Jean-Patrick Grumberg: “Patrick Klugman aurait pu profiter de son temps de parole sur RCJ pour apporter une contribution intéressante au débat en cours”

J’ai l’impression que l’avocat Patrick Klugman a une connaissance très insuffisante d’Israël et du sionisme. 

Lorsqu’en 2013, en tant que membre de l’équipe de la mairie de Paris, il accompagne madame Hidalgo sur la tombe de Yasser Arafat, et qu’on le voit là, debout dans le mausolée du terroriste, je comprends qu’il ignorait totalement qui était cet homme qui a ordonné de tuer autant de Juifs que possible, a lancé la seconde intifada et dirigé de nombreux attentats. Il doit croire que c’était un homme de paix – aucun Juif informé ne serait entré dans le mausolée.

Il vient de faire une nouvelle fois la preuve de son manque de connaissances et de compréhension d’Israël, et a débité une suite invraisemblable de contre-vérités, d’approximations et d’erreurs lors de son intervention sur RCJ. 

Passons-les en revue – avec mes observations.

Il dit : 

« Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, la coalition gouvernementale israélienne, d’abord par le programme de plusieurs de ses membres [JPG : lesquels ?], aujourd’hui par des paroles virulentes [lesquelles ?] et demain par des projets qui sont d’ores et déjà en cours [lesquels ?] est susceptibles de remettre en cause l’État de droit en Israël et par là même son caractère démocratique et donc le projet sioniste lui-même.

Klugman se livre à cette technique classique de la gauche : la critique sans argument. Elle permet de proférer des accusations qui ne reposent sur aucun fait réel, d’éviter de répondre à ses contradicteurs, et de se retrouver nu, exposé pour ses accusations gratuites. Dans cette longue tirade, que j’ai dû relire deux fois car je n’y croyais pas, Klugman ne dit rien, strictement rien ! Des accusations totalement vides, pas d’argument, pas d’exemple de ce qu’il reproche au nouveau gouvernement. Rien, nada, kloum. 

Sauf que si l’on écoute bien ce qu’il dit, il faut comprendre que l’élection démocratique qui a eu lieu en novembre dernier… elle n’était pas démocratique. C’est brillant !

En fait, l’issue de l’élection ne plaît pas au socialiste Klugman. Et pour une raison qui dépasse ma compréhension, il n’a pas le courage, ou l’honnêteté, ou la capacité de le dire clairement. Pourquoi, je l’ignore. C’est pourtant si simple de dire : « Je suis socialiste, les socialistes ont été décimés, cela me frustre ». Simple, et parfaitement honorable, parfaitement légitime et parfaitement acceptable : je respecte le point de vue de chacun, et la démocratie, la diversité d’opinion, en dépendent. Mais non, Klugman ne peut pas. 

Donc. L’extrême gauche Meretz a été balayée, les socialistes d’Havoda ont failli ne pas entrer à la Knesset. C’est la réalité. Et j’ajoute pour Klugman et beaucoup d’autres qui n’arrivent pas à le comprendre : c’est dû à la disparition de leur électorat. Il a fondu au soleil de Tel Aviv. Ce sont les électeurs d’extrême gauche et les socialistes qui manquent à l’appel. C’est eux, qui progressivement disparaissent. Que cela vous déplaise, je le comprends. Mais ça ne change rien. Et je comprends que cela vous frustre, car ils dirigeaient le pays jusqu’en 1977, et ils ne sont plus qu’une portion congrue, marginale parmi les électeurs. Pourquoi, alors qu’ils tiennent la presse ? Parce que leur message ne plaît pas aux Israéliens, tout simplement. 

Voilà la réalité. Je sais, cette réalité, Klugman n’a pas la culture pour la voir, et encore moins pour l’accepter. Cette réalité, elle est occultée par les médias, qui sont de gauche, et donnent à croire que les idées de gauche représentent le cœur, le consensus, le centre des pensées des Israéliens. Et parce qu’ils ont une voix disproportionnée par rapport à l’opinion marginale qu’ils représentent, beaucoup se laissent désinformer. Comme Klugman. 

Continuons…

Klugman dit encore :

Le rôle, le pouvoir, la composition de la Cour suprême, qui est l’une des cours constitutionnelles les plus respectées dans le monde, serait réduite à néant et deviendrait par exemple consultative sur les projets de loi”. 

Non seulement Klugman ne sait pas de quoi il parle, car la Cour suprême israélienne n’est pas « l’une des plus respectées dans le monde », mais elle n’est pas non plus respectée en Israël ! Klugman, là encore, aurait pu s’instruire sur le sujet avant d’en parler. Et il ne s’agit pas de la réduire à un corps consultatif, mais de lui retirer un pouvoir législatif qui ne lui incombe pas, en raison de la séparation des pouvoirs, sacro-sainte dans toute démocratie respectable.

  • Selon une étude de l’Université hébraïque publiée en décembre, l’activisme politique judiciaire de la Cour suprême d’Israël a nui à la confiance que le public accorde au système judiciaire. 
  • Contrairement aux déclarations de Klugman, les chercheurs qui ont réalisé l’étude ont constaté : 

« A la suite de la révolution constitutionnelle, le pourcentage de personnes interrogées ayant une grande confiance dans la Cour suprême a diminué d’environ 30%»

  • Les responsables de l’étude ont même constaté l’inverse de ce qu’avance Klugman. En fait, la Cour suprême israélienne a vu une diminution spectaculaire de la confiance des Israéliens :

« Aucune cour dans le monde et aucune institution en Israël n’a vu une diminution aussi spectaculaire de la confiance au cours de cette période », disent les chercheurs.

  • L’étude a comparé les données israéliennes avec celles de 40 autres pays étudiés, et a découvert que depuis la révolution judiciaire (instrumentée par le juge Barak), la baisse de confiance en Israël est environ 10% plus importante que dans tous les autres pays, ce qui confirme les affirmations du juge Landau selon lesquelles la révolution judiciaire est la cause d’une grande partie de la baisse de confiance dans le système judiciaire en Israël.
  • En examinant l’évolution du niveau de confiance au fil des ans, les chercheurs ont constaté que par rapport à 1991, le pourcentage de Juifs qui ont confiance dans la Cour suprême a diminué d’environ 23% en 1998, 25% en 2008 et 29% en 2018.

Klugman poursuit :

« Autrement dit, le Parlement, et donc la majorité, quelle qu’elle soit, aurait libre cours pour faire absolument ce qu’elle voudrait [JPG : c’est tout l’inverse. L’étude citée plus haut relève que « la poursuite de l’expansion du pouvoir discrétionnaire des juges augmentera la méfiance du public, ce qui pourrait mettre en danger l’indépendance du pouvoir judiciaire ».]

Enfin, Klugman évoque le sort des homosexuels – il ne pouvait pas ne pas, mais pour mieux se prendre les pieds dans le tapis…

Il dit : 

La discrimination à l’égard de certaines communautés comme les LGBT deviendrait une forme de norme, et le gouvernement jouirait d’une immunité judiciaire parfaite. Ce ne sont que quelques exemples qui sont à l’examen”.

Là, je me pose la question : pure désinformation ou méconnaissance ? 

Personne n’a dit à Klugman qu’Amir Ohana, du Likoud, est devenu le premier président de la Knesset ouvertement gay ? Que lui et son partenaire vivent ensemble à Tel-Aviv – c’est un fait de notoriété publique – et qu’ils sont parents de deux enfants adoptés ? Personne n’a dit à Klugman qu’Ohana a été élu à une majorité écrasante – une majorité de 63 contre 5, tous les députés de la coalition ayant voté en sa faveur (à l’exception de Yaakov Tesler, député du parti United Torah Judaism, qui était à l’étranger) ? 

On croirait entendre ceux qui accusent Israël d’apartheid, alors qu’un musulman siège à la Cour suprême…

Klugman :

L’inquiétude [que « la Cour suprême serait réduite à néant et deviendrait consultative« ] vient de partout et surtout de l’intérieur et au-delà, des dizaines de milliers de manifestants qui se réunissent chaque semaine et qui défilent. Elle est partagée par près de 50 % des Israéliens”.

Là encore, l’avocat a des lacunes importantes.

Indiquons-lui les faits : 

  • L’inquiétude ne « vient pas de partout », en fait, elle vient de presque nulle part. Elle est le fait des quelques dizaines de milliers de personnes qui manifestaient samedi dernier, et manifesteront ce samedi, à Tel-Aviv. Ces personnes, ce n’est personne d’autre que les perdants de l’élection. Ce sont les électeurs de gauche, ce sont les opposants à la réforme de la justice, déçus de ne pas avoir convaincu lors de l’élection, qui tentent maintenant de « convaincre » par la force.
  • Et pourquoi ne manifesteraient-ils par leur mécontentement : ils ont perdu trois fois ! Une fois avant les élections car ils n’ont pas réussi à convaincre les Israéliens du bien-fondé de leur « inquiétude »; une autre fois lors du vote, qu’ils ont perdu de manière indiscutable ; et une troisième fois parce que le gouvernement entend appliquer ses promesses – un acte hautement démocratique que l’on aimerait rencontrer plus souvent.
  • Oui, ils sont « des dizaines de milliers de manifestants » à protester contre les réformes judiciaires. Mais en face d’eux, ils sont 2,3 millions à avoir voté pour la réforme !
  • Et non, l’inquiétude n’est pas « partagée par près de 50% des Israéliens ». C’est même tout l’inverse, Klugman ne connaît pas plus ce sujet que les autres dont il parle : un sondage réalisé par “Direct Polls” pour “Channel 14” mi-janvier a montré un soutien massif de l’opinion publique à la plupart des réformes judiciaires proposées par le ministre de la Justice Yariv Levin.

Patrick Klugman a raté une belle occasion

Il aurait pu profiter de son temps de parole à la radio juive pour apporter une contribution intéressante au débat en cours, en Israël et ailleurs. Il est juif, il est de gauche, et il n’a de permission à demander à personne pour exprimer son opinion minoritaire et dissidente. Il est regrettable, cependant, qu’il ne soit pas bien équipé pour le faire. Qu’il ne sache pas bien s’informer, et qu’il n’ait pas travaillé le sujet avant de l’aborder est regrettable, c’est le minimum qu’on doit exiger d’une personne qui s’exprime publiquement : savoir de quoi il parle. Une occasion ratée, oui.

Je terminerai par cette déclaration d’un pro-palestinien marxiste, vigoureusement hostile à Israël et au sionisme, Mohamed Belaali, qui écrit dans sur “AgoraVox” le 19 janvier :

« Le nouveau gouvernement d’Israël [est] un produit authentique du sionisme… C’est un gouvernement de continuité et non de changement ou de rupture. C’est un produit authentique du sionisme. Le visage sans fard du sionisme que les gouvernements successifs de gauche arrivaient plus ou moins à masquer, apparaît avec la nouvelle coalition au grand jour”.

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-nouveau-gouvernement-d-israel-246140

Je ne pourrais pas le dire mieux. Même si je voulais.

Quant aux craintes de Klugman que le parti qui porte le nom « sionisme religieux » ne soit pas assez sioniste, et que les partis « Judaïsme unifié de la Torah » et « Force juive », également membres de la coalition, ne soient pas assez juifs, je laisse à l’avocat le soin de les méditer la prochaine fois qu’il se rendra sur la tombe d’Arafat. 

© Jean-Patrick Grumberg pour  Israël 24/7.org

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