Alain Chouffan : Rose, le film d’Aurélie Saada, à voir d’urgence

ROSE ! Quel film génial ! Inattendu ! François Fabian en mère juive tune !! Une mamma juive irrésistible ! Elle irradie de charme, d’humour, de malice dans le film ROSE (sortie mercredi 8 décembre), le premier film d’Aurélie Saada, l’ex-chanteuse de Brigitte.

On voit défiler, à table, tout ce dont les “Tunes” raffolent en cuisine : la Mloukhia, les boulettes, la chakchouka, la Ojja aux merguez, les pâtes à la sauce, la Pkaila, les makrouts. Un régal des yeux et des souvenirs. Tout en traitant des thèmes familiers : la vieillesse, l’envie de vieillir plutôt, le désir de l’amour, l’envie de faire l’amour, la jeunesse, la péremption des femmes, le deuil. Vite le sujet du film pour comprendre tout ça : Rose, c’est le nom de Françoise Fabian, est une petite douceur, un loukoum, dans le rôle d’une veuve de 78 ans, repliée sur son chagrin et qui s’étiole devant la télé. Elle vient de perdre son mari et elle peine à retrouver goût à la vie. Ses trois enfants l’entourent d’une affection étouffante. Ils lui téléphonent 10 fois par jour (“Maman ça va ?” Mais oui chérie ça va, je n’ai pas changé depuis 5 minutes !). Lors d’un dîner arrosé avec de la vodka, elle découvre Marceline Loridan, une vieille rescapée des camps de la mort, pétillante de joie. Rose en est fascinée par toute la joie de vivre qu’elle découvre. Elle rêve d’être comme elle. Mais comment ? Et voilà qu’on rencontre un jeune barman plus jeune qu’elle. Du coup Rose se métamorphose. Elle est saisie d’une pulsion incroyable de vivre. Elle ne supporte plus ses enfants qui la couvrent comme un bébé. Et encore avec leurs traditions.

Aurélie Saada nous régale avec ce premier film car Rose devient une septuagénaire pétulante. Elle sort, elle rit, elle découvre un nouvel appétit pour vivre. Le film bascule de la tristesse et de la gravité à une légèreté qui nous emporte. Rose est résolue d’en finir avec cette vie triste pour entamer passionnément les dernières années qui lui restent malgré ses enfants surprotecteurs et possessifs. La métamorphose de Françoise Fabian est époustouflante.

C’est l’histoire d’une révolution intime, celle d’une femme de 78 ans qui après avoir perdu son mari qu’elle aimait tant, se découvre et réalise qu’elle n’est pas juste une mère, une grand mère, et une veuve, mais qu’elle est une femme aussi, et qu’elle a le droit d’en jouir et de désirer jusqu’au bout de la vie. Elle plaît aux hommes plus jeunes, elle se sent libre, elle veut s’éclater, elle chante. Elle nous fait oublier son deuil, elle ressuscite, elle est rafraîchissante et moderne par son ton, avec quelques scènes de comédie bien enlevées. C’est un jeu bien sûr mais on se régale en la voyant jouer. bref, elle devient veuve désireuse de vivre une seconde jeunesse. Entre humour et émotion, cette Rose-là est irrésistible et parvient à nous emballer ! Un film à ne pas rater !!

La péremption des femmes est un sujet qui me hante, explique Aurélie Saada, la réalisatrice. Je me suis inspirée de femmes de ma famille et un peu de moi aussi, pour écrire ce rôle. Une fois ce personnage de juive orientale dessiné, pour moi il n’y avait qu’une actrice pour le jouer et transformer son destin : Françoise. Née en Algérie, elle partage la culture de Rose, son goût pour la cuisine, la chanson. Elle est magnifique, sensuelle, et n’a peur de rien…

INTERVIEW AURÉLIE SAADA

Quand le père de mes enfants est parti, je me suis retrouvée seule
J’ai grandi dans une famille juive tunisienne, bruyante, joyeuse, absolument pas religieuse, où les traditions se mangent, se chantent, se dansent, où les blagues commencent en français et finissent en arabe, et où les bracelets aux poignets des femmes sont des percussions qui nous bercent. On ne peut jamais se passer longtemps les uns des autres. On se dispute sans jamais arrêter de s’aimer.

Je viens d’un milieu où la pudeur et les silences se cachent dans le bruit, où la tribu est omniprésente, où l’on se dit qu’on s’aime par la nourriture qu’on partage ou par celle qu’on cuisine, où même la tristesse et le chagrin se vivent sur un air de fête… Chez les orientaux, de la joie vient se loger à toutes les étapes de la vie, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas triste, ça veut juste dire qu’on n’arrête pas de se réunir, et de partager… Les traditions nous poussent à nous retrouver régulièrement, à ne pas se lâcher les uns les autres… Ça peut avoir des côtés un peu envahissants parfois (rire).

Il était important pour moi de placer mon premier film dans ce décor parce que je ne voulais pas tricher. Je voulais que ce film me ressemble et ne rien emprunter à des cultures que je ne maîtrisais pas assez. Et puis souvent dans le cinéma français, le judaïsme oriental est caricaturé. Je voulais montrer son visage plus complexe, loin des clichés. Mais cela reste un décor, un costume, un parfum parce que le cœur du sujet n’est pas là. D’ailleurs ce film a beau être empreint de culture judéo-orientale, une amie corse et chrétienne m’a dit il y a peu : « c’est fou, c’est comme chez moi ». Je crois que nous, les humains, nous nous ressemblons beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

Avez-vous écrit en pensant à une actrice pour incarner Rose ?

En écrivant je pensais aux femmes de ma famille. J’avais besoin que ce film soit au plus près du réel. Les femmes orientales sont souvent considérées comme des mères avant tout. Leur liberté et leurs désirs sont tabous. C’est leur révolution qui m’intéressait.

Comment s’est imposée Françoise Fabian ?

Quand j’ai terminé la première version du scénario, j’ai tout de suite pensé à elle. Pour moi, elle est totalement cette femme plurielle, qui assume son âge et ne s’en est jamais caché. Et puis elle porte en elle cet orient chaleureux qui m’est si cher et familier. Elle a grandi en Algérie. Elle a l’audace, la sensualité, l’humour, la gourmandise, la gravité aussi de celles qui ont traversé des tempêtes.

Je l’ai rencontrée pour la première fois après qu’elle ait lu le scénario. Nous étions chez elle sur son canapé. Elle a pris ma main et m’a dit qu’elle voulait être cette femme, qu’elle était Rose, qu’il fallait que je lui promette qu’il n’y en avait aucune autre. Elle m’a dit qu’aujourd’hui le cinéma ne propose pas de rôles comme ça aux femmes de son âge, qu’elles ne sont plus bonnes qu’à jouer les grands-mères… Elle avait une envie absolue d’interpréter cette révolution intime. Un désir clair. C’est irrésistible. C’était magique, une véritable rencontre, une évidence. Entre elle et moi il y a quelque chose de très fort. Je crois qu’on s’aime beaucoup. Au-delà du rôle j’ai rencontré une amie, une sœur, un nouveau membre de ma famille. Les générations qui nous séparent ne nous séparent pas, au contraire, nous avons beaucoup en commun, un amour fou pour notre indépendance, un sens de la joie et une pulsion de vie qui nous animent profondément.

Qu’est-ce qui vous a le plus épaté chez elle ?

Sur le plateau j’ai aimé son engagement très fort, son sens du travail, sa générosité, son courage, sa vivacité, son peps, son endurance et la façon qu’elle a de tout donner, tout le temps, sa beauté et son humour. Rose joue un rôle lourd, difficile, exigeant.

Françoise était quasiment de tous les plans. Elle y a mis de son sang et de son cœur et c’est très palpable à l’image. Cette femme m’a bouleversée. Dans Rose, elle exprime des émotions très diverses. Cela nécessite énormément de concentration et une grande souplesse de jeu de la part de son interprète. Françoise a été incroyable d’intelligence, d’écoute et d’abandon. Dans les scènes de séduction, elle a fait preuve d’un panache extraordinaire. Quand on n’a plus vingt ans, ce n’est pas rien d’offrir à l’image quelque chose de sa sensualité et de sa sexualité – et dans les scènes plus légères, elle s’est montrée d’une formidable drôlerie. J’ai rarement vu une comédienne prendre autant de plaisir à jouer. Je pense qu’elle va subjuguer tous ceux qui viendront voir le film et au-delà. J’espère qu’elle va aider les femmes à se libérer, et à ne pas craindre le temps.

Pourquoi avez-vous choisi de faire de l’homme qui va réveiller
la sensualité de Rose, un restaurateur ?

Parce que j’aime les restaurateurs ! (rire) Pour le sens qu’ils ont des rapports humains et pour le plaisir qu’ils donnent aux gens. La nourriture est très importante pour moi. Cela se voit dans mon film : il n’y a pas une scène où on ne mange pas, où on ne fabrique pas quelque chose à manger. Quand je me suis rendue compte de la place qu’occupait la nourriture dans mon film, ça m’a fait rire !

C’est Pascal Elbé qui incarne le restaurateur. Il est merveilleux de délicatesse et d’humanité. Il y a peu de temps j’ai lu une phrase de Francis Ford Coppola qui m’a fait beaucoup rire, il dit : « Dans mes films je mets toujours une recette de cuisine. Comme ça si les gens n’ont rien compris, ils auront au moins retenu quelque chose ».

Comment avez-vous trouvé les comédiens qui allaient jouer ses enfants ?

Alors que j’étais en pleine écriture de mon scénario, j’ai dîné un soir en face d’Aure Atika et je me suis dit qu’elle était exactement la Sarah que j’imaginais, forte et fragile. J’aime les femmes charismatiques, elles m’inspirent terriblement. Je sentais chez Aure qu’elle pouvait parfaite ment être cette femme abrupte à l’extérieur, mais douce et suave à l’intérieur, comme l’est la figue de Barbarie, un fruit dont le goût délicieux rend au centuple les efforts qu’on doit faire pour le débarrasser de ses épines ! Après ce dîner, je n’ai plus écrit Sarah qu’en pensant à elle.

Pour trouver les frères de Sarah, Pierre et Léon, j’ai travaillé avec la directrice de casting Elo die Demey. Baignant plutôt dans le monde de la musique, je connais assez peu le milieu des acteurs. Elodie m’a présenté Grégory Montel et Damien Chapelle. J’ai été impressionnée. Grégory était le Pierre médecin que je cherchais : doux, rassurant, chaleureux, torturé aussi entre sa volonté de bien faire et son désir qui le dépasse. J’aime sa justesse, sa profondeur, son humour. Quant à Damien, il était le Léon dont j’avais rêvé : un type grand, beau – mais sans aucune conscience de l’être -, avec une allure de voyou maladroit, attendrissant dans sa façon de veiller jalousement sur sa mère et de dissimuler ses complexes vis-à-vis de son frère. À l’écran, ils forment une fratrie bien réelle. J’avais l’impression de reconnaître des visages si familiers. Ils ne se connaissaient pas avant et aujourd’hui ils sont très liés.

Bien que vous n’ayez pas choisi d’y construire votre carrière, il vous est arrivé d’aller jouer sur des plateaux de théâtre. Cette expérience vous a-t-elle aidé pour écrire vos dialogues ?

Énormément. Plus jeune je suis montée sur les planches. Je connais le plaisir de mordre dans un texte. Même si jusqu’à maintenant j’ai consacré ma vie professionnelle à la musique, j’adore le théâtre, j’en ai beaucoup lu et j’y vais souvent. Je sais le plaisir qu’ont les acteurs à jouer des scènes longues dans lesquelles ils peuvent laisser libre cours à leurs émotions. Quand j’ai écrit mon scénario, j’ai pensé à cela et j’ai veillé à ce que, du plus petit au plus important, chacun de mes personnages ait une vraie partition à jouer. Malgré le regard dubitatif de mes productrices, je me suis même payé le culot de terminer mon film sur un monologue, ce qui se fait rarement au cinéma ! Mais pour moi, il n’y a rien de plus bouleversant à l’écran qu’une interprétation de comédien.

Vous signez aussi la musique de votre film. La compositrice que vous êtes aurait-elle pu la confier à quelqu’un d’autre ?

Au départ j’ai hésité. Je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire. Et puis j’ai bien vu que je n’arrivais à rien déléguer sur ce film, qu’il était mon bébé. J’avais besoin de donner naissance à tous ses recoins, toutes ses coutures, de glisser partout un peu de mon sang et de mes souvenirs. Écrire la musique de Rose a été une expérience magique. J’ai commencé à la composer et à l’enregistrer avant le tournage pour que certaines scènes puissent être jouées avec elle. Ça a été un véritable régal pour moi de puiser dans mes origines pour l’écrire. La musique orientale danse dans mes veines. Elle est celle qui m’a bercée depuis toute petite. Je me suis amusée à chanter sur cette BO en hébreu, en arabe, en yiddish et en italien, les langues de mes ancêtres. Et comme je convie toujours un peu ma famille dans tout ce que je fais, ma fille Shalom, âgée de 12 ans au moment de l’enregistrement, a aussi composé un des thèmes… C’est une immense fierté pour moi, vous imaginez !

Comment s’est passé le tournage ? Il y a quelque chose de très naturel dans les grandes scènes de groupes, avez-vous été impressionnée ? Vous ont-elles donné du fil à retordre ?

Dans la vie je cours toujours après l’adrénaline, j’aime danser dans la tempête pour voir de quoi je suis capable. J’aime me jeter dans le vide joyeux comme lorsque je monte sur scène en concert devant des milliers de personnes pour cueillir l’émotion et le sentiment d’être bien vivante. Petite, ma fille me disait « mais toi maman tu n’as peur de rien ? ». Je crois plutôt que la contrainte et le défi sont très excitants pour moi. Le tournage a été une expérience extraordinaire. J’ai adoré emmener avec moi cette équipe dans les images intimes de mon histoire, diriger les acteurs, travailler avec chaque poste.

 À qui s’adresse Rose ?

Aux filles, aux femmes, aux mères, aux grands-mères et aux hommes qui les aiment ! Aux gourmands aussi évidemment… J’espère que ce film sera décomplexé et modifiera le regard que nous portons sur l’âge et le temps.
Qu’a apporté le tournage du film à l’artiste que vous êtes ?

À l’artiste je ne sais pas, c’est encore trop tôt pour le dire. Mais à la femme que je suis il a donné un plaisir fou. Plaisir est même un mot trop faible au regard de ce que j’ai éprouvé. Rose a été comme un chambardement dans mon cœur. J’ai aimé l’écrire, le tourner, le monter, l’étalonner, le mixer. Il m’a bousculée, chavirée, emportée. C’était comme mettre au monde un nouvel enfant. Il a été, peut-être, une de mes plus belles histoires d’amour. Et puis c’est magique d’oser se réinventer.

Alain Chouffan

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