Christian Jacot-Descombes. Comment j’ai découvert ce (petit) quelque chose de juif en moi

La découverte du monde étant toujours interdite, il existe une alternative qui consiste à aller arpenter l’inconnu au-dedans de soi-même. La psychanalyse étant largement déclassée par les progrès de la science, c’est donc à Anne Wojicicky que j’ai confié un peu de ma salive. Cette brillante ancienne analyste financière a un sens familial de l’entreprise. Elle est non seulement la mère de deux enfants qu’elle a eu avec Sergey Brin, co-fondateur de Google, et la sœur de la patronne de Youtube mais elle est aussi, et surtout, la cofondatrice de 23andMe, l’une des plus importantes entreprises de tests génétiques personnels. Forte de 12 millions d’utilisateurs, 23andMe (comme 23 paires de chromosomes) vous révèle à partir de l’analyse de votre ADN (d’où la salive) vos principales prédispositions génétiques en termes de santé. Pour un supplément, vous avez le droit de savoir qui sont et d’où viennent vos ancêtres.

Comme tout le monde, j’étais plutôt intéressé à savoir lequel d’Alzheimer ou du diabète aurait ma peau en premier. Mais il se trouve qu’Amazon – Black Friday oblige – offrait les deux tests, santé et origines, pour le prix d’un seul.

Deux semaines plus tard, les résultats arrivent. La surprise ne vient pas de la partie santé. Non, plutôt de ce quart d’origine juive ashkénaze qui arrive sans s’annoncer. Jamais ! Au grand jamais personne dans ma famille n’a parlé ou évoqué l’existence d’un Juif en son sein. Ni dans mon entourage plus large, à l’exception si l’on admet ça comme un signe, de mes camarades d’école qui autrefois se moquaient de la forme de mon nez. Un bon tiers du patrimoine génétique attribué à la catégorie « Français et Allemand » peut paraître assez raisonnable pour un Suisse protestant dont les parents sont originaires du Jura, neuchâtelois d’un côté, vaudois de l’autre. En revanche, un quart juif ashkénaze, ça interroge.

Une grand-mère cachottière ?

La première réaction est évidemment le doute vis-à-vis de 23andMe. Est-ce bien sérieux ? Un généticien plus ou moins célèbre les accuse, dans un article, de faire de la « génétique de divertissement ». Mais ça sent la frustration de médecin qui ne pardonne pas à la technologie de lui avoir volé sa toute-puissance. Je finis par accorder mon crédit aux résultats de 23andMe car ils sont parfaitement consistants avec ceux d’un autre test, réalisé il y a quelques années et qui se limitaient aux prédispositions de santé.

La grand-mère suspecte

Après avoir admis cette surprise, comment l’expliquer ? A priori, la proportion de 25% fait penser, en toute logique, à un grand-parent. Mes soupçons portent d’emblée sur ma grand-mère paternelle dont j’avais oublié le nom de jeune fille. Au-delà du fait anecdotique que c’est dans cette lignée que nous sommes nombreux à porter un nez aquilin, c’est une famille qui cultive volontiers les non-dits, le terrain parfait des secrets de famille. On sait, par ailleurs, que Neuchâtel est l’un des cantons où les populations juives ont pu s’installer dès le 14e siècle. La Chaux-de-Fonds, près du Locle, et de la Chaux-du-Milieu, nos communes d’origine, accueille une communauté venue d’Alsace dès les années 1830 et sa belle synagogue est inaugurée en 1896. Les Juifs obtiennent la citoyenneté suisse à part entière en 1874, six ans avant la naissance de ma grand-mère. Entre temps, j’ai retrouvé son nom de jeune fille : Beausire, une famille vaudoise pur sucre ! Mais on sait qu’à cette époque, un certain nombre de familles juives changent de nom afin d’éviter les persécutions. Aurait-ce été son cas ? Autre piste : mon grand-père, son mari. On ne sait plus grand-chose de lui sinon qu’il s’est séparé de sa femme et qu’il a fondé un commerce d’huile, de savons et de denrées coloniales à Neuchâtel en 1922 et qu’il est né à… Strasbourg en 1876. Fruit illégitime d’amours adultérines alsaciennes ? Allez savoir ! Reste l’hypothèse, la plus plausible, de l’accumulation de plusieurs fragments, à travers divers ancêtres, de cet héritage juif ashkénaze.

Un sentiment d’appartenance

Les origines qui sont révélées dans les tests, façon 23andMe, sont géographiques. C’est une des raisons du succès de ces tests chez les Américains qui ont tous une lointaine origine étrangère (aux Etats-Unis). Or, la judéité n’est pas un pays, ni une région. Elle se définit par l’adhésion à une religion, une culture, une communauté, mais pas à une zone géographique. Comment expliquer dès lors la consistance ce groupe « juif ashkénaze » ? 23andMe et ses principaux concurrents expliquent qu’après leur arrivée en Europe de l’Est il y a environ un millénaire, les communautés juives sont restées séparées, par contrainte souvent et par coutume aussi, ne se mêlant qu’occasionnellement aux populations locales. L’isolement a lentement réduit le pool génétique, ce qui donne aujourd’hui aux Juifs modernes d’origine européenne un ensemble de variations génétiques identifiables qui les distinguent des autres populations. En d’autres termes, les Juifs ashkénazes sont génétiquement distincts…

Oui, on pressent à ce stade les prémisses d’une polémique. Elle n’a pas manqué de se développer en Israël, notamment lorsque le Rabbinat a réclamé, l’an dernier, des tests d’ADN à des prétendants au mariage qui n’avaient pas les papiers nécessaires pour attester de leur propre judéité à travers celle de leur mère. Tollé à Jérusalem ! Pour certains, c’est le retour aux années sombres : assimiler la judéité à une race rappelle de très mauvais souvenirs. Pour d’autres, c’est une manière de régler un des problèmes de l’immigration en Israël, lorsque les prétendants ne peuvent pas prouver leur ascendance juive. C’est aussi une manière de prévenir les maladies rares issues de la consanguinité fréquente dans le passé dans les communautés juives ashkénazes. Quoi qu’il en soit, la question demeure : la judéité peut-elle être déterminée par un patrimoine génétique ? Si oui, combien ? Si vous obtenez 51% vous êtes juif, si c’est 49% non ? J’ai demandé à un ami juif s’il pensait que 25% suffisait à faire de moi l’un des siens. Réponse : « il fut un temps où ça aurait largement suffi à t’envoyer dans un camp ».

Pour moi qui suis athée quand tout va bien et agnostique les jours de pluie, la question de la foi ne se pose pas vraiment. En revanche, celle de l’appartenance à une culture et à une communauté est une autre affaire. Je réalise, en jetant un œil dans le rétroviseur, que des signes de cette appartenance se sont manifestés tout au long de ma vie.

Des signes précurseurs

Le centre de recherche sur le cerveau de l’Université Hébraïque de Jérusalem, signé Norman Foster

Une passion pour la beauté d’Israël, une préférence marquée pour l’humour juif, en particulier celui de Woody Allen, une totale défiance de la pensée de gauche notamment depuis qu’elle est devenue le refuge de l’antisémitisme (qu’elle appelle antisionisme), une fascination pour les mystères de Jérusalem, une solide émotion à la découverte de l’Université hébraïque, fondée par Einstein et refuge des plus grands cerveaux, une kipa qui ne quitte jamais mon sac de voyage, sans compter… deux enfants prénommés Rachel et Salomon conçus à Jérusalem : j’aurais dû me méfier de quelque chose. Est-ce la force mystérieuse des secrets de famille dont on sait qu’ils pèsent souvent lourdement autant que silencieusement sur une destinée ? Ou alors, existe-t-il des traits génétiques qui orientent nos inclinations ?

23andMe propose en plus des données relatives à la santé et aux origines, une série de traits qui sont déterminés par les gènes. On parle ici de choses aussi diverses que la couleur des cheveux et des yeux, de la longueur relative des doigts, de la tendance au monosourcil ou aux pellicules, de la préférence pour le chocolat versus la vanille ou encore de l’habilité à détecter l’odeur des asperges. Je sais ainsi désormais que ma détestation de la coriandre (qui est à la cuisine ce que Greta est aux médias : il y en partout et ça donne le même goût à tout) est d’origine génétique. Du coup, je regrette que ce trait ne soit partagé que par 13% de la population testée. Rien, en revanche qui expliquerait un goût immodéré pour l’houmous ou la danse israélienne… Et 23andMe ne publie pas de corrélation entre les origines et les traits. On en restera là pour l’instant.

Une certaine fierté

A tout le moins, je peux dire maintenant qu’il y a une cohérence entre mes inclinations et mes origines diverses. La culture protestante est la mienne depuis l’enfance. J’y adhère pleinement et avec reconnaissance. Elle est à l’origine du capitalisme, sans lequel, nous serions certainement encore en train de nous éclairer à la bougie. Son côté austère m’agace parfois mais c’est aussi une qualité de la raison. Quant à cette judéité nouvellement venue, je l’accueille avec amour et fierté. Une amie me disait qu’elle aimait les Juifs car « ils ont un petit quelque chose en plus » (elle ne pensait manifestement pas à la circoncision). Je partage ce goût de l’exception, chère payée à certains moments de l’histoire. La civilisation et la culture juives ont été et continuent d’être un des plus précieux creusets de l’intelligence et du génie humain*. Sans prétendre à quoi que ce soit de cet ordre, j’assume volontiers le mélange des genres : juif athée protestant vaudois dont le credo pourrait se résumer ainsi : « même quand le beau menace, il faut privilégier la raison : des « mais » et des « si » plutôt qu’un Messie. Il n’y a qu’un Dieu et on n’y croit pas… tant ».

*La boutade de Stephen Dubner, le génial auteur de Freakonomics :  Marx said money is everything. Freud said sex is everything. And Einstein said everything is relative fournit un amusant échantillon de l’apport des Juifs athées à la pensée moderne. Il faut ajouter Ayn Rand à cette liste. Elle est l’auteur de Atlas Shrugged, ouvrage de référence de la pensée libertarienne. Quant à Stephen Dubner, on peut recommander la lecture de Turbulent Souls: A Catholic Son’s Return to His Jewish Family , qui est le récit de sa reconversion au judaïsme après avoir été élevé dans une école catholique suite à la conversion au christianisme de ses deux parents juifs.

© Christian Jacot-Descombes

Christian Jacot-Descombes a exercé successivement les métiers de neuropsychologue, animateur et journaliste de radio, journaliste de presse écrite et responsable de la communication d’une grande entreprise. Il voyage beaucoup parce qu’il pense que ça ouvre l’esprit et aussi parce que ses différentes expériences professionnelles lui ont démontré qu’il vaut toujours mieux voir par soi-même.

Son site: www.jacotdescombes.ch

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6 Comments

  1. Puisque vous nous faites partager tant de choses intimes, je me permets de relever une petite ambivalence tout de même.
    Vous glorifiez votre part juive et on voit bien à quel point c’est un désir ancien. Mais en éliminant d’emblée l’apport de la psychanalyse, c’est à dire Sigmund Freud et son génie (pas protestant disons) vous lui faites un sort radical : tchack ! Dès la première phrase ..

    • Bonjour, je réponds tardivement car je ne découvre que maintenant, au hasard d’une recherche sur Google, que mon article a été repris par ce média (sans que je le sache…). En fait, ce n’est pas tant mon ADN qui explique ma défiance de la psychanalyse que ma formation de neuropsychologue. C’est une vieille guerre : le cerveau contre l’âme en quelque sorte. J’ai choisi mon camp il y a longtemps et n’en ai pas changé.

      • Bonjour. Ce doit être “moi”, la responsable: d’ordinaire, je sollicite toujours l’accord de l’auteur, ne considérant pas “libre de droit” tout ce qui est sur le net. Veillez accepter ces tardives excuses… Sarah Cattan pour TJ

  2. Christian Jacot-Descombes a découvert un (petit) quelque chose de juif en lui.
    En fait, ce n’est pas un si petit quelque chose …
    Peut-être s’en doutait-il inconsciemment ? Mais c’est tout de même une surprise surtout quand on porte un prénom aussi chrétien.
    Mazel tov, Christian !

  3. Je n’avais pas remarqué cet article, quelle distraite je suis ! les prénoms chrétiens ,je crois qu’il y en a pas mal chez nous les juifs ,Christian d’accord ou Christine , rapport au Christ. mais sur le calendrier il y a écrit devant chaque prénom : st alors ?

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