Mathias Thépot. Affaire McKinsey : Karim Tadjeddine, ce consultant qui incarne la connivence avec la Macronie

Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau parisien de McKinsey a vécu, et c’est un euphémisme, deux heures compliquées face à la représentation nationale en janvier dernier.
IP3 PRESS/MAXPPP

Sous le feu des projecteurs depuis son audition publique au Sénat, Karim Tadjeddine, l’un des dirigeants de McKinsey France, incarne ce qui est actuellement reproché au cabinet de conseils : le mélange des genres avec la Macronie et une vision de l’intervention de l’État plus performative que sociale.

Il est le personnage par qui le scandale McKinsey est arrivé. Auditionné au Sénat en janvier dernier par la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseils privés sur les politiques publiques, Karim Tadjeddine, directeur associé du bureau parisien de McKinsey a vécu, et c’est un euphémisme, deux heures compliquées face à la représentation nationale : fébrile pour justifier la mission à 500 000 euros de McKinsey visant à évaluer les évolutions du métier d’enseignant – une séquence qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux – mais très évasif quant à ses liens de proximité avec la Macronie et ses potentiels conflits d’intérêts. Et surtout trop sûr de lui quand il a affirmé que McKinsey payait tous ses impôts en France.

« Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France », a-t-il lancé. Un naufrage, car après vérification, les sénateurs ont dévoilé dans leur rapport que McKinsey n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés depuis dix ans – ce que le cabinet conteste – donnant à la publication du rapport sénatorial le 16 mars un écho médiatique d’envergure.

Mais qui est donc ce consultant qui a commis cette sortie de route malheureuse pour l’image de son cabinet ? Surdiplômé – X Ponts, École normale supérieure –, gros bosseur – il est surnommé « RoboCop » en interne pour son incroyable force de travail –, Karim Tadjeddine est devenu, quelques années après son arrivée chez McKinsey en 2006, coresponsable de l’activité de conseil au secteur public en France. Il est l’expert qui donne aux dirigeants politiques des solutions clés en main pour, entre autres, mener des « réformes de structures » (retraites, chômage, marché du travail, etc.) ou rationaliser les dépenses publiques.

Son service ne représente certes que 5 % de l’activité de McKinsey en France, mais a conseillé notamment le gouvernement de Nicolas Sarkozy pour la mise en œuvre de la sanglante révision générale des politiques publiques (RGPP), qui visait à tailler dans les dépenses sociales et celles des collectivités territoriales. Et son service a également briefé Bercy, au début du quinquennat Hollande, pour réaliser les milliards d’économies promises à Bruxelles, comme Marianne l’expliquait déjà en 2016.

En 2007, Karim Tadjeddine a en parallèle fait une rencontre importante : il était l’un des rapporteurs de la Commission Attali dont le but était de définir un agenda de réformes structurelles pour la France, où il a côtoyé le jeune Emmanuel Macron. Les deux hommes ont conservé les années suivantes une proximité idéologique forte, adhérant notamment au même think tank « En temps réel » jusqu’à l’élection présidentielle de 2017, où Tadjeddine a conseillé Macron sur le volet économique de son programme électoral. Il s’est d’ailleurs fait épingler pour cela par les Macron Leaks car il utilisait son adresse e-mail professionnelle de McKinsey avec l’équipe de campagne En Marche.

À bien y réfléchir, on serait en fait tenté de dire que Karim Tadjeddine incarne ce qui est actuellement reproché à McKinsey : un mélange des genres avec la Macronie, couplée à une vision commune de l’intervention de l’État plus performative que sociale, qui nécessite un recours quasi systématisé aux cabinets de conseil. Dans la préface de l’ouvrage collectif l’État en mode start-up (Eyrolles, 2016), auquel Karim Tadjeddine a également participé, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, ne disait pas autre chose : pour être « efficace », « l’État doit sans cesse recourir aux outils dont il dispose : la consultation, l’expérimentation et l’évaluationC’est cette méthode qui nous permettra de répondre à l’unique question qui vaille : chaque euro dépensé l’est-il de la manière la plus efficace et la plus juste qui soit ? ». Constat partagé par Karim Tadjeddine devant les sénateurs : « l’essentiel est d’analyser le rendement économique et social de chaque euro investi », expliquait-il doctement.

Néolibéralisme

Chez Macron, cette vision comptable et normative de l’intervention de l’État est guidée par une conviction profonde, que l’on peut qualifier de néolibérale : c’est à l’État de s’adapter au marché, et non l’inverse. « Rien ne justifie qu’il prenne du retard vis-à-vis des acteurs privés », écrivait-il aussi. Condamné à subir la concurrence du secteur privé qui viendrait « proposer des services commerciaux concurrents des services publics », l’État devrait dès lors se « transformer », et se « moderniser ». Cela tombe bien : des réformes, des méthodes et des modes d’organisation, McKinsey en a plein les tiroirs ! Un parfait rouage du néolibéralisme macronien, en somme.

Par exemple, toujours dans l’État en mode start-up, Karim Tadjeddine conseille aux décideurs publics de ne pas hésiter à se fixer des objectifs exagérément ambitieux car cela « peut permettre d’augmenter durablement la croissance ou de réaliser des économies substantielles ». Pour baisser les dépenses, mieux vaut donc viser la lune, car en cas d’échec, on atterrit tout de même dans les étoiles ! Et pour « rationaliser des finances publiques », il conseille à l’État d’être à la manœuvre car « les résultats sont triplés s’ils sont menés dans un cadre centralisé ». À bon entendeur pour les cut killers !

Mais attention toutefois à la « résistance interne au changement », avertit le consultant, qui peut mettre à mal les velléités des audacieux réformateurs. Pour mener à bien la transformation de l’État, « il faut en effet une conviction forte de l’opinion publique que le changement est devenu inéluctable ». Dans quelle circonstance est-ce possible ? Lors de « l’élection d’un nouveau chef de l’État » ou « d’une crise économique ou politique ». Et pourquoi pas les deux ? « L’arrivée au pouvoir d’un chef d’État en temps de crise présente le kairos [le bon acte au bon moment] par excellence », s’enflamme Tadjeddine. Vu les circonstances actuelles, on n’en est pas loin. Mais si Macron était réélu et écoutait (un peu trop) ce type de conseils, par exemple en lançant une nouvelle réforme des retraites, du marché du travail ou de l’assurance chômage, il n’est pas certain que le peuple l’entende de cette oreille…

© Mathias Thépot

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