Patrick Haddad. Commémoration à Sarcelles des dix ans des attentats de Toulouse et Montauban

Hommage à Myriam Monsonego, Jonathan, Arié et Gabriel Sandler, avec une partie importante de leur famille, notamment Eva Sandler.

Merci à toutes celles et ceux qui nous ont honorés de leur présence.

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Dix ans.

C’est la durée qui nous sépare de ce funeste matin de mars 2012 au cours duquel la vie d’un père, d’un professeur et de trois enfants fut ôtée.

Dix ans.

C’est l’âge innocent et plein de promesses que Myriam, Arié et Gabriel n’auront jamais connu, fauchés au beau milieu de leur enfance par la barbarie terroriste.

Dix ans.

C’est autant d’années que Jonathan Sandler aurait consacrées à la formation intellectuelle et spirituelle de ses élèves. Autant d’années qu’Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad auraient donné à la défense de leur pays, notre pays, la France.

L’Histoire a ses invariants dramatiques : lorsque les juifs sont visés, lorsqu’ils fournissent à une idéologie des coupables désignés aux malheurs du monde, alors la société entière a du souci à se faire.

C’est à des piliers de notre République et de notre démocratie que l’islamisme radical s’est attaqué en 2012 : aux forces armées, à la diversité de la société française, à l’école et au savoir. Ce sont des valeurs qu’on voudrait intangibles que le terrorisme a frappé de son glaive : l’innocence, la joie, la transmission, la présence normale et indispensable de la communauté juive en France.

La sidération qui s’abat sur le pays ne sera pas, avouons-le, à la hauteur de ce que ces crimes annonçaient. Longtemps, les autorités françaises se sont accrochées, contre l’évidence même, à la théorie du “loup solitaire”.  La montée en puissance de Daesh en 2013-2014 et les attentats qui se multiplieront sur le sol français démontreront combien ces loups étaient bien reliés, bien renseignés, bien fournis en matériel et en logistique, au nom d’une idéologie partagée, celle de l’islamisme radical.  

Nous ne savons que trop bien désormais dans quel bain funeste fut élevé le tueur de Montauban et de Toulouse, celui de l’antisémitisme le plus crasse, celui qui l’amenait à être surnommé “petit Ben” parmi les siens, en référence à Oussama Ben Laden.

La lutte contre le terrorisme requiert à l’évidence des moyens, une volonté farouche et un corpus juridique réactif, mais il faut également investir le champ des idées et celui des valeurs. Chacun devrait se sentir interrogé, taraudé même, par le fait que nombre de terroristes ont grandi en France et ont fréquenté les bancs de l’école de la République. Assurément, ces valeurs n’ont pas constitué un ferment suffisamment fort et solide pour empêcher la dérive mortifère de ces jeunes.

Ce qui me frappe dans le parcours des familles Monsonego, Sandler et Alloul, c’est l’absence de haine dans leurs mots, dans leurs propos. Leur œuvre, celle du Beth Sandler, chère Eva, celle de Yaacov Monsonego, père de Myriam, fondateur et directeur de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, parle d’amour et de transmission. Laurent Raynaud, le directeur des études de l’école, témoigne de la mission que s’est fixée Monsieur Monsonego : “transmettre des valeurs, faire des bons citoyens”. Alors qu’il est à Jérusalem pour enterrer Myriam, Yaacov téléphone à Laurent Raynaud et lui donne l’ordre de tout faire pour assurer la réouverture de l’établissement : “Je vous laisse l’école. Il faut qu’elle soit là quand je reviens”.

A ce visage de haine, à ce sourire imbécile du terroriste dont l’expression marque encore tristement nos mémoires, les familles Sandler et Monsonego ont répondu par la dignité, par la paix et la transmission, par-delà la douleur et la perte.

Pourtant, plus récemment, au tragique, à l’indicible, il a fallu rajouter l’ignoble. Au sujet de la sépulture de Myriam, de Jonathan Arié et Gabriel. Comme si l’indécence devait elle aussi être convoquée à la table des douleurs.

Ainsi, peut-on lire dans un livre sorti en septembre 2021 :

“La famille de Mohamed Merah a demandé à l’enterrer sur la terre de ses ancêtres, en Algérie. On a su aussi que les enfants juifs assassinés devant l’école confessionnelle à Toulouse seraient eux enterrés en Israël. Les anthropologues nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré. Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure en France ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France, étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort.”

A cette profanation symbolique, notre ami Samuel Sandler a su répondre avec justesse, dans une tribune parue dans le Monde et intitulée : « deux ou trois choses que je voudrais dire à Eric Zemmour ».

« Je voudrais d’abord lui dire que je suis d’accord avec lui quand il explique qu’il est dommage que des membres de la famille Sandler ne soient pas enterrés en France. Je regrette en effet que les cendres de ma grand-mère, Pauline Walter, se trouvent aujourd’hui en Pologne, où elle a été déportée en mars 1943, alors qu’elle habitait au Havre. Je pense qu’elle aurait préféré être enterrée auprès des siens, en France, au cimetière de Wissembourg, dans le Bas-Rhin, où notre famille est inhumée depuis le XVIIIe siècle… »

L’auteur des propos abjects cités plus haut est candidat à l’élection présidentielle. Il a micro ouvert dans tous les médias et a recueilli 620 parrainages d’élus.

A tout vous dire, je n’aurais pas cru dans cette France du XXIème siècle, voir une personnalité politique et médiatique réhabilitant Pétain et le régime de Vichy, vilipendant les parents d’enfants morts sous les balles d’un terroriste, appelant de ses vœux un “Poutine français” et recueillir autant d’audience, voire d’intentions de vote’

Comment ose-t-il ?

Quand on réhabilite Pétain et le régime de Vichy, on bafoue la mémoire des enfants de 1942, ceux du Vel d’Hiv. Quand on reproche aux Sandler et aux Monsonego leurs lieux de sépulture, on bafoue la mémoire des enfants de 2012, ceux d’Ozar Hatorah.

Oui, il y a danger lorsque le terrorisme frappe la France, frappe l’enfance, tue des enfants parce que juifs. Tue des jeunes gens assistant à un concert ou des familles admirant un feu d’artifice à Nice le 14 juillet 2016, assassine un prêtre catholique au beau milieu de son église.

Oui, il y a danger lorsqu’une partie de l’opinion publique française répond à cette menace par la tentation de la haine, de la stigmatisation de l’autre, nourrissant ainsi l’idéologie victimaire du terrorisme en un cercle particulièrement vicieux. On ne répond pas à la haine par une autre haine. La France a mieux à offrir à la communauté juive et à l’ensemble communautés qu’elle accueille, et fait vivre en son sein, qu’une vision manichéenne et duale visant à faire de l’autre un problème.

La tolérance, la fraternité ne sont pas des concepts creux ou faibles. La fraternité, c’est justement ce qui a permis à des milliers d’enfants juifs, durant la Seconde Guerre Mondiale, d’être sauvés en France par des familles non juives, au nom du principe d’humanité le plus élémentaire.

Ce que nous devons à la France dans laquelle auraient dû grandir Myriam, Arié et Gabriel, dans laquelle grandissent les élèves de Jonathan, ou ceux de Samuel Paty, c’est autre chose que l’étreinte éternelle de la colère ou du repli sur soi, autre chose qu’une coexistence ténue reliée par la simple volonté de protéger son individualité ou ses origines.

Ce que nous devons aux enfants de France, d’Europe, d’Ukraine, c’est la protection contre le terrorisme, contre la barbarie, contre l’horreur de la guerre. Et c’est aussi la foi en des valeurs fraternelles, nourries de la connaissance de l’autre. C’est le sentiment du devoir et de la solidarité. C’est, à l’image de ce que promeuvent les familles Sandler et Monsonego, bâtir une éducation, riche, solide, épanouissante préparant avec ardeur à l’exercice d’une pleine citoyenneté éclairée et exigeante.

A Arié, à Gabriel, à Myriam et à Jonathan, je dédie ces mots de Simone Veil, eux dont la lumière incandescente continue d’éclairer nos vies.

“Aussi longtemps qu’on s’entend, qu’on partage, on vit ensemble”.

© Patrick Haddad

Elu au Conseil municipal depuis 2003, adjoint à partir de 2014, Patrick Haddad est maire de Sarcelles depuis 2018.

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