”, considèrent que “dans un univers où les positions sociales s’identifient souvent à des “noms”, la critique scientifique doit parfois prendre la forme d’une critique ad hominem”.

Un antisémitisme virulent

Et voilà que la lutte de pouvoir au sein de l’institution universitaire pour la préservation de la domination du clan bourdivin rejoint l’antisémitisme le plus virulent aujourd’hui, celui des islamistes et de leurs affidés. Dans la stratégie de victimisation des musulmans pour imposer l’islamisation frériste aux musulmans et aux non musulmans, la substitution de la figure de l’Arabe à celle du Juif persécuté est devenue un leitmotiv.
François Burgat la formule ainsi “dans la mythologie raciste contemporaine, les “réseaux” des Frères musulmans s’inscrivent dans la continuation de la “Juiverie internationale” : une cinquième colonne sournoise serait à l’œuvre, qui travaillerait la France”. Toute analyse ou dénonciation de la stratégie frériste relèverait donc illico d’un complotisme similaire aux Protocole des sages de Sion (ouvrage au demeurant parmi les plus lus dans le monde musulman et auquel se réfère explicitement la Charte du Hamas à son article 32).

La lutte de pouvoir au sein de l’institution universitaire pour la préservation de la domination du clan bourdivin rejoint l’antisémitisme le plus virulent

Contre le prétendu “privilège juif” (l’hashtag #JewishPrivilege est apparu sur Twitter et a été repris par plus de 122.000 messages antisémites en vingt-quatre heures en juillet 2020), les islamistes s’affublent désormais volontiers d’un croissant jaune évoquant bien sûr l’étoile jaune imposée aux Juifs par les nazis, comme ils l’ont fait notamment lors de la “marche contre l’islamophobie” à Paris en novembre 2019.
Que des universitaires comme Étienne Balibar et a fortiori des spécialistes “du monde arabe et musulman” comme François Burgat, puissent donner dans ce genre de travestissement de l’histoire et de déni du réel, a quelque chose de troublant. Mais c’est ignorer la puissance de l’irrationnel lorsqu’il s’agit d’engagement politique.

Aussi serait-il vain de se laisser intimider par les insultes ou tout simplement les menaces de dénonciation pour dérives droitières et par la mise en garde de “faire le jeu de la droite et pire encore de l’extrême droite”. Comme hier, il ne fallait pas renoncer à critiquer le bolchevisme puis le stalinisme à ce même motif, il ne faut pas aujourd’hui affaiblir la lutte contre l’islamisme au motif qu’on ne pourrait pas avoir un ennemi commun avec l’extrême droite. Foin donc de “tenaille identitaire” pour se prémunir du basculement dans “le camp du mal”. Il vaut mieux ne pas culpabiliser d’être Occidental ou de souhaiter le devenir, et ne pas renoncer à faire reculer l’offensive islamiste, et cela jusque dans le monde de l’université et de la recherche.

Notes

1 – Voir l’ouvrage dirigé par Daniel Salvatore Schiffer à paraître en juin 2023, Repenser le rôle de l’intellectuel, Ed. de l’Aube.
2 – Marcel Gauchet, Les mauvaises surprises d’une oubliée : la lutte des classes, Le Débat 1990/3 n° 60 | pages 257 à 266.
3 – Voir Rafik Chekkat, Islamophobie. Le complotisme d’atmosphère de Florence Bergeaud-Blackler, Orient XXI info, 14 mars 2023, https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/islamophobie-le-complotisme-d-atmosphere-de-florence-bergeaud-blackler,6282
4 – Florence Bergeaud-Blackler, Le frérisme et ses réseaux, Ed. Odile Jacob, Paris 2023
5 – François Burgat, L’islamisation de la France: acteurs et ressorts d’une dangereuse rengaine, 7 mars 2023, https://blogs.mediapart.fr/francois-burgat/blog/070323/lislamisation-de-la-france-acteurs-et-ressorts-d-une-dangereuse-rengaine

© Renée Fregosi

Philosophe et politologue, membre de l’Observatoire du décolonialisme. Ouvrage à paraître en avril 2023 : “Cinquante nuances de dictatures. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs”. Éditions de l’Aube.

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2 Comments

  1. C’est une gigantesque inversion des rôles. Jamais un mot n’a été aussi absurde et dangereux que le terme ‘”islamophobie” dont l’usage public devrait être considéré comme un appel au meurtre et sanctionné comme tel. La seule véritable extrême droite est celle qui nous gouverne dans les ministeres les médias et les universités. Les islamistes et les nouveaux racistes ont déjà gagné : ils sont solidement établis à tous les échelons du pouvoir et dominent toute la sphère publique. La victoire de Macron a fait sauter les dernières barrières contre cette barbarie. J’ose à peine imaginer ce que sera ce pays dans dix ans…

  2. Les universités francophones et anglophones des heures sombres du vingt et unième siècle jouent le même rôle que celles de l’Allemagne des années 20-30, mais à une échelle beaucoup plus grande. En outre avec le ministre de l’EN qu’on a, la preuve est faite que notre gouvernement fasciste cautionne cette propagande et cet embridement pro islamistes, racistes et antisémites.

    Voilà ce qui se passe quand on a agité l’épouvantail d’un fascisme imaginaire pendant des années : on a permis à un fascisme bien réel de prendre possession de la société.

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