Restitution de cinq des 12.000 livres de Georges Mandel, ministre juif assassiné par la milice vichyste

Pour des livres, il est «quasiment impossible» de «trouver des marques, des dédicaces» les reliant à une famille, observe David Zivie, un cadre du ministère de la Culture. Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

L’Allemagne a rendu à un ayant droit quelques ouvrages identifiés comme appartenant à l’ancienne collection de l’homme politique et résistant.

Cinq livres, sur un total de cinq millions volés aux juifs français, ont été restitués vendredi 15 juillet par l’Allemagne à un ayant droit d’un ex-ministre. Une goutte d’eau dans l’océan des spoliations nazies, mais un symbole fort, 80 ans après les faits. «À M. Mandel, ministre des Colonies. Hommage respectueux de l’auteur», écrivit au stylo Jacques Binger le 31 juillet 1938 sur l’une des premières pages de son livre. Quelques centimètres plus bas, le tampon rouge d’une bibliothèque de Berlin, et un autre, bleu : «restituiert» (restitué). La biographie Une vie d’explorateur, qu’il consacra à son père Louis-Gustave, un colonel et administrateur colonial en Afrique de l’ouest, est tombée dans l’oubli. Une édition originale se négocie aujourd’hui une trentaine d’euros sur internet.
Mais l’homme à qui elle avait été offerte, Georges Mandel, ancien ministre, fait partie de la mémoire française. De son vrai nom Louis Rothschild, il fut assassiné en juillet 1944 par des miliciens français proches du régime nazi. Georges Mandel, hostile à toute collaboration avec le régime d’Adolf Hitler, avait avant cela passé quatre années dans des prisons françaises et allemandes. De confession juive, tous ses biens lui avaient été dérobés. «Il y avait plus de 11 ou 12.000 tomes dans son appartement, des tableaux», raconte Wolfgang Kleinertz, veuf de Claude, l’enfant unique de Georges Mandel, qui elle-même eut une fille, décédée en 2020. Les cinq livres rendus vendredi «ne représentent pas grand-chose» de par leur «valeur intrinsèque», reconnaît Wolfgang Kleinertz. Mais «ils sont les témoins d’une période où l’on a commencé à brûler les livres, avant de brûler les gens», résume cet octogénaire à l’incroyable prestance.

En janvier 2019, un tableau appartenant à Georges Mandel avait été rendu à sa famille. Portrait de jeune femme assise, du peintre français Thomas Couture, avait été retrouvé parmi des centaines d’œuvres léguées par le collectionneur Cornelius Gurlit, dont le père Hildebrand, un marchand d’art allemand, est considéré comme un profiteur de guerre. Mais des deux tableaux de Canaletto, d’un autre de Gustave Courbet, d’un dessin de Rodin, d’une aquarelle de Turner ou encore d’un tableau d’Utrillo, quelques-unes des autres œuvres dérobées à l’ex-ministre, il ne subsiste aucune trace.

«Valeur sentimentale»
«La collection ne sera jamais reconstituée», observe Camille Noé Marcoux, un historien participant aux recherches, pour qui la remise du tableau de Couture relevait d’une «apparition miraculeuse». Alors que nombre d’appartements appartenant à des juifs ont été intégralement vidés durant la Seconde Guerre mondiale, les documents administratifs, factures et autres photos ayant été détruits, il est extrêmement compliqué de retracer la filiation d’une œuvre, qui plus est trois générations après, explique-t-il. Dans le cas du tableau de Couture, c’est un petit trou rebouché sur la toile, évoqué dans un dossier de succession, qui avait permis de prouver que le tableau appartenait bien à Georges Mandel.

Pour des livres, il est «quasiment impossible» de «trouver des marques, des dédicaces» les reliant à une famille, observe David Zivie, un cadre du ministère de la Culture travaillant sur les spoliations juives. Dès lors, «quand on peut le faire, c’est symboliquement très important». «Pour les familles des victimes, leur valeur sentimentale est énorme», juge Jérôme Bénézech, le directeur de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (Cives), qui souligne la «dimension franco-allemande» des restitutions du jour, voulues par des bibliothèques de Berlin et Dresde. «C’est à l’Allemagne qu’incombe la responsabilité de continuer à assumer (…) le vol de biens culturels commis par les nationales-socialistes», assure ainsi la ministre allemande de la Culture Claudia Roth dans un communiqué.

La première ministre française Élisabeth Borne a de son côté salué la restitution des ouvrages, «témoins du passé». «Ils sont ceux de Georges Mandel, mais aussi ceux de tous les déportés, de tous les prisonniers, de tous ceux que l’antisémitisme a voulu éliminer», a-t-elle affirmé lors d’une cérémonie. Un évènement aussi «pédagogique», alors que seront commémorés dimanche 17 juillet les 80 ans de la rafle du Vél’ d’Hiv – ce vélodrome parisien dans lequel 8.000 juifs furent enfermés avant d’être envoyés en camp de concentration -, que «tristement symbolique», selon Jacques Fredj, le directeur du Mémorial de la Shoah, où les cinq ouvrages seront conservés.

Alors qu’on a «tout pris, jusqu’aux petites cuillères» aux juifs spoliés, «l’essentiel des biens ne sera jamais rendu à qui que ce soit», poursuit-il. Souvent, «il n’y a plus personne à qui les rendre».

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