Joëlle Galimidi. Moi Esther, reine de Perse, héroïne désignée volontaire

C’était du temps d’Assuérus, de cet Assuérus qui régnait depuis l’Inde jusqu’en Égypte.

Je suis née à Suse, la capitale de l’empire d’Assuérus.

Ma famille venait d’être déportée de Jérusalem avec les captifs emmenés de Jérusalem par Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui a détruit le Temple en 586 avant EC.

Mes parents, que je n’ai pas connus, m’ont appelée Hadassa Esther, ça veut dire « étoile », (comme star ou astral), ou alors « caché » en allusion à Dieu qui agit dans mon histoire en cachant sa face, ou encore d’après la déesse locale Ishtar (un peu comme si vous Juifs français appeliez votre fille Marie-Christine ?!?)

C’est mon cousin Mordékhaï qui m’a élevée.

Le roi Assuérus, qui, sur le conseil de son Premier ministre, s’était débarrassé de la reine parce qu’elle avait refusé de paraitre nue à un banquet, a organisé un concours de beauté “Miss Perse” pour choisir sa nouvelle reine, et comme je suis une des 4 plus belles femmes du monde, et modeste comme mon ancêtre Rachel, j’ai eu la “chance” de gagner.

Imaginez une jeune fille sortant de l’école Loubavitch pour filles Haya Moushka du 19ème, qu’on met dans un harem pour la pomponner et la tremper dans l’huile d’olive et les épices pendant un an (j’avais l’impression d’être une boulette) puis qu’on amène à la cour de Versailles pour la marier à Louis XIV.

Sur le conseil de Mordekhaï, je n’ai dit à personne que j’étais juive, même si les Juifs étaient bien intégrés à Suse, invités aux festins du roi, occupant de hauts postes au palais. Mordékhaï lui-même avait dénoncé un complot contre le roi, mais il savait que tout pouvait basculer du jour au lendemain :

  • un jour Joseph est vice-roi d’Egypte, et un siècle après on se retrouve esclave,
  • un jour Léon Blum est Président du Conseil et deux ans après c’est la Shoah.

On aurait dû faire notre Aliah en 538 quand le roi Cyrus a autorisé les Juifs à retourner en Judée rebâtir le Temple.

Déjà que ma vie était fichue : un mariage forcé avec un idolâtre antisémite, pratiquer la Torah en cachette, devenir végan puisque je ne pouvais pas demander de viande casher, me couper de toute la communauté y compris mon cher Mordékhaï!

Et ça n’a pas loupé : alors que tout allait bien, le Premier ministre Haman a convaincu le roi de nous faire tous massacrer en lui disant : “Il est une nation répandue, disséminée parmi les autres nations dans toutes les provinces de ton royaume; ces gens ont des lois qui diffèrent de celles de toute autre nation; quant aux lois du roi, ils ne les observent point: il n’est donc pas de l’intérêt du roi de les conserver.”

En fait Haman, qui avait tout ce dont on peut rêver, était enragé parce que Mordékhaï refusait de de prosterner devant lui.

Alors, Mordékhaï m’a fait dire d’aller voir le roi pour intercéder pour notre peuple.

Je lui ai fait répondre : “Hors de question, tu sais bien que se présenter devant le roi sans avoir été convoqué peut être puni de mort !”

Je n’avais rien d’une héroïne : j’aurais pu demander grâce au roi pour Mordekhai et moi la prochaine fois qu’il me convoquerait…

Et là Mordékhaï me fait dire que si je ne m’en charge pas, la délivrance arrivera par un autre moyen (c’est grâce à cette allusion à Dieu que mon histoire a été acceptée dans la Bible) et que si ça se trouve, je n’avais été choisie reine que pour ça.

Il faut dire que mon ancêtre le roi Saul avait désobéi à un ordre divin en tardant à exécuter le roi des Amalécites, lui permettant d’avoir une descendance, dont Haman ; il me fallait donc empêcher Haman de génocider mon peuple pour réparer la faute de mon ancêtre.

Bref, j’étais coincée et terrorisée !

J’ai imaginé un plan compliqué en plusieurs étapes :

1) J’ai fait demander que tous les Juifs de Suse prient et jeûnent pour moi,

2) Je me suis vêtue de mes atours de reine et d’inspiration divine * : et oui, je suis la dernière des 7 prophétesses de la Bible, mais comme je suis modeste, je le dis en passant,

3) Je suis allée voir le roi et il ne m’a pas fait mettre à mort, jusque-là tout va bien,

4) J’ai invité le roi et Haman à un festin privé, mais j’ai eu l’impression que c’était trop tôt pour présenter ma requête,

5) J’ai re-invité le roi et Haman à un second festin le lendemain, en tablant sur sa vanité pour qu’il accepte l’invitation VIP dans mes appartements privés. S’il avait flairé un piège et décliné poliment, je ne sais pas ce que j’aurais fait…

6) J’ai dit au roi qu’Haman voulait tuer mon peuple. Le roi a fait l’innocent, genre il ne voyait pas du tout de quoi il s’agissait, ou alors il avait vraiment oublié ; l’empathie, c’est pas son truc.

Conclusion, Haman a été pendu. Juste retour des choses : Assuérus s’est débarrassé de sa femme à la demande de son Premier ministre, puis il s’est débarrassé de son premier ministre à la demande de sa femme !

J’ai obtenu que les fils d’Haman qui avaient été déjà tués soient pendus : allusion prophétique cachée au procès de Nuremberg ? ou juste une demande d’exposition de l’ennemi vaincu sur une potence ? A vous de choisir.

Aucun Juif n’a été tué, ils sont presque tous restés joyeusement en galouth et j’ai obtenu que la fête de Pourim soit instituée pour toutes les générations.

Pourim est une fête joyeuse et les petites filles adorent se déguiser en moi, elles ne réalisent pas que j’ai dû épouser ce gros porc d’Assuérus, porter son enfant et rester avec lui après Pourim…

On peut toujours visiter le mausolée où je repose avec Mordekhai à Suse, qui s’appelle maintenant Hamadan, dans le nord de l’Iran: les Mollah, bien qu’antisémites, ne l’ont pas détruit.

Une image contenant arbre, extérieur, ciel, bâtiment

Description générée automatiquement

***

* cette figure de style que vous avez oubliée depuis votre bac Français s’appelle un zeugma (ex: “Il a posé une question et son chapeau”)

Sources :

Cours du rabbin Mickael Azoulay sur Esther

Cours du Rav David Uzan sur Pourim

Le Code d’Esther : Une contre-enquête, Emmanuel Bloch https://aderaba.fr/codedesther/

Talmud Esther Rabbah 1

Talmud Meguila 13a 14b 15a

http://yechiva.com/product/combien-de-temps-a-reellement-dure-lesclavage-en-egypte/

© Maître Joëlle Galimidi

Maître Joëlle Galimidi, avocate depuis 32 ans, est Associée du Cabinet d’avocats HM Galimidi, Avocats à la Cour d’Appel de Paris.  

Impliquée dans des associations juives (le kibboutz de Paris, Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett , Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett (l’ECUJE, Adath Chalom, Graines de Psaumes, Assises du judaïsme du Consistoire de Bordeaux de novembre 2019) 

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1 Comment

  1. Raison gardons. Ce n’est pas vraiment une histoire pour enfants. Voici une relecture adulte.
    « La belle et vertueuse Esther », nous racontent les commentateurs de la « Meguilah »… Allons, allons. Belle peut-être ; mais sa vertu laissait sans doute à désirer. Car brièvement cela se déroula ainsi :

    Mardochée, employé juif à la cour impériale perse au cinquième siècle avant l’ère chrétienne, avait une jolie nièce nommée Esther, dont il fut tuteur.

    Nièce que Mardochée réussit à mettre dans le lit du roi histoire de se faire une alliée haut placée, en digne courtisan qu’il fut sans doute. Oubliant dans le feu de l’action que Juive, Esther n’avait, en principe, rien à faire dans le lit d’un Goy, même royal ; normal puisque la Meguilah, on le reverra plus loin, est un document résolument laïc voire païen.

    La manœuvre, couronnée de succès, a valu à Mardochée l’ascendant sur son ennemi Haman, autre courtisan (et puissant ministre) représentant une ethnie rivale ; et finit par coûter la vie au dernier, à ses dix fils pendus haut et court et à, excusez du peu, soixante-quinze milles (!!!) des siens, massacrés par les Juif vainqueurs (selon la Meguilah).

    L’histoire est tout sauf morale mais hélas classique ; lutte à mort entre courtisans pour une parcelle de pouvoir, intrigues de cour épicées d’affaires d’alcôve, chaque belligérant représentant son lobby ethnico-religieux et prêt à exterminer ceux d’en face.
    Le tout à l’ombre d’une monarchie absolue ; comme il y en avait tant dans tous les royaumes dont, évidemment, celui de France.
    Relisez l’Histoire de ce pays ; l’édit de Nantes, par exemple, sa révocation et ses sanglantes conséquences dont la nuit de la Saint-Barthélemy semblent résonner d’un lointain écho de la Meguilah.
    Je vous fais grâce de la sacro-sainte Révolution dite « française » et sa « terreur » assortie. Ainsi que de l’Histoire de la Grande-Bretagne et j’en oublie.

    Pour les leçons de morale on cherchera donc ailleurs que dans la Meguilah.

    D’autant que les mariages d’intérêt pour incarner une alliance (engendrer un successeur commun, rattacher au trône un territoire ou une ethnie, ou assoir un pouvoir comme fut le cas de Mardochée) furent encore récemment la règle ; facilités, au temps dont nous parlons, par la polygamie généralisée.

    Une vision juive répandue de la situation à l’époque décrit les juifs comme « …dispersés, depuis la Captivité, dans le vaste empire des rois Persans successeurs des rois de Babylone… ». Sur la forme cette description est irréprochable ; mais sur le fond elle contribue à maintenir un mythe porteur d’erreurs de jugement.

    Car captivité ? Laquelle ? S’agissant probablement de l’exil (partiel…) imposé aux juifs par Nabuchodonosor suite à la destruction du premier temple de Jérusalem au sixième siècle avant l’ère chrétienne, sachons que forcé, il ne fut que pendant 50 ans ; suite à quoi l’empire babylonien tomba sous les coups de son ennemi perse et les Juifs furent autorisés à retourner à Sion. Or, nombreux restèrent dans le nouvel empire, dispersés certes mais par choix délibéré ; ethnie et religion parmi tant d’autres, bénéficiant de l’autonomie accordée à tous par une monarchie prospère et éclairée, ayant leurs représentants auprès du pouvoir impérial et connaissant un essor de leurs institutions communautaires et scolaires (à l’origine du Talmud de Babylone, quand même…).

    Les juifs dont il est question à Pourim, entre autres Mardochée et Esther, furent de ceux-là. Ces prénoms étaient d’ailleurs tout sauf juifs ; « assimilés », ils sont sans doute ceux des divinités locales « Mordok » et « Ashtar ».

    Le royaume perse n’avait rien de particulièrement hostile à l’égard des juifs, comme démontre la déclaration solennelle de Cyrus, roi des perses portant « libération » des juifs suite à sa victoire sur Babylone, ainsi que l’issue finale de l’affaire de Pourim, favorable aux juifs par le fait de son successeur Assuérus dit Xerxès (אחשוורוש).

    N’en déplaise aux croyants, la Meguilah traite effectivement de juifs, mais plutôt en tant qu’ethnie et non en tant que religion ; c’est un récit parfaitement irréligieux. Aucune divinité, juive ou autre, n’y est évoquée. Les juifs dont on parle ne prient un quelconque dieu ni pour demander sa miséricorde ni pour le remercier ; leur sort est la conséquence d’un jeu d’alliances politiques et de leur propre détermination à se défendre voire à se venger.

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