La réforme juridique israélienne…. pour les nuls !, par Daniel Haïk

Yonatan Sindel/Flash90. La Cour suprême israélienne

La plupart des juges de la Cour suprême sont d’origine ashkénaze, laïcs et appartiennent à l’élite du pays

1. Alors que l’Etat d’Israël est créé en mai 1948, l’idée d’une Constitution israélienne est écartée d’emblée pour deux raisons: d’une part, les partis orthodoxes, qui considèrent que la seule Constitution pour un Etat juif est la Torah, s’y opposent. D’autre part, David Ben Gourion, le père fondateur d’Israël, n’est pas enthousiaste à l’idée d’être “otage” d’une Constitution pour gouverner un Etat menacé de destruction depuis le premier jour de son existence.

2. A défaut de Constitution, le Parlement israélien (Knesset) vote, au fil des ans, des lois fondamentales qui représentent “le socle” d’une future Constitution.

3. Jusqu’en 1992, la Cour suprême israélienne fait office “uniquement” de Cour de cassation et veille à la séparation des pouvoirs. Elle bénéficie d’un très large consensus au sein de l’opinion publique.

4. En 1992, le ministre de la Justice Dan Méridor (Likoud), et le professeur en Droit et ancien ministre Amnon Rubinstein (centre), lancent un projet de loi fondamentale sur les droits et libertés de l’Homme. La loi est validée (le 17 mars) par une majorité relative de 32 députés, contre 21 qui s’y opposent (sur les 120 que compte la Knesset). Cette loi, présentée comme un “bouclier de protection du citoyen”, va servir de facto de tremplin à la révolution juridique du pays, chapeautée par le professeur Aaron Barak.

Yonatan Sindel/Flash90. L’ancien président de la Cour suprême Aharon Barak

5. En 1995, le juge Aaron Barak devient ainsi, à 49 ans, le plus jeune président de la Cour suprême. Considéré comme ultra-libéral, il est un virtuose du Droit constitutionnel et il va, avant tout, élever la loi sur les Droits de l’Homme au rang de “Loi constitutionnelle”. Il va ensuite révolutionner le monde juridique en Israël, en prônant un activisme juridique à outrance. Sa devise est simple : “Tout est judiciable !”.

Le devise de Aaron Barak est simple: tout est judiciable. La révolution Barak va permettre à la Cour suprême de “se mêler de tout”

6. La révolution Barak va permettre à la Cour suprême de “se mêler de tout”. Elle statue sur des milliers de recours déposés par des citoyens israéliens mécontents, ou même par des Palestiniens contestataires ! La Cour va désormais siéger essentiellement comme Haute Cour de Justice. Mais son activité la plus controversée est celle qui lui permet de “casser” des lois ou des amendements votés par le Parlement, sous prétexte qu’ils vont à l’encontre de la loi sur les Droits du citoyen. Au cours des vingt-cinq dernières années, plus d’une vingtaine de lois votées par la Knesset sont cassées par la Cour qui les juge anticonstitutionnelles.

7. Précision importante : de 1996 à nos jours, la Knesset est, à quelques exceptions près (1999-2001, 2006-2008), conduite par une majorité de droite nationaliste (Likoud) épaulée par les partis orthodoxes et les partis sionistes religieux, avec à sa tête l’adversaire numéro un de la gauche israélienne: un certain Benjamin Netanyahou… La Cour ne cache pas vouloir se poser en contre-pouvoir pour palier l’absence de Constitution et de seconde chambre dans le pays.

Yonatan Sindel/Flash90. La présidente de la Cour suprême Esther Hayut assiste à une audience à Jérusalem

8. Les juges sont désignés par une commission composée de neuf membres : trois juges, deux avocats au barreau, deux ministres et deux députés, dont un de l’opposition. Les juges membres de la commission ont un droit de veto. De facto, sous le “règne” d’Aaron Barak, la Cour suprême israélienne va devenir un forum de juges “façonnés” dans le moule de l’ultra-libéralisme qui lui est si cher. Et même si la droite conservatrice et les religieux/orthodoxes gouvernent, on ne compte que très peu de juges conservateurs au sein de la Cour. C’est donc l’impact dominant de ce “contre-pouvoir non-élu par le peuple et non représentatif” que le pouvoir politique dénonce.

9. Sur le plan international, la Cour suprême jouit d’un prestige et d’une excellente réputation, en particulier grâce à ses verdicts favorables aux Palestiniens.

10. Sur les quinze juges que compte la Cour, seuls deux sont d’origine sépharade, un seul est arabe (20% de la population) et pas un seul n’est orthodoxe (12-15% de la population) ! La majorité est d’origine ashkénaze, appartient à l’élite du pays, et ses membres sont laïcs pour la plupart. Durant le mandat d’Ayelet Shaked au ministère de la Justice entre 2015 et 2019, plusieurs juges conservateurs ont tout de même fait leur entrée à la Cour Suprême, mais ils restent minoritaires.

La Cour ne cache pas vouloir se poser en contre-pouvoir pour palier l’absence de Constitution et de seconde chambre dans le pays

11. Plusieurs ministres de la Justice ayant tenté de tempérer l’activisme juridique d’Aaron Barak ont été écartés de leurs fonctions après que le Parquet ait publié des soupçons d’infraction contre eux. Des soupçons qui s’avèreront finalement faux.

12. L’idée d’une réforme du système juridique visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême se développe rapidement dans l’esprit de Benjamin Netanyahou et de ses lieutenants. Mais les coalitions gouvernementales qu’ils forment incluent toujours une formation modérée et centriste (Travaillistes, Koulanou) qui fait obstruction au moindre changement du statu quo.

13. Les poursuites entamées contre Benjamin Netanyahou en 2016 et l’ouverture de son procès en mai 2020 ont un effet catalyseur sur la volonté, au sein du Likoud, de développer une réforme. La victoire de la droite nationaliste et religieuse lors des élections du 1er novembre 2022 permet, pour la première fois, d’envisager la mise en œuvre de la réforme.

14. Le député Likoud Yariv Levin, très proche de Benjamin Netanyahou, et qui avait présenté pour la première fois sa réforme du système juridique en 2011, pose comme condition à son entrée dans l’actuel gouvernement d’être nommé ministre de la Justice, avec une carte blanche pour concrétiser sa réforme.

15. Le 5 janvier 2023, Yariv Levin présente aux Israéliens la première étape de son plan de réforme du système juridique.

Yonatan Sindel/Flash90. Le ministre de la Justice Yariv Levin

Quels sont les points principaux de cette réforme ?

1. Commission de nomination : cette réforme vise le remaniement profond de la Commission de nomination des juges, afin d’accorder à ses membres “politiques” (ministres et députés), une majorité automatique. La commission sera formée de neuf membres : trois pour le pouvoir exécutif, trois pour le pouvoir législatif, et trois pour le pouvoir judiciaire.

C’est ainsi que des pays occidentaux et démocratiques désignent leurs “juges suprêmes”. Les candidats à la Cour Suprême devront par ailleurs être entendus par la commission des Lois de la Knesset avant que leur désignation ne soit validée. Autre point important : l’annulation du principe de “séniorité” pour le poste de président de la Cour, ainsi les présidents, qui seront désignés en fonction de leurs compétences, et pas de leur ancienneté. Enfin les juges n’auront plus le droit de veto.

2. Annulation des lois : la Cour suprême n’aura plus le droit d’amender ni même d’annuler les lois fondamentales. L’annulation ou l’amendement d’une loi par la Cour suprême ne pourra intervenir que grâce à une majorité de 80 % des juges de la Cour. La loi de contournement sera votée, et elle permettra à une majorité absolue de 61 députés de faire revoter une loi qui avait été invalidée par la Cour Suprême.

3. Clause de raisonnabilité : annulation de la clause de raisonnabilité qui permet aux juges de décider subjectivement de ce qui est jugeable et de ce qui l’est moins. Cette clause suscite un grand débat aujourd’hui en Israël.

4. Statut des conseillers juridiques du gouvernement : Yariv Levin souhaite réformer la fonction de conseiller juridique des ministères, et en faire une fonction de confiance pour chaque ministre de tutelle.

Depuis la publication de ce plan de réforme, les critiques fusent de toutes parts : juges, juristes, économistes et experts de la high tech dénoncent en chœur le contenu de la réforme et son ampleur. Chaque samedi soir, entre 80 et 100 000 manifestants se rassemblent à Tel Aviv pour clamer leur opposition. La dénonciation d’une possible situation apocalyptique et les menaces de guerre civile se multiplient. De son côté, la communauté internationale s’inquiète et redoute qu’Israël ne se transforme en une véritable dictature juridique. Mais face à cette levée de boucliers, Benjamin Netanyahou se veut rassurant et optimiste : “Il n’y aura pas de guerre civile. Les marches économiques sont intelligents”, a-t-il déclaré.

Source : i24NEWS

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7 Comments

  1. “La plupart des juges de la Cour suprême sont d’origine ashkénaze, laïcs et appartiennent à l’élite du pays”
    “Laïc :Adjectif. (Religion) Qualifie le caractère des personnes ou des choses ne faisant pas partie d’une institution religieuse. Une personne laïque.*
    Compte tenu de l’histoire, de la genèse du judaïsme, comment peut-on se dire Juif et laïc ? A la limite je comprendrais “non pratiquant”. Mais laïc ? C’est juste une question de la part d’une “nulle”.

  2. Cet article est biaisé et trompeur. Notons, entre autres :
    • Que la majorité des juges soit « d’origine ashkénaze » est du folklore, hors sujet et sans importance. Les personnes principales qui mènent le projet de réforme actuel sont, ô hasard, d’origine ashkénaze (Netanyahou, Levin, Smotritch etc…)
    • Une phrase symptomatique : « Au cours des vingt-cinq dernières années, plus d’une vingtaine de lois votées par la Knesset sont cassées par la Cour qui les juge anticonstitutionnelles ». Bizarrement cette phrase ne s’intéresse pas au pourcentage de ces lois parmi la totalité des lois votées « Au cours des vingt-cinq dernières années » ; or, il s’agit d’au moins 5000 lois… Autrement dit, il est TRES rare que des lois soient « cassées » par la Cour.

    La comparaison entre Israël et d’autres pays comparables (la France, les USA) fait ressortir des différences majeures :
    • Israël a un système « monocaméral » (pas de Sénat).
    • Israël n’a pas de constitution.
    • Contrairement à la France Israël n’a pas de « Conseil d’Etat ».
    • Israël n’a pas de limite sur le nombre des mandats (années) qu’un chef du gouvernement peut rester au pouvoir (8 années aux USA, 10 en France, alors que Netanyahou a déjà dépassé les 15 ans au pouvoir).
    • Le système électoral israélien est la proportionnelle intégrale, génératrice d’échiquier politique éparpillé en petites bribes de partis, des groupuscules qui monnaient leur soutien du pouvoir au service d’intérêts sectoriels (ultraorthodoxes) et de projets messianiques fanatiques, au mépris de la majorité. C’est la minorité qui gouverne la majorité moyennant du chantage politique.

    Israël est donc privé de « checks and balances », contrôles et équilibrages.
    SAUF la Cour Suprême qui se fait protectrice de certains principes généraux.
    D’où le danger du projet actuel de réforme du système judiciaire et surtout de la Cour.

    • Cette cour s’adjuge des pouvoirs hors du commun à l’encontre de ceux votés par les élus du peuple, alors qu’ils ne sont que cooptés entre eux. C’est une forme de dictature de la magistrature. Acheter aux orties!….

  3. Pourquoi les Israéliens n’ont plus confiance dans leur système judiciaire ? Comment en est-on arrivé là ? Et beaucoup de personnalités qq soit leur bord politique disent qu’il faut amender le système judiciaire donc au lieu de gesticuler il serait plus judicieux de discuter pour changer ce qui déraille et redonner confiance au peuple qui se sent spolié de leur souveraineté par une « aristocratie » judiciaire non élue, qui se coopte selon leur idéologie et qui n’a jamais à rendre de compte à personne.

  4. Le royaume uni a un système monocameral car c’est la chambre des communes qui est le siège de la souveraineté populaire depuis plusieurs centaines d’années. (la chambre des lords ne joue aucun rôle politique et n’est en aucune façon un contrepouvoir politique)
    Le royaume uni n’a pas de constitution.
    La cour suprême du royaume uni créée en 2005 et installée en 2009 sous la pression de l’Union européenne et avec l’aide de premiers ministres anglais européistes n’a pas le pouvoir de censurer une loi votée par la chambre des communes.tout blocage d’une loi votée par la chambre des communes par cette cour supreme est totalement exclu.le contrôle « constitutionnel » des lois n’existe pas au royaume uni.
    Il n’y a aucune limite au mandat d’un premier ministre britannique
    La nouvelle Zélande a un parlement strictement unicameral élu au suffrage universel selon un mode de scrutin proportionnel avec quelques sièges réservés aux représentants du peuple Maori.
    La NZ n’a pas de constitution.le contrôle constitutionnel des lois n’y existe pas.il n’y a même pas de « cour suprême ».le parlement est le siège de la souveraineté populaire et a le droit de voter et modifier toute les lois y compris celles qui ont une valeur jugée fondamentale.et il n’est pas question de changer cela.Meme Jacinta Adern icône du progressisme international n’a jamais évoqué le besoin de changer cet état de chose.
    Sauf erreur de ma part Il n’y a pas de limite à la durée du mandat du premier ministre néo-zélandais.
    Ces deux pays sont ils des dictatures ?
    Un parlement bicaméral, une constitution, une cour suprême ,une limitation de durée de mandat ne sont en aucune facon une garantie de démocratie.
    Mieux encore, le nombre de pays dans le monde qui ont:
    1/une constitution (tous sauf le royaume uni ,la nouvelle Zélande et Israël)
    2/ un parlement bicaméral
    3/une cour suprême investie du contrôle constitutionnel des lois
    4/une limitation de la durée du mandat présidentiel
    Et qui ne sont que des apparences de démocraties voire carrément des authentiques dictatures , ce nombre donc est extrêmement élevé (en fait ce sont la majorité des pays dans le monde qui sont des dictatures)
    Le pays le plus emblématique à ce titre est la Russie.
    Constitution , 2 chambres, cour constitutionnelle, et limitation du mandat qui n’a été qu’une farce jouée par Poutine et Medvedev,qui se sont échangés les postes de président et de premier ministre.la Russie de Poutine ,le plus grand pays du monde ,est elle une démocratie ?
    La limitation du nombre de mandats ,outre qu’elle peut être contournée par un jeu de chaises, ne me paraît pas être quelque chose de si intéressant.aux Usa elle a été instaurée à la suite des nombreux mandats de Roosevelt , président qui avait certes des défauts mais aussi d’immenses qualités .on ne voit pas pourquoi un peuple se priverait des services de grands hommes exceptionnels, en limitant la durée de leur mandat ?
    Cette limitation de mandat est soit un leurre soit une énorme stupidité.
    Par contre un groupe de 15 personnes , non élues , irresponsables en Fait et en Droit, qui sont nommées essentiellement par une confrérie juridique constituée par eux même et des avocats ,majoritaire dans la commission de recrutement et pourvue d’un Droit de veto !, s’arrogeant elle même des pouvoirs qui ne lui ont été conférées par aucune LOI de la NATION et exerçant un contrôle sur tous les actes réglementaires (pris par le pouvoir exécutif) et législatifs(votés par le parlement),sur toutes les décisions des tribunaux civils , pénaux et militaires, c’est à dire cumulant les fonctions en France d’une cour de cassation, d’un conseil d’état , d’un conseil constitutionnel Est une monstruosité effroyable et la négation absolue de la démocratie.
    Et il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de 20 lois annulées ce qui est déjà énorme mais de dizaines voire de centaines de décisions prises dans tous les secteurs de l’activité politique économique militaire sécuritaire qui ont été annulées par cette structure folle qui est de Fait ,au dessus des lois et de la volonté populaire et qui par conséquent doit impérativement être réformée par La LOI votée par le parlement.

  5. Bien vu Boccara et merci pour vos exemples qui rejoignent les statuts actuels d’israel
    Adelaide trompe son monde par des commentaires douteux laissant penser que. sous des propos exemplaires, en fait elle s’oppose à toute réforme ce qui permet de douter de sa bonne foi dans sa critique conservatrice erronée
    Du reste aujourd’hui sur tribune juive tombant sur l’Article concernant le mail antijuif de clémentine Autain contre Habib j’ai vu qu’Adelaide donnait son point de vue et ses mails étaient assez violents contre wHabib avec des arguments souvent faux qui le condamnaient sans appel
    Donc surtout ici ne pas tenir compte de ses propos sur des statistiques totalement inventées
    C’est sa spécialité
    AndréMamou du reste sur wTribune juive d’aujourd’hui dénonce la supercherie de plusieurs articles de cette même Adélaïde qui également signe souventK.S et dont les. articles sentent l’anti sionisme voire plus
    Concernant la cour suprême il y a la nécessité d’une réforme judiciaire plus équitable et plus équilibrée et c’est ce que le gouvernement de Nethanyau est en train de faire en respectant la démocratie. véritable comme en Grande Bretagne ou Nouvelle Zélande en réformant le pouvoir tyrannique de la cour suprême mis en place dès 1995 par Aaron Barak

  6. Je me permet d intervenir sur 2 points :
    – la clause de ” raisonnabilité” me parait totalement innacceptable quelque soient les ptotagonistes
    – les histoires de systeme “” mono ou bi cameral ” me font gentiment sourire 😀, car la France dispose dd un senat qui , en pratique , ne sert pas a grand chose , et , grace a la macronie , desormais , d une chambre des deputés assez proche d un simple bureau d enregistrement des desirs du prince .
    La democratie est une volonté et doit etre presente et vivante dans la population , elle se meurt en France et j espere qu elle restera vivace en Israel

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