Prononcé en 2014, un discours de Boualem Sansal au dîner du CRIF Région Centre Orléans

Relisez les mots de Boualem Sansal. Ceux de son discours lorsqu’il fut “invité d’honneur” par la Présidente Eliane Klein du dîner du CRIF Région Centre Orléans.

Discours de l’écrivain algérien Boualem Sansal lors du dîner du CRIF Région Centre Orléans

Orléans, 3 décembre 2014

Monsieur le président du CRIF, 

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Chère Eliane Klein,

Comme je ne sais trop comment vous remercier pour l’honneur que vous me faites de m’inviter à votre dîner, je vous dis simplement MERCI,mais sachez que j’y mets toute la force d’amitié, de respect et d’admiration que j’ai pour vous et pour votre combat.

C’est un dîner amical, nous sommes censés nous réjouir mais et je vous prie de m’en excuser, les propos que je vais tenir ne sont pas particulièrement heureux. C’est que le contexte ne l’est pas et à vrai dire, il est noir il nous met à la torture. 

Chers amis,

Dans mes moments de vraie lucidité, de pessimisme me disent certains de mes amis, je vois l’évidence et je constate avec effarement que l’islamisme a gagné la partie et que la haine de l’autre, si parfaitement incarnée dans la haine du Juif, explose dans le monde. Ces maladies sont si contagieuses que rien ne semble pouvoir les juguler, elles nous menacent carrément de disparition en tant qu’hommes et peuples libres, fraternels et maîtres de nos destins. Même cette Europe des Lumières si puissante ne sait pas s’en défendre, la voilà infestée, l’antisémitisme reprend du service comme jadis, dans tous les compartiments de la société, pas seulement dans l’extrême droite et les quartiers dits difficiles où là il s’exprime librement en paroles et en actes. Le temps de l’incubation est passé, l’épidémie est installée, elle galope, ici l’antisémitisme est dans le délire, il rêve tout haut de nouveaux holocaustes, et là l’islamisme qui en Europe est peut-être le rejeton de l’antisémitisme et d’un certain islam hypertrophié, passe à l’acte et se construit des plans apocalyptiques planétaires dont nous avons vu les premières démonstrations à Toulouse, Bruxelles, dans les pays arabes qu’un printemps facétieux a livrés pieds et poings liés aux islamistes et aujourd’hui à la dèche et au Daesh.

Mais plus que l’étendue et l’atrocité de ces maladies, c’est l’évolution du rapport de force qui m’inquiète. D’un côté l’islamisme et l’antisémitisme sont de plus en plus offensifs, inventifs, et de l’autre côté il y a nous, tétanisés par la peur, et nos États si timides, pour ne pas dire lâches ou pire attentifs comme s’ils s’accommodaient de ces dérives ou espéraient en tirer un profit. Quand on voit l’évolution des relations des EU et de l’Europe avec l’Iran, l’Arabie, le Qatar, les maîtres du terrorisme et du djihad, on ne doute pas de leur penchant pour les accommodements contre nature. 

Je voudrais maintenant partager avec vous quelques-unes de mes colères :

En premier je crois vraiment intimement que combattre l’islamisme comme le font les Occidentaux, c’est-à-dire à la place des musulmans, est une erreur grave : c’est les libérer de leur devoir de défendre eux-mêmes leur religion et leurs pays, c’est les exonérer de leur obligation de s’acquitter de leur part dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, c’est les exonérer de leur responsabilité dans le développement de l’islamisme au sein de leur société et de son exportation, c’est enfin les empêcher de faire par eux-mêmes l’expérience historique, sans doute douloureuse, de la sécularisation de leur pays et de la révolution démocratique. C’est d’autant plus grave qu’au bout l’Occident sera accusé d’ingérence dans le monde musulman, ce qui relancera l’islamisme. Bombarder le Daesh comme le font les Américains et les Français est une autre erreur, elle installe les États arabes dans une situation de spectateurs observant l’Occident combattre la barbarie à leur place dans leurs propres pays. En 67 et en 73, si je me souviens bien, les États arabes unanimes ont su s’unir pour encercler et attaquer Israël, et avec d’énormes moyens, et avec la bravoure que l’on sait, pourquoi ne le font-ils pas aujourd’hui quand là réellement leur existence est menacée ? A part écraser leurs populations, que font leurs armées, pourquoi ne sont-elles pas au Daesh ? 

S’agissant de l’antisémitisme, la réalité est d’un triste absolu : personne ne le combat réellement et donc il avance allègrement, il organise même des spectacles très courus. L’islamisme ambiant que l’on ménage de peur qu’il se radicalise, lui offre une onde porteuse très puissante. Il faut sortir de ce chantage à la paix sociale pour les uns au détriment des autres, il faut lui mener une guerre totale, minutieuse, acharnée.

Je déplore enfin ce mouvement qui voit un peu partout les Juifs quitter leurs pays pour Israël. Quitter son pays c’est l’affaiblir et le livrer aux islamistes et aux antisémites, et leur installation en Israël n’est pas forcément bénéfique pour ce pays dont les ressources sont limitées et les difficultés déjà grandes. Je pense qu’on peut mieux aider Israël en restant dans son pays. 

Au-delà des discours œcuméniques, voilà ce qui peut réellement rapprocher les Musulmans et les Juifs : se battre ensemble contre leurs ennemis communs : l’islamisme et l’antisémitisme.

Un mot sur le conflit israélo-palestinien. Ce conflit a connu des évolutions de plus en plus complexes qui rendent sa résolution quasi impossible, il était israélo-palestinien, il est devenu israélo-arabe, puis israélo-musulman, puis israélo-islamiste, et le cercle ne cesse de s’élargir. Israël doit se battre sur trente-six fronts, et pendant ce temps ses amis se font distants comme s’ils s’apprêtaient à changer de doctrine. Une démocratie au cœur du monde arabe ne leur semble plus une idée sensée, elle crée trop de remous autour d’elle, elle met à nu les voisins, ça les enrage. On se demande si la reconnaissance d’un État palestinien qui se discute en ce moment un peu partout dans les pays occidentaux est un geste pour amadouer les djihadistes, ou si c’est un appui au processus de paix entre Israël… et qui d’autres au fait (le Fatah, le Hamas, l’Iran, le Daesh ?) ou si elle n’est pas tout simplement la mise en œuvre de cette doctrine, sacrifier Israël pour apaiser la colère des fous d’Allah. C’est une erreur grave. Se substituer aux Palestiniens n’est pas les aider mais les traiter en mineurs et les empêcher de se réaliser par eux-mêmes, c’est agir comme ont fait les États arabes qui depuis 1948 exercent sur eux une tutelle débilitante dont le résultat sur la région et le monde est effarant. Les Palestiniens devraient d’abord se libérer de ceux qui se veulent leurs tuteurs et décider par eux-mêmes de leur destin, c’est la seule voie digne. Quand on est libre, on est fort et quand on est fort, on sait faire la paix.

 Je pense qu’ils devraient agir comme Israël qui ne cède jamais à personne la moindre parcelle de sa souveraineté. 

Si la démocratie recule au Proche-Orient, dans cette région symbolique pour des milliards d’êtres humains, c’est le sens de l’histoire qui change de direction, c’est le retour à la préhistoire et aux grands exodes.

Merci de votre attention. 

© Boualem Sansal

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1 Comment

  1. Le mot “islamophobie” répandu par les chemises brunes decoloniales et islamistes (dont les “journalistes”) relève de l’incitation à la haine et de l’incitation au crime. Les islamistes savent qu’ils ont déjà gagné puisqu’ils sont même parvenus à inverser les rôles en se faisant passer pour des victimes et en culpabilisant leurs victimes. C’est du jamais vu ! C’est exactement comme le mot “antiracisme”…On peut aider une personne qui veut se suicider à s’en sortir mais on ne peut pas sauver des civilisations ou des sociétés qui s’autodetruisent et entraînent leur propre population dans leur chute.

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