Stand with Ukraine : le rassemblement du 5 mars Place de la République. Nidra Poller. Photos de Jiro Mochizuki et “Image” du graphite Aaron Levin pour TJ

A La République, samedi 5 mars 2022

[Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je n’ai pas pu suivre le rassemblement dans toute son étendue.]

Le maître mot, c’est « bienveillant ». Un rassemblement bienveillant, d’un calme paradoxal par rapport à l’horreur qui se déroule dans l’Ukraine soumise à l’assaut impitoyable de l’armée de Poutine. Il ne s’agit pas de l’angélisme des anti-guerre,  mais d’une force qui dépasse les cris et les slogans. Un rassemblement solennel, sérieux, courageux, solidaire, civilisé, tendre et déterminé. Une détermination en acier trempé. Un rassemblement hors catégorie.

Un samedi après-midi dans le Marais

Drôle d’animation banale dans le Marais ce samedi, 5 mars. Sur le chemin de la Place de la République, on dirait que rien n’est prévu. La circulation n’est pas bloquée. On ne voit pas de CRS en tenue de combat à chaque carrefour. On va trouver une mini-manif d’irréductibles ?

En arrivant par la rue Béranger, on voit des  Ukrainiens massés devant les commerces sur le trottoir qui longe la Place et, en petites grappes, sur la Place autour et en haut du Monument. A la droite, des drapeaux SDP (que je ne reconnais pas). Ce sont des citoyens tunisiens anti-putsch.  Est-ce qu’ils squattent le rassemblement de soutien à l’Ukraine ? En font-ils partie ? En tout cas, l’ambiance dans leur camp est très sage. Ils distribuent des tracts bien imprimés par les citoyenscontrecoupdetat @gmail.com,  dénonçant le putsch de Kais Saled du 23 juillet 2021, « une atteinte majeure à la démocratie et à l’indépendance de la justice ».

Aaron Levin, Graphiste

Plus loin, en remontant vers le nord, on voit des gens aux couleurs bleu et jaune de l’Ukraine se faufiler sans heurts à travers la foule d’anti-putschistes tunisiens qui, eux, chantent « Tunisiens, Ukrainiens ». Des pancartes et de petits drapeaux bleu et jaune.  Les « Amazones » affichent : « la femme ukrainienne n’est pas à vendre, les Ukrainiens ne sont pas à vendre ». Une petite poche de Cubains et de Vénézuéliens aux abords de la Place, puis la foule de plus en plus dense du rassemblement principal, qui contourne la Place et descend l’avenue de la République.   

De temps à autre, les marcheurs et les passants tapent dans leurs mains ; des applaudissements au rythme de la danse. Des chants, des chars, des notables cachés au sein du défilé avec, au-dessus de leur tête, les boom-micros.  Pas de gendarmes, de policiers, de CRS en vue. Pas de cris rauques. Pas de professionnels ès manifestation. Pas d’idéologues pacifistes. Des Ukrainiens et des solidaires divers : un peuple uni.

Une conscience collective de nos valeurs européennes : liberté et culture, élégance, respect, savoir-faire, l’Histoire incarnée dans l’architecture, la littérature, la cuisine. Civilisation.  Des valeurs gagnées sur des défauts énormes, domptés. Le choc, le terrible traumatisme de voir, en l’espace d’une dizaine de jours, la population d’un pays européen réduite à la proie d’un concentré de tout ce qui est maléfique dans notre histoire. Un pays construit à travers les siècles, exposé soudain, en 2022, à la brutalité à l’état pur. Bombardements sans pitié, mensonges sans limites, cynisme infini.

L’Europe, unie comme jamais : l’UE, l’OTAN, les Etats-Unis agissant de concert.  Des sanctions qui mordent. Les armes, les munitions, les volontaires internationaux arrivent, petit à petit, mais l’Ukraine reste un terrain de massacre à ciel ouvert. Nous sommes bouleversés d’admiration pour cette population, qui partage en grande partie avec nous, à l’ouest, le confort, un espace de développement, la liberté. Une population déterminée à résister jusqu’au bout. A mourir debout.

La ligne de démarcation

C’est là où les lignes se tracent aujourd’hui. Il y a la ligne de partage entre la démocratie et la tyrannie. Il y a la ligne entre résistance et soumission. Il y a la réalité ahurissante qui se déroule devant nos yeux : une dictature  est en train d’écraser un pays voisin, souverain. Et ses alliés, qui ont tout ce qu’il faut sur le plan militaire, n’osent pas stopper le carnage. Parce que Poutine nous fait le chantage à l’arme nucléaire. Qui peut savoir s’il vaut mieux relever le défi tout de suite, pour ne pas être obligé de le faire plus tard à un coût plus élevé ? Ou bien, devrait-on continuer à faire des acrobaties, en regardant l’Ukraine disparaitre dans le fracas des bombes, les flammes du bucher, une mer de larmes.

Pour se retrouver, nous, tenus en joue par l’arme de destruction massive. N’oublions pas l’annonce, faite par le despote lui-même, d’une mise en alerte de la force de dissuasion, en raison des « sanctions et des commentaires désobligeants ». Casus belli, déjà.

Je n’ai pas pu suivre le défilé jusqu’à la Bastille. Mais j’ai entendu l’hymne à la liberté dans son cœur. Vers 17 heures, les cars des CRS ont descendu le boulevard Beaumarchais, direction la Bastille.

Il n’y avait pas eu de casse. Pas de débordements. La racaille n’est pas venue. Les antifas et les Black Blocs sont restés chez eux.

Et je me demande comment on pourrait faire surgir, de cette volonté suprême, la marée humaine capable d’abattre les murs du Kremlin. Est-ce que ce sera le peuple libre ?  Une idée, une pensée  ? Une personne ? Qui ? Comment et quand ?

Mobilisation sans précédent

Il n’y a pas de comparaison. Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien à voir avec l’engouement pour les bonnes causes et les causes perdues. On n’est pas dans le registre d’une opinion publique chauffée à blanc par l’émotion. Ça ne rentre pas dans le schéma dominé-dominant avec de bons sentiments pour les pauvres qui souffrent. On ne voit pas le sourire béat des bien-pensants autosatisfaits. 

Il s’agit d’un réveil collectif devant un danger existentiel, un danger qui plane depuis des décennies et qu’on pensait ne jamais voir se concrétiser.  Il est là.

© Nidra Poller

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