Ypsilantis. En lisant le Journal de Mary Berg, rescapée du ghetto de Varsovie – 4/4

Miriam Wattenberg (Mary Berg), 1924-2013

17 juillet 1942. La famille de Mary Berg est conduite au commissariat de la rue Ogrodowa, par des policiers juifs, où se trouvent rassemblés sept cents Juifs, sujets de divers pays neutres et d’Amérique.

Vérification des papiers d’identité puis départ de la colonne conduite par des policiers juifs. On se presse sur les trottoirs pour voir passer les sept cents élus au point que la police doit faire usage de ses matraques pour repousser la foule. « Ce matin-là, seuls les infirmes et les malades n’avaient pas quitté leur lit ».

Le sentiment qui prédomine dans le ghetto est que le départ de ces Juifs prélude à la liquidation du ghetto.

Arrivée à la prison de la Pawiak. Des officiers allemands prennent la colonne en charge.

Contrôle. Les Américains et les Britanniques sont séparés des autres. 20 juillet. Encore un contrôle : il n’y a que vingt-et-un citoyens des États-Unis. La majorité des internés se répartit par ordre décroissant entre : Paraguay, Costa-Rica, Nicaragua, Équateur, Haïti, Bolivie, Mexique. Les Allemands ont besoin d’une monnaie d’échange pour récupérer leurs nationaux internés dans les pays d’Amérique latine.

Dans le ghetto, les rumeurs d’une déportation massive et imminente se font toujours plus insistantes. 21 juillet. Les patrouilles allemandes se multiplient et abattent des passants sans avertir et sans raison.

La famine devient générale. La prison est un paradis en comparaison, même si on y a faim.

Les déportations commencent le 22 juillet ainsi que les pogroms, essentiellement conduits par des Lithuaniens et des Ukrainiens de dix-sept à vingt ans formés par les Allemands. Ils ont remplacé les vieux gardes allemands qui fermaient assez volontiers les yeux sur les trafics auxquels se livraient des enfants affamés entre les quartiers « aryens » et le ghetto. Les déportations épargnent pour l’heure toutes celles et tous ceux (ainsi que leur famille) qui sont jugés utiles par les Allemands.

La police juive a reçu l’ordre de rassembler toutes celles et tous ceux qui doivent être déportés vers l’Umschlagplatz, rue Stawki. Les Allemands exigent un quota de trois mille personnes par jour.

D’après les informations que j’ai pu recueillir ce nombre était plus élevé ; mais je ne fais que rapporter ce qu’écrit Mary Berg. 

Une vue de la prison de la Pawiak 

De sa prison, la famille est tenue au courant de ces opérations par un gardien polonais qui habite rue Stawki et qui les larmes aux yeux leur rapporte de terribles détails.

Des fenêtres de la prison, Mary Berg observe un remue-ménage inhabituel. 23 juillet. Suicide d’Adam Czerniaków qui est remplacé par Mark Lichtenbaum.

Adam Czerniaków est lui aussi l’auteur d’un journal tenu dans le ghetto de Varsovie ; j’en conseille la lecture. 

Chapitre XII. Les enfants partent en promenade.

La prison de la Pawiak continue à se remplir d’otages choisis parmi les responsables de la communauté juive du ghetto. Malgré la surveillance, des Juifs parviennent à s’enfuir du ghetto. De sa prison, « un îlot perdu que baigne une mer de sang », la famille ne cesse d’entendre des coups de feu et des cris de désespoir. Les nazis exigent à présent dix mille personnes par jour pour remplir leur quota de déportés ; lorsque ce nombre n’est pas atteint, ils emploient la force. Ils ferment alors toutes les issues d’une rue puis pénètrent en force dans chaque logement et vérifient les cartes de travail. Ceux qui n’en ont pas ou qu’ils jugent incapables de travailler sont aussitôt embarqués, et ceux qui résistent sont abattus sur place. Il n’est pas rare que la famille de celui ou de celle qui est parti(e) au travail soit déportée au cours de son absence. L’asile du docteur Janusz Korczak (de son vrai nom, Henryk Goldznit) abrite des enfants de deux-trois ans à environ treize ans (description du cortège) ; ils ne sont pas déportés mais après avoir emprunté la rue Gęsia, ils sont fusillés devant le docteur Janusz Korczak qui est fusillé à son tour.

Les Ukrainiens et plus encore les Lithuaniens se montrent plus féroces que les Allemands qui, il est vrai, supervisent autant qu’ils le peuvent les opérations de tuerie et s’impliquent aussi peu que possible afin d’économiser leurs forces. Les Juifs survivants s’épuisent à se faire embaucher dans des usines allemandes. Les cartes de travail s’achètent à prix d’or. Dans la Pawiak, les internés s’organisent pour défendre leurs intérêts. Les fonctionnaires allemands auxquels ils ont affaire sont d’une parfaite correction. On ne tient pas compte de leurs requêtes mais on se montre parfaitement correct avec les détenus anglo-saxons car tels sont les ordres. Les gardes ukrainiens qui injurient les autres prisonniers et les frappent volontiers jusqu’au sang se montrent très courtois avec les Anglo-Saxons.

Les semaines passent. Les nuits sont épouvantables avec ces exécutions sommaires, isolées ou en groupes. Massacre dans le ghetto mais aussi dans la cour de la prison.

Cette prison de la Gestapo a également été un camp de concentration. Sous l’occupation allemande environ cent mille personnes passèrent par la Pawiak, près de quarante mille y furent exécutées et soixante mille déportées vers des camps de concentration et d’extermination.L’asile du docteur Janusz Korczak est transformé en garde-meuble car les Allemands récupèrent à peu près tout ce qu’ils trouvent dans les logements laissés par les Juifs.

Au rez-de-chaussée d’une maison visible de la prison on trie des produits pharmaceutiques pillés chez des particuliers et dans des pharmacies. D’après Mark Lichtenbaum en visite à la Pawiak, deux cent mille Juifs auraient été déportés et dix mille tués sur place ; il en resterait deux cent mille dans le ghetto.

La Résistance se montre de plus en plus active. Des nazis et des collaborateurs ukrainiens et lithuaniens sont abattus ainsi que des Juifs collaborateurs.

De leur côté, les Allemands liquident ceux dont ils n’ont plus besoin, parmi lesquels Kohn et Heller, propriétaires des tramways du ghetto et qui se sont immensément enrichis en profitant des malheurs de leur peuple.Les déportations rendent la Résistance de plus en plus active. Elle incite la population à s’armer plutôt qu’à se laisser mourir comme du bétail. Septembre 1942.

Les Allemands se mettent à déporter les Juifs qui travaillent pour eux. Tout le monde sait à présent que la plupart des déportés sont envoyés à Treblinka « où les Allemands les tuent pour faire l’essai de nouveaux engins de guerre ; personne toutefois n’a de précision ».

La deuxième vague de déportation s’annonce par un recensement obligatoire sous peine de mort. De plus en plus de Juifs se barricadent, préférant mourir chez eux que dans les camps. Des Juifs vont jusqu’à s’emmurer dans des caves avec des vivres et de l’eau. Un ghetto souterrain s’organise. Cinquante mille Juifs sont déportés à Treblinka tandis que d’autres sont abattus chez eux, principalement par des Lithuaniens. 

Chapitre XIV. La fin de la police juive.   

C’est au cours du jeûne du Grand Pardon que les nazis décident de réduire les effectifs de la police juive. Trois cent quatre-vingt policiers sont maintenus dans leur fonction tandis que plus de deux mille sont déportés avec leurs familles.

Ce même jour des avions soviétiques bombardent Varsovie, touchant principalement les aérodromes et la gare principale. Fin septembre. La zone du ghetto est considérablement réduite.

Tous les services administratifs de la communauté ainsi que les ateliers doivent déménager dans la nouvelle zone. Les ateliers qui ne peuvent déménager doivent être entourés de murs comme le ghetto et les travailleurs logés sur place.

Près de trente mille Juifs travaillent pour les Allemands et environ trois mille pour la communauté. Octobre 1942. Le ghetto n’est plus qu’un immense camp de travail. On ne circule que pour se rendre au travail ou en revenir. Tous les soirs vers onze heures, les bombardiers soviétiques s’en prennent à Varsovie. Les murs de la Pawiak tremblent. De sa prison Mary Berg assite au va-et-vient des charrettes qui emportent au garde-meuble ce qui a été volé aux Juifs. Parmi ceux qui doivent participer à ces déménagements, Władysław Szpilman.

Dans un terrible état de maigreur et en costume rapiécé, elle le voit qui s’efforce de transporter un piano à queue en compagnie de deux hommes. Un Allemand le frappe car il ne va pas assez vite.

Tous les Américains du quartier « aryen » de Varsovie sont à présent à la Pawiak. Mi-octobre 1942. Intensification des bombardements soviétiques. Impossible de dormir à cause des explosions. Les puces prolifèrent dans les chambres des internés dont les paillasses n’ont pas été changées depuis des mois. Les corps se couvrent de plaques rouges. La famille parvient à avoir des nouvelles du ghetto par l’intermédiaire du personnel de la prison qui par ailleurs se charge du courrier dans les deux sens. Il est question d’Oswiecim (Auschwitz) où sont envoyés de nombreux prisonniers de la Pawiak, « un camp d’extermination comme Treblinka ».On annonce aux citoyens américains qu’ils vont partir le 23 octobre à dix heures du matin. Le 23 octobre, environ cent cinquante citoyens américains (dont des ressortissants d’États d’Amérique latine), juifs et non-juifs, se tiennent prêts pour le départ.

Seuls les hommes partent, les femmes sont supposées partir le lendemain car les places manquent dans le train. Retour des citoyens des États d’Amérique latine. Seuls sont autorisés à partir les citoyens des États-Unis. Soulagement. Le père risquait la déportation car sans passeport américain et né en Pologne. 

Chapitre XV. Nouvelles journées sanglantes.

Il n’y aurait plus que quarante mille personnes dans le ghetto où les violences se poursuivent. On annonce aux Américaines qu’elles devraient partir le 16 décembre. Mary Berg lit avec passion un livre envoyé dans un colis : « Catherine, le monde brûle » d’Adrienne Thomas (Hertha Strauch). Catherine, son héroïne préférée depuis 1938, lorsqu’elle lisait « Catherine soldat ». Le départ prévu pour le 16 décembre est une fois encore ajourné.Description du mode d’extermination à Treblinka, avec ces subterfuges destinés à exterminer sans susciter la moindre panique, car la panique suppose une désorganisation de la procédure d’extermination, une baisse de rendement… Mary Berg tient ces informations d’une détenue qui les tient d’un Allemand employé à Treblinka et qui s’est confié à elle car ne sachant pas qu’elle était juive. Seule incertitude, la phase ultime de l’extermination à l’intérieur des chambres d’extermination : jets de vapeur bouillants, gaz ou courants électriques ?

Le récit des Juifs qui vivent cachés dans les quartiers « aryens » se recoupent tous. Malgré les conditions terribles dans lesquelles vivent les Polonais non-juifs et malgré les conditions encore plus terribles auxquelles sont soumis les Juifs, l’antisémitisme est partout. « Souvent ils (les Juifs) sont dénoncés par les Polonais chez qui ils logent : quand ils n’ont plus ni argent, ni bijoux, leurs hôtes les livrent aux Allemands ».

Pourtant, des Polonais, ouvriers ou intellectuels, risquent leur vie pour sauver des Juifs ; ne les oublions pas.Lettres du père qui se trouve au camp d’internement pour Américains à Tittmoning, en Bavière. Il reste quarante mille Juifs à Varsovie et le bruit court selon lequel les déportations devraient reprendre le 18 janvier.

Départ de la Piawak dans la nuit du 17 au 18 janvier à trois heures.

Chapitre XVI. Le camp d’internement.

Douze autocars de la police conduisent les internés vers le train. Il n’est pas stationné dans la gare mais à l’extérieur de la ville. Traversée de l’Allemagne. A Metz, Mary Berg a une pensée pour Catherine, son héroïne. Arrivée au camp de Vittel. La famille est coquettement logée. Nourriture abondante en provenance de la Croix-Rouge américaine. Des anecdotes charmantes, des détails amusants. Le parc magnifiquement arboré et son étang. Les grands hôtels. Les sources d’eau minérale. 

Chapitre XVII. La bataille du ghetto.  

Mary Berg reprend son journal à la mi-juin 1943. De nouveaux venus au camp de Vittel transmettent des nouvelles sur la fin du ghetto, la phase finale de l’extermination – déclenchée le jour même de son départ de la Pawiak, soit le 18 janvier 1942. « Nous avions franchi le seuil de la Pawiak à deux heures du matin et quelques heures plus tard de forts détachements de SS, de Lithuaniens, d’Ukrainiens ainsi qu’un régiment spécial de Lettons pénétrèrent dans le ghetto et commencèrent un pogrom ». Suit une assez longue description de la Résistance juive dans le ghetto. 6 août 1943. Le père de Mary Berg arrive enfin à Vittel. 21 novembre. Premier échange de prisonniers entre l’Angleterre et l’Allemagne ; un certain nombre de détenus quittent Vittel. Des rumeurs, des inquiétudes, des espoirs déçus, comme à la Pawiak. 

Chapitre XVIII. Vers la liberté !      

Le départ enfin ! « Comme à Varsovie, tout le monde venait nous voir, et chacun nous donnait le nom et l’adresse de ses parents d’Amérique ». Biarritz où s’arrête devant eux le train avec les internés allemands destinés à l’échange. « Ils sont venus d’Amérique pour l’échange ; nous éprouvions tous de la pitié pour eux ». Traversée de l’Espagne dont la pauvreté les frappe avec ces enfants en haillons qui demandent l’aumône. Traversée du Portugal vers Lisbonne. A bord du MSGripsholm. « Sur le pont, j’ai fait la connaissance des passagers militaires américains, ce sont des soldats blessés ou des aviateurs qui ont été descendus au cours de missions en Allemagne et faits prisonniers ; on les a échangés en même temps que nous. Quelques-uns ont été amputés d’un bras, certains marchent avec des béquilles : deux jeunes officiers sont affreusement défigurés par les balles, d’autres ont le visage brûlé ; enfin, il y en a un qui est amputé des deux jambes, mais qui a toujours le sourire. Je me sens très proche de ces Américains ; quand je leur ai raconté ce que les nazis ont fait au ghetto, ils m’ont comprise ». Le 15 mars, New York est en vue.

Et Mary Berg termine son journal sur ces mots en réaffirmant que par ce journal elle veut témoigner et ainsi inciter le monde à agir plus pour sauver celles et ceux qui peuvent encore l’être. « Je réclamerai le châtiment des assassins allemands et de leurs Gretchen qui sont en train de jouir à Berlin, à Munich, à Nuremberg, du butin des meurtres ; elles portent encore les vêtements et les souliers des nôtres qui furent assassinées ! »

Il s’agit bien d’un livre de combat. La guerre n’est pas finie lorsqu’elle débarque avec sa famille à New York où elle va aussitôt rencontrer, sur le quai, Salomon L. Schneiderman qui comprend aussitôt l’importance de ce document.

© Olivier Ypsilantis

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