Edith Ochs. J 16 : Marioupol : des mots plutôt que des images

Marioupol, 450.000 habitants il y a 2 semaines. Et combien aujourd’hui ? Dans cette grande ville en bordure de la mer d’Azov, au sud-est de Kyiv (Kiev), la situation est “quasi-désespérée”, martèle Médecins sans frontières. Aux informations, on entend que Marioupol attend de l’aide humanitaire dans la journée. A 3600 km de Paris, 3h30 d’avion. En Blablacar, l’autoroute passe par Cracovie.

Un charnier à Marioupol

Un ami m’a envoyé hier une vidéo trouvée sur la page du père Desbois, connu pour son fantastique travail sur la “Shoah par balles” en Ukraine. L’ami me met en garde bien sûr, les images sont atroces. La vidéo dure 2 minutes, elle est datée du 10 mars.

Oui, elles sont atroces, mais il reste un dernier espoir : sont-elles authentiques ? On voudrait croire que non. Qui sait, des esprits malades auraient pu réaliser un montage, destiné à démoraliser ceux qui sont fascinés par la force de ce peuple qui résiste à la volonté de Poutine ?

Mais malheureusement, l’horreur est là.

Un long fossé creusé dans la terre meuble au milieu d’un parc. Au fond, on aperçoit des arbres nus et plus loin, dans la grisaille, des immeubles.

Dans les commentaires, on apprend qu’il n’y a plus de place dans les morgues de Marioupol, alors on ramasse les corps et on les enterre dans des fosses communes.

Trois ou quatre hommes protégés par des masques chirurgicaux bleus — très actuels — attrapent des grands sacs poubelles en plastique noir avec des corps dedans qu’ils balancent dans la fosse, on les voit rouler sur d’autres corps au fond de la fosse. On distingue des vêtements rouges, une chaussure noire dans la terre meuble…

Le froid et la faim

Des gens qui font la queue dans le froid expliquent qu’ils n’ont plus d’eau, plus de chauffage et qu’il y a de moins en moins de nourriture.

Le site qui diffuse cette vidéo est Radio Slobodna Europa et la légende “Mariupoli, Ukrajina”, est incrustée à droite. Suivent divers commentaires d’internautes désolés, des prières, et cette question : “Et si nous étions à leur place ? Si les Russes nous attaquaient ?” Qui dit cela ? Un habitant d’un de ces pays “frères” qui n’a aucune nostalgie, visiblement.

La conquête russe de la mer d’Azov

On aimerait ne pas y croire. Et pourtant… Quand on écoute les reportages, le blocus, l’absence de nourriture, la destruction des hôpitaux, le pilonnage de la ville, on comprend que, oui, ces hommes épuisés qui balancent les corps dans cette fosse, cela se passe en ce moment dans la ville de Marioupol, au bord de la mer d’Azov.

Cette mer d’Azov qui communique avec la mer Noire, et dont Poutine a visiblement décidé qu’elle serait russe.

On est loin de l’époque héroïque des journalistes de guerre, avec Robert Capra et Gerda Taro sur le front antifasciste de l’Espagne. Leurs images en noir et blanc étaient fixes et pourtant, elles montraient les combats entre la terre et le ciel. Aujourd’hui, nous sommes endurcis à force d’être abreuvés d’images dont nous perdons le sens.

Alors pour une fois, peut-être pouvons-nous privilégier les mots plutôt que les images — même si c’est une illusion de croire que les mots préservent mieux la dignité des morts.

© Edith Ochs

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Edith-Image-3-ConvertImage-1564326678-200x200-1-1.jpg.

Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

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