Pierre Lurçat. Sabra et Chatila 1982-2022 – Quarantième anniversaire d’un mensonge métaphysique (I)

Sabra et Chatila 1982-2022 - Quarantième anniversaire d’un mensonge métaphysique (I),  Pierre Lurçat

Le quarantième anniversaire des massacres de Sabra et Chatila est l’occasion pour plusieurs médias de faire revivre le mensonge de la “culpabilité juive” dans ce massacre de Palestiniens musulmans par des Phalangistes chrétiens. Ajoutons que les récentes “révélations” de médias israéliens concernant la connaissance qu’Israël a pu avoir des événements en temps réel ne modifie pas fondamentalement la vérité énoncée par Ariel Sharon à l’époque : “Des goyim ont tué d’autres goyim, et ce sont les Juifs qu’on accuse…”

Si j’ai choisi Sabra et Chatila comme exemple emblématique des “mythes de l’antisionisme”, dans le cours donné sur Akadem et publié depuis en livre, c’est précisément parce que cet événement “est intégralement noué à la question juive, en tant qu’elle est le lieu auquel sont nouées l’angoisse du Bien et l’angoisse du Mal”, comme l’explique Eric Marty. “Sabra et Chatila en ce sens est un événement métaphysique, auquel le scénario du bouc émissaire confère une sorte d’universalisme spectaculaire qui ne peut que fasciner la planète”.

Rappelons brièvement les faits : entre le 16 et le 18 septembre 1982, des centaines de réfugiés palestiniens étaient massacrés par des milices chrétiennes phalangistes dans la banlieue de Beyrouth, sur l’instigation du chef des services secrets libanais, Elie Hobeika. Paul Giniewski, auteur de plusieurs ouvrages sur l’antisionisme, note à ce sujet qu’aucun des grands thèmes de la démonisation d’Israël n’a occupé l’avant-scène avec une permanence sans faille, autant que le massacre de Sabra et Chatila et le rôle prêté à Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.

On mesure à quel point le thème de Sabra et Chatila est demeuré vivace, dans la propagande palestinienne et dans ses relais occidentaux, à l’aune des innombrables textes, films, reportages et œuvres d’art qui lui sont consacrés jusqu’à ce jour. Citons à titre d’exemple, un remake du Guernica de Picasso, intitulé sobrement “Le massacre de Sabra et Chatila”, exposé au Tate Modern de Londres. La véritable logorrhée verbale, médiatique, artistique et intellectuelle, autour du massacre de Sabra et Chatila et de la prétendue responsabilité israélienne prouve, si besoin était, la véracité du constat fait par l’écrivain Paul Giniewski :

“Quatre des plus grands journaux américains y avaient consacré davantage d’espace qu’aux dix plus grands massacres qui avaient marqué la décennie 1972-1982, et qui comprenaient celui de l’Ouganda sous Idi amine, les 20 000 civils massacrés à Hama en Syrie, la boucherie de 2,5 millions de Cambodgiens par leurs compatriotes. Trois ans après les faits, un autre massacre eut lieu dans les mêmes camps, alors sous contrôle des Libanais chiites, faisant plus de 500 morts”. Et Giniewski de poursuivre : “Les mêmes quatre quotidiens américains y consacrèrent dix fois moins d’espace qu’au Sabra et Chatila “enjuivé”. En 1982, ce vrai, cet unique Sabra et Chatila digne de mobiliser la conscience universelle avait produit 10 000 mots sur 7 pages dans le même numéro de l’un des grands quotidiens : davantage que l’espace mérité par le débarquement allié en Normandie pendant la Deuxième Guerre mondiale”.

Autre exemple de cette disproportion et de cette logorrhée médiatique : le fameux texte de l’écrivain Jean Genet, “Quatre heures à Chatila”, auquel il doit une partie non négligeable de sa célébrité. Ce texte a donné lieu à d’innombrables commentaires, mises en scène, et jusqu’à un récent spectacle de danse. L’écrivain français au passé trouble, (qui se présentait lui-même par les mots “Jean Genet, voleur” à ses compagnons de cellule, pendant la Deuxième guerre mondiale), n’a jamais été autant apprécié et célébré que lorsqu’il a écrit ce texte et qu’il est devenu ainsi le “porte-parole” des Palestiniens, auxquels il a consacré de nombreux autres textes. Lisons à ce sujet l’analyse éclairante d’Éric Marty, dans son livre Bref séjour à Jérusalem :

“Sabra et Chatila n’est jamais apparu comme un événement au sens purement historique du terme – tel Austerlitz qui n’efface pas Wagram et qui n’est pas éclipsé par Waterloo – , il est apparu comme un surévènement, en tant qu’il rend inaudible le nom de tous les autres, en tant que les trois jours qu’il dura effacent les sept ou huit ans de guerre civile et de massacre qui le précédèrent et les huit ans de tueries qui suivirent ; il est apparu comme événement en tant qu’il est devenu l’unique événement par lequel l’on se remémore un très long épisode historique”.

Cette analyse d’Éric Marty décrit très précisément le processus par lequel Sabra et Chatila, en tant qu’élément du mythe plus large du “génocide du peuple palestinien” – devient un événement mythique, qui efface toute la réalité historique de la guerre civile au Liban et de ses innombrables crimes, commis par des factions tellement diverses et variées, qu’il est difficile de s’y retrouver… Mais dans la version mythifiée, tout devient très simple : il ne reste plus qu’un seul crime, celui des Juifs. “Des goyim ont tué d’autres goyim, et ce sont les Juifs qu’on accuse” – la fameuse expression d’Ariel Sharon – lui-même transformé en accusé principal – dit très bien, de manière lapidaire, ce que Marty analyse sous un angle littéraire.

La lecture par Éric Marty du récit de Sabra et Chatila fait par Jean Genet lui permet d’établir une distinction – essentielle pour notre compréhension du discours et des mythes antisionistes – entre le fait et l’événement : “Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique – il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente”.

“Tout le contraire d’un fait” – cette définition de l’événement s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture médiatique. En effet, comme l’écrit Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux médias… que le fait de respirer”. Si les médias, selon Éric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël, ce n’est pas, bien entendu, parce que les journalistes seraient des menteurs invétérés, mais plus prosaïquement, parce qu’ils ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent – ou plutôt ils créent – des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre. (à suivre…)

© Pierre Lurçat

Extrait de “Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain”. Pierre Lurçat. Ed. L’éléphant. 2022

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7 Comments

  1. Très intéressante analyse. Tout comme Jean-Paul Sartre, Jean Genet fait partie des plus ignobles salauds littéraires des temps modernes.

    A la suite du massacre de Munich, le pseudo intellectuel (“maître à penser” d’une bonne partie des sympathisants du PS de la NUPES et de LREM tout comme Genet) déclare “dans cette guerre, la seule arme dont disposent les Palestiniens est le terrorisme, c’est une arme redoutable mais les opprimés pauvres n’en ont pas d’autres”. Sartre et Genet ont ainsi énormément contribué au mythe du “Palestinien opprimé” et à la propagande antisémite devenue discours majoritaire. Et Jean Paul Sartre (écrivain totalement surestimé d’ailleurs) était coutumier de ce genre d’abjection.
    Je ne serais pas surpris que Macron ou son successeur les fasse entrer au Panthéon…

  2. Pourquoi “obscurcir”, “déformer”, “mutiler”, et ratatiner ainsi le sens du mot “Métaphysique”?
    Probalement par ignorance teintée d’une certaine dose de qualité snobinarde et narcissique, qui pousse certains “lettrés” plus ou moins savants à employer des mots dont ils ignorent Tout du sens réel.

    • Cher Monsieur,
      Relisez la citation d’Eric Marty, il définit très bien en quel sens il emploie le mot métaphysique..
      “Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique – il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente”.
      Comme tous les mots, celui-ci a plusieurs sens..
      Bien à vous
      Pierre Lurçat

  3. Cher Pierre,
    J’ai devant moi la « Revue d’études palestiniennes » intitulée « Jean Genet et la Palestine », un numéro hors-série publié au printemps 1997. En début de revue, page 7 à page 23, un article intitulé « Quatre heures à Chatila ». Le ton misérabilisme et sado-maso de Jean Genet s’y donne à fond. Tu as tout Genet dans ce numéro, passé aux rayons X, l’air de rien. J’ai lu l’intégralité de cette revue, j’ai enduré son lyrisme de bazar, son antisémitisme populacier.
    Je te cite un passage de ce lyrisme (en bas de la page 19) : « Les massacres n’eurent pas lieu en silence et dans l’obscurité. Éclairées par les fusées lumineuses israéliennes, les oreilles israéliennes étaient, dès le jeudi soir, à l’écoute de Chatila. Quelles fêtes, quelles bombances se sont déroulées là où la mort semblait participer aux joyeusetés des soldats ivres de vin, ivres de haine, et sans doute ivres de la joie de plaire à l’armée israélienne qui écoutait, regardait, encourageait, tançait. Je n’ai pas vu cette armée israélienne à l’écoute et à l’œil. J’ai vu ce qu’elle a fait ».

  4. Les accords du Caire en 1969 imposaient la presence des organisations palestiniennes au Liban pour lui faire payer sur le long terme son absence dans les guerres de 1956 et 1967.Le Liban se tint a l ecart de la guerre en 1973.En 1975 la guerre demarra apres une embuscade des Kataeb,principale milice des forces libanaises chretiennes, contre un detachement de la brigade Kadishieh,formation militaire du FLA,parti palestinien finance par l Irak.La guerre opposa l alliance Islamo Palestino Progressiste,d Arafat et de Kamal Joumblat (Mouvement National Libanais compose de 15 milices) aux Forces Libanaises des clans Gemayel,Frangieh (elimine en 1978) et Chamoun (elimine en 1980).Le president Assad,soutenu par Moscou,intervint contre les IPP car leur succes allait provoquer une intervention de Tsahal et placer Damas en position tres dangereuse d etre attaque de front (le Golan) et de flanc (la Bekaa).Les negociations permirent au Fatah de se recentrer sur le sud d ou partit le raid suicide de 1978,qui entraina l operation Litani,plan israelien d amenagement d une zone de securite,composee d une bande frontaliere confiee a l armee chretienne et shiite du “Liban libre” du major Haddad,et d un espace nettoye obligeant le Fatah a se replier plus au nord.Les accords de “camp david” donnaient une paix separee qui permettait a Israel de concentrer ses meilleures troupes sur le front nord,contre les IPP-sauf le PSP druze du fils Joumblat- et le corps expeditionnaire syrien qui sous le couvert des casques verts faisait tampon entre Beyrouth ouest et les chretiens.En 1982,l operation “paix pour la Galilee” visait a chasser le Fatah du centre et de Beyrouth,mais aussi a negocier avec Gemayel,presidentiable,un traite de paix definitif.Or cheikh Bechir avait decide de se jouer de Sharon,en l utilisant pour conforter son pouvoir, mais sans lui lacher la moindre concession juridique afin de rester en paix avec Assad.Les dominos tomberent les uns apres les autres,assassinat de Gemayel par le PSNS,represailles d Hobeikah,dont les troupes passerent les ligne israeliennes,sur les camps palestiniens dont les defenseurs avaient ete evacues sur leurs bases d origine (Kadishieh Irak/Badr Jordanie/Ain Djellout Egypte/Saika-Kezafiah-Kastal-Karameh-Yarmouk-Hattin Syrie) ou d autres pays.Hobeikah,asssassine en 2002,a mis en cause la participation des commandos israeliens en expliquant que Sharon voulait une retraite palestinienne generale sur la Bekaa,sous controle syrien,avec couverture antiaerienne sovietique,Damas ne pouvant franchir la ligne reliant Beyrouth est a la montagne.

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