Marie Godfrain. A Paris, un bar à échecs fait revivre les belles heures de Saint-Germain

Photographies du club d’échec Blitz, réalisées le 22 octobre: A l’entrée de la salle du Blitz Society à Paris. Le tableau ‘Sep 1. 1972’ correspond à un hommage à l’artiste On Kawara fait par Michael Charles. Cette date correspond à un match historique (championnat du monde) surnommé le match du siècle entre Boris Spassky et Bobby Fischer. Timothée Chambovet

Le premier Bar à Echecs, unique à Paris, a été ouvert à Saint Germain des prés le 14 octobre et rencontre un vif succès largement salué par les médias.

L’ESPRIT DU LIEU
Le nouveau chic de l’échiquier

Dans la salle de Blitz Society, installé au rez-de-chaussée d’un bâtiment du XVIIe siècle, à Paris, le 22 octobre.
Texte Marie Godfrain Photos Timothée Chambovet
Blitz Society, le premier bar à échecs parisien, vient d’ouvrir ses portes dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Champions et passionnés se retrouvent autour des vingt tables pour s’affronter sur fond de musique jazz.
Sous l’effet conjugué des confinements et du succès de la série américaine Le Jeu de la dame, les échecs jouissent depuis quelques mois d’un regain de popularité. En s’y penchant de plus près, on découvre que cette activité transgénérationnelle et mixte concerne aussi bien des joueurs aguerris qui la pratiquent depuis des décennies dans le froid, sur la table abîmée d’un parc moscovite, que des jeunes youtubeuses suivies par des millions de followers. C’est la richesse de cette culture que les fondateurs de Blitz Society ont voulu incarner dans leur tout récent bar à échecs de Saint-Germain-des-Prés. « Le premier club d’échecs de France ouvert au public », s’enorgueillit Pierre Houri, l’un des fondateurs, qui explique que le pays ne comptait jusqu’alors que des clubs privés ou des soirées à thème dans des restaurants et des bars.

C’est à New York que Pierre Houri a eu l’idée de fonder son propre club. Au début des années 2000, il commence à jouer en observant les passionnés de Washington Square, haut lieu des échecs, au sud de Manhattan, dans le quartier de Greenwich Village. Il y rencontre un autre Français expatrié et lui aussi mordu de l’échiquier, Michael Benhamou. Ensemble, ils découvrent les clubs spécialisés de la ville et se promettent de fonder le leur un jour à Paris… Ils sont rejoints par Romain Benhamou, cousin de Michael, et Vincent Riff, un professionnel des échecs qui deviendra le directeur sportif du futur lieu. À force d’arpenter les rues du quartier Saint-Germain, au bout de quelques années, ils tombent sur un local de la discrète rue du Sabot. Le Blitz Society, qui est avant tout une histoire de copains et de famille, requiert alors le savoir-faire de l’épouse de Michael, la décoratrice Sandra Benhamou, qui dessine des hôtels, des appartements et des restaurants dans un style contemporain toujours teinté de références historiques et d’une atmosphère patinée.

Son premier réflexe ? Ouvrir grand les vitrines et faire poser de grandes baies qui permettent, lorsque l’on passe dans la ruelle, de plonger dans l’atmosphère du lieu avec les 27 tables dédiées au jeu qu’elle a dessinées. « Je les ai imaginées comme des tables d’écolier en stratifié noir, au centre desquelles j’ai fait imprimer un jeu vert et blanc, les couleurs officielles des échiquiers, et sur lesquelles j’ai aussi intégré des horloges », explique Sandra Benhamou, qui a aussi disséminé dans la salle ses fauteuils bas Dolly. Tout autour des tables, les chaises en bois et les luminaires ont été chinés pour ajouter à l’authenticité du lieu, constitué de bois, de briques et d’une mise à nu des pierres et poutres. À tel point que l’on pourrait aisément imaginer que Blitz Society a toujours fait partie du décor germanopratin, dans l’un des plus anciens quartiers de la capitale. Si l’on arpente de nuit cette artère proche de la rue de Rennes, on perd rapidement ses repères temporels… Au cours de leurs recherches, les fondateurs du lieu ont d’ailleurs découvert que ce bâtiment du XVIIe siècle a été construit avec des pierres de l’église Saint-Germain-des-Prés.

Bien sûr, les clients qui ne jouent pas aux échecs peuvent se sentir un peu intimidés… Mieux vaut alors s’installer au bar pour commander une planche de fromage ou une soupe et observer discrètement la scène. Les initiés le disent tous, une partie d’échecs se joue mais se regarde aussi, et il arrive bien souvent que les curieux s’agglutinent autour des tables, participant à l’ambiance compétitive mais fraternelle. Surtout lorsqu’il s’agit des excellents joueurs du jardin du Luxembourg voisin qui s’installent pour entamer une partie. L’acmé étant sans doute la période des tournois qui sont régulièrement organisés avec des stars de la discipline telles les sœurs Alexandra et Andrea Botez ou la championne iranienne Mitra Hejazipour… Et tout au long de la semaine sont organisés des événements : blitz (tournois ultrarapides de cinq minutes), cours pour enfants ou master class durant lesquelles Vincent Riff détaille des stratégies. « On peut aussi venir seul et trouver sur place un partenaire. Il est aussi possible de s’inscrire via notre appli », détaille Pierre Houri.

Malgré son ouverture récente, Blitz Society bénéficie déjà d’une clientèle de fidèles : mères avec leurs jeunes enfants, étudiants, amateurs, champions, touristes de passage… Comme bande-son pour accompagner cette atmosphère concentrée, c’est naturellement le jazz qui a été choisi, rappelant les belles heures de Saint-Germain, dont ce club serait une réminiscence. « Depuis les années 1920, il y existe une interconnexion entre le jazz et cette discipline. Les musiciens ont toujours joué aux échecs », explique Pierre Houri. Jazz classique, be-bop, afro jazz… Blitz Society est un repaire de passionnés. Sur une poutre, une citation est écrite en néon : « Only a pawn in their game » (« seulement un pion dans leur jeu »). Ces quelques mots de Bob Dylan, fan d’échecs, côtoient les clichés en noir et blanc de célébrités pratiquant le jeu ou de joueurs de squares, comme un hommage appuyé à tous ceux qui ont inspiré cette adresse à part au cœur de Paris.

 © Marie Godfrain

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/11/27/a-paris-un-bar-a-echecs-fait-revivre-les-belles-heures-de-saint-germain_6103881_4500055.html#:~:text=magazine%20du%20Monde-,A%20Paris%2C%20un%20bar%20%C3%A0%20%C3%A9checs%20fait%20revivre,belles%20heures%20de%20Saint%2DGermain&text=ReportageLe%20Blitz%20Society%20vient,sur%20fond%20de%20musique%20jazz.

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