Richard Prasquier. Le dîner du CRIF

Le premier diner du Crif, mis sur pied par Theo Klein, s’est tenu le 19 octobre 1985 au Sénat devant une  cinquantaine d’invités. L’hôte d’Honneur était le Premier Ministre Laurent Fabius. Il y avait là Daniel Meyer, l’homme qui avait réorganisé  dans la clandestinité le Parti socialiste pendant l’Occupation. Il provenait d’une famille juive qui avait quitté l’Alsace en 1870 et, orphelin, avait dû arrêter ses études à la communale. Grand militant des Droits de l’Homme et sioniste convaincu, il était en 1985  Président du Conseil Constitutionnel, lointain prédécesseur d’ailleurs de Laurent Fabius à ce poste, et prédécesseur immédiat de Robert Badinter. Parmi les présents à ce premier diner du Crif il y avait aussi Simone Veil et l’évocation de ces quelques personnalités admirables montre combien l’apport du judaisme à la politique de la France a été remarquable et comment les Juifs ont honoré la promesse républicaine.

Et puis dans ce premier Diner du Crif,  y avait le Grand Rabbin de France de l’époque, René Samuel Sirat qui vient de nous quitter. L’éducation et la transmission étaient au coeur de son judaisme, comme l’a rappelé Yonathan Arfi pendant le  37e diner du Crif au Carrousel du Louvre devant un millier de personnes.

 Le  Président  du Crif a insisté sur l’importance d’une école qui émancipe et développe l’esprit critique, alors que, suivant son expression, l’antisémitisme et le racisme sont les trophées de l’ignorance.

Deux lignes de force qui se rejoignent structurent son remarquable discours.

La première est la nécessité de défendre la République conçue comme un projet d’avenir, universaliste, laïque et fraternelle, forte de sa pluralité, dans laquelle le judaisme français peut exprimer librement sa vitalité. Les valeurs de cette République sont menacées par des populismes d’extrême droite et d’extrême gauche qui, bien qu’opposés sur le plan idéologique, se font la courte échelle.

L’autre ligne de force est la lutte contre l’antisémitisme, sismographe de notre société. L’assassinat de Ilan Halimi, retrouvé agonisant  un autre 13 février, il y a 17 ans, a marqué la génération de Yonathan Arfi qui repère les différentes figures actuelles de l’antisémitisme  souvent convergentes, islamisme, complotisme, relativisme, racisme et haine d’Israël.

La manipulation clientéliste de ces passions antisémites ou bien d’exclusions ciblées contre d’autres groupes minoritaires de la société française est un défi auquel la République doit faire face. 

Mais si l’antisémitisme est responsable de au moins 60% des agressions physiques antireligieuses de notre pays, et je pense personnellement que ce pourcentage sous-estime la réalité, le Président du Crif n’essaye pas de noyer le poisson: c’est la haine d’Israël qui en est le mobile essentiel.

Il a rappelé qu’Israël est le seul pays qu’un état membre de l’ONU, l’Iran, menace ouvertement de détruire, ce qui fait des discours antisionistes, qui veulent  la suppression du seul Etat du peuple juif, des discours antisémites. Il a souligné la vitalité de la démocratie israélienne en indiquant qu’elle avait les ressorts pour trouver son point d’équilibre dans le respect de ses valeurs. Il a enfin appelé en une phrase isolée et forte, le Quai d’Orsay à réviser son logiciel diplomatique eu égard aux résultats des Accords d’Abraham. Et, pourrais-je ajouter, de l’incompatibilité entre la désignation l’an dernier par le Président de la République de Jérusalem comme capitale universelle du peuple Juif et le vote de motions de l’ONU qui refusent d’admettre que le Mont du Temple s’appelle Mont du Temple.

Le président du Crif a souligné que le Crif est clairement du côté des  Ukrainiens dans la guerre qu ‘ils mènent en défense de l’agression russe; le Prix du Crif a été attribué à une organisation représentant les femmes iraniennes et Yonathan Arfi a manifesté notre solidarité aux victimes du tremblement de terre en Turquie. Il s’est associé à la lutte contre les violences et discriminations envers les Tsiganes et il a rappelé le dialogue si plein de sens à la Guadeloupe  entre Suzanne et André Schwartz-Bard. Cette mention venait à la suite d’une riche évocation de ces amitiés littéraires entre Juifs et non-Juifs qui ont marqué l’histoire de France récente, de Albert Cohen et Pagnol à Mauriac et Elie Wiesel, Levinas et Blanchot et bien d’autres…

Je me suis concentré sur le discours du Président du Crif pour saluer sa qualité et sa pugnacité. Mais celui de la Première Ministre, dont les médias parlent évidemment beaucoup plus, fut remarquable par la clarté de ses engagements contre l’antisémitisme. Nous en verrons les suites…

Quant à la première partie de ce discours , où, en quelques mots d’une infinie dignité, Elisabeth Borne, née effectivement Bornstein, comme le soulignent avec gourmandise de minables trolls antisémites, nous parla de son rapport familial  tragique à la Shoah, elle ne se prête à aucun commentaire. 

Je l’ai trouvée bouleversante…

© Richard Prasquier

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*