Jean-Paul Fitoussi ! Tu nous manques déjà ! La France perd un de ses meilleurs économistes par Alain Chouffan

Quelle terrible nouvelle ! Foudroyante comme sa mort ! Survenue brutalement en pleine nuit ! Inadmissible ! Cruelle ! C’est un ami cher qui s’en va ce Vendredi 15 avril, à 4 heures du matin.

Jean-Paul Fitoussi était estimé non seulement par la communauté tune, en France bien sûr, mais également en Italie où il avait enseigné à l’Université Luiss de Rome, et avait occupé un siège au Conseil d’administration de Telecom Italia de 2004 à 2017. “ J’apprends avec émotion et tristesse la nouvelle de la disparition du professeur Jean-Paul Fitoussi, grand économiste à Sciences Po. Un pilier. Un ami, auquel je dois tant ” a déclaré vendredi l’ancien chef du gouvernement italien Enrico Letta. De son côté, le ministre de la Fonction publique Renato Brunetta, a salué “ un compagnon de tant de combats et un ami de l’Italie ” Et au cours de ses obsèques qui ont eu lieu vendredi après-midi au cimetière de Levallois-Perret, devant une foule immense, c’est Arnaud Montebourg qui lui a rendu un vibrant hommage.

Économiste keynésien et professeur à Sciences Po, spécialiste des théories de l’inflation, du chômage, et du rôle des politiques économiques, son parcours était impressionnant. Quel parcours ! Une colonne entière dans le Who’s who ! Du jamais vu ! Digne d’un Prix Nobel ! Professeur d’économie, Jean-Paul Fitoussi collectionne les diplômes (docteur en sciences économiques, agrégé des disciplines juridiques, politiques et de gestion), les fonctions ( doyen de la Faculté des sciences économiques de Strasbourg, Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), ainsi qu’à la LUISS Business School de Rome, visiting professor à l’Université de Californie (Los Angeles), membre de l’initiative for Policy Dialogue à Columbia University, Professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris, les titres ( Président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme créé pour faire entendre une voix indépendante dans le débat publique, 1989 à 2010, Président du Forum Nouveau Monde, membre du conseil scientifique de l’Institut François Mitterrand, Président du conseil d’orientation de la Fondation Ecologie d’avenir, membre du conseil d’administration de Telecom Italia, et membre du conseil de surveillance de Intesa Sanpaolo….sans oublier coauteur avec deux Prix Nobel, Joseph Stiglitz et Amartya Sen, du Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social.

A ce chef de file du courant néo keynésien, réputé pour son éclectisme et sa vision anticonformiste, hétérodoxe comme il le revendique, Sciences-Po a consacré, le 22 janvier 2013, une journée entière qui porte son nom Jean Paul Day. Parmi les participants, pas moins de cinq prix Nobel (Kenneth Arrow, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Edmund Phelps et Robert Solow. Les grands thèmes “fitoussiens”, bien sûr, furent à l’honneur : économie du bien-être, déficit démocratique européen, soutenabilité et prise en compte du “capital social”. François Hollande devait clôturer cette journée, mais retenu en dernière minute, il a été remplacé par un autre anticonformiste, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, à qui est revenue la charge de clore cette journée historique.

Sollicité par tous les médias européens pour de nombreuses interviews, Jean-Paul Fitoussi avait encore trouvé le temps de publier de nombreux articles dans la presse européenne ainsi qu’une chronique régulière dans Le Monde – dont j’ai gardé de nombreux articles. Sans oublier bien sûr, la publication de livres, une quinzaine, sur des sujets les plus divers, dont le dernier, au titre original “Comme on nous parle : l’emprise de la novlangue sur nos sociétés” (1) Il y dénonce entre autres les mots qui disparaissent. Et de donner un exemple : “ Il y a vingt ans, quand on parlait du salaire, il y avait le salaire direct et indirect ” écrit-il dans son livre, en expliquant que “le direct était perçu par le salarié et l’indirect était le salaire différé qui allait rendre service aux salariés (assurance maladie, assurance chômage, retraite). Désormais, le salaire direct est devenu le salaire net, et l’indirect “s’appelle désormais les charges sociales”. “Ça a une connotation complètement différente. Ce n’est plus partie intégrante de l’amélioration des conditions salariales, c’est au contraire ce qui pèse sur les salariés.” Ainsi ce qui, à la base faisait partie du panier des salariés, devient une charge qui convient de diminuer allégrement, en réalité en diminuant le salaire global, qui est la somme des deux. On fait plaisir aux entreprises. Au lieu de réduire les charges salariales, on réduit au final le salaire des salariés”. Fallait y penser !

Né le 19 Août 1942, à La Goulette (port de Tunis), Jean-Paul Fitoussi, figure de proue du keynésianisme français, ni marxiste, ni libéral, a cherché avant tout à réhabiliter le père des politiques de relance, au regard de la crise économique, qu’il analyse par le menu, des subprimes aux dettes européennes. Lors de l’élection présidentielle de 2017, il apporte son soutien à Emmanuel Macron (2). En septembre 2020, lors d’une interview pour la chaîne YouTube Thinkerview, Jean-Paul Fitoussi déclare “Aux dernières élections, toute honte bue, j’avais soutenu Macron” et “je me suis fait berner”.

Alain Chouffan

(1) Edition Les liens qui nous libèrent . 2020
(2) « L’appel de quarante économistes : “Pourquoi nous soutenons Emmanuel Macron”. Le Monde. 12 avril 2017

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