Pétain, les Juifs et Zemmour, par Elie Sasson

Allez savoir pourquoi, je me suis réveillé ce matin avec l’envie de traiter le sujet. Une pulsion masochiste ?

Plus sérieusement, c’est le passage de Franz-Olivier Giesbert (FOG) sur Cnews qui m’a donné à réfléchir. Les idées se sont structurées durant la nuit, jusqu’à ce que finalement, à l’aube, j’eus une sorte de révélation : « tout le monde pense la même chose sur le sujet, mais l’exprime différemment ».

Hier matin, Laurence Ferrari demandait à FOG ce qu’il pensait des propos de Zemmour sur Pétain :

est-il vrai que Vichy aurait sauvé les juifs Français ?

FOG répondit : « mais non, parce que c’est évident que c’est pas…qu’on ne peut pas dire ça… sur Pétain… après on peut faire de l’arithmétique…alors effectivement, peut être que sur l’arithmétique… sur les juifs Français !

Mais pas les juifs étrangers ! Parce-que ceux-là ont été massacrés, ils ont été envoyés à la mort par le régime de Pétain… surtout il y a un truc de base, c’est ça que j’ai envie de dire à EZ… le Maréchal Pétain a revu les lois juives. Il les a revues et il les a durcies ! On le voit sur les lois ! De sa propre main, de sa propre main ! Alors on ne va pas me dire que… que voilà… c’était un antisémite de la pire espèce ».

Intéressant, non ? À la question, Pétain a-t-il sauvé les Français juifs, FOG répond en substance : Pétain était un antisémite !

Chacun notera, à moins d’être totalement de mauvaise foi, que FOG ne répond pas à la question. Personne (ou presque) ne conteste l’antisémitisme de Pétain, ni qu’il ait durci les lois juives, ni qu’il ait fait déporter un nombre considérable de Juifs. La question était pourtant précise et toute autre : Pétain a-t-il sauvé les Français juifs ? Oui ou non ?

C’est à ce moment précis que j’ai compris l’origine de la polémique. Ce qui gêne finalement aux entournures, c’est que puisse être attribuée une action connotée positivement à un homme dont on sait que sur la question juive, il serait indécent de défendre son action. La question n’est plus de savoir si l’affirmation est vraie ou fausse. Les détracteurs d’Éric Zemmour considèrent simplement qu’on « ne peut pas dire cela ». Peu importe que ce soit vrai ou faux. Le type était une ordure antisémite. Point final. Fin de la discussion.

« Sauver des Juifs » est une action positive (pas pour tout le monde, mais bon, c’est une autre histoire). L’usage de la forme affirmative dans une phrase contenant le verbe « sauver » informe d’une action éminemment positive. Écrire « Pétain n’a pas autorisé que soient déportés les Français juifs » (forme négative) passe déjà mieux que « Pétain a sauvé les Français juifs » (forme affirmative). Pourtant les deux phrases ont exactement le même sens. Écrire « Pétain était une ordure antisémite et le fait qu’il n’ait pas souhaité que soient déportés les juifs Français ne change rien à l’affaire » passerait encore mieux.

Finalement, les mots ont moins d’importance que les intentions de celui qui les écrit. Si j’écrivais « Fourniret aimait beaucoup sa maman et s’est occupé d’elle lorsqu’elle était malade » (ce dont je ne sais strictement rien), certains me répondraient sans doute « on ne peut pas dire cela, Fourniret est une ordure !!! ». En quoi le fait d’écrire que ce monstre abject aimait sa maman signifierait qu’il ne serait pas une ordure ? Simplement, en ce que le fait d’attribuer un sentiment ou une action positive à un odieux criminel interroge sur l’intention sous-jacente de celui qui s’y risque. Les intentions sont recherchées en tout propos.

Ainsi, lorsque nous entendons ou lisons que tel terroriste islamiste était « poli et courtois » ou « très apprécié de son voisinage », ou que tel criminel pédophile avait été abusé par ses parents lorsqu’il était enfant, nous attribuons à l’auteur de ces propos une intention d’atténuation de culpabilité. Reconnaissons que c’est souvent le cas. Les avocats en savent quelque chose puisque c’est la raison d’être de leur profession. Voudrions-nous d’une justice où ne pourraient s’exprimer que les procureurs ?

Concernant les « intentions », viennent alors deux questions : quelle était celle de Zemmour ? Et quelle est celle de ceux qui cautionnent ses propos ?

Pour avoir lu « Le destin français », à la première interrogation, il me semble pouvoir répondre n’avoir perçu dans ce livre aucune intention de réhabiliter Pétain ou le régime de Vichy. Mais plutôt l’envie de contextualiser. La France de l’époque, y compris les institutions juives (comme le rappelle l’historien Georges Bensoussan), était foncièrement xénophobe, et notamment à l’égard des Juifs d’Europe de l’Est récemment immigrés, que les Français juifs eux-mêmes accusaient de leur voler leurs clients, ou leurs patients pour ce qui est des médecins. Pour l’auteur, sans aller jusqu’à nier que de nombreux Français, jusqu’au plus haut sommet de l’État, étaient antisémites, notre pays était plutôt xénophobe que strictement antisémite. Mais, a-t-on le droit de « contextualiser » lorsqu’on aborde un sujet aussi sensible ?

L’envie, sans doute également, et c’est là l’intention essentielle de l’auteur, de déculpabiliser les Français. Une envie rendue nécessaire par la prise de conscience que notre extraordinaire ouverture à l’immigration prenait sa source dans un inconscient collectif de culpabilité, engendré par notre passé collaborationniste et colonialiste. Nous avons été mauvais, et la seule façon de nous racheter a consisté à faire preuve de la plus grande ouverture possible.

Dans l’esprit d’un intellectuel affirmant qu’il faut mettre un terme à l’immigration arabo-musulmane, pour se concentrer sur l’assimilation des musulmans déjà présents, dont beaucoup ont déjà fait sécession, on peut comprendre le sentiment d’urgence de tenter d’installer dans le débat un profond changement de paradigmes.

Ainsi, a-t-on le droit de « contextualiser dans l’optique de déculpabiliser » les Français, en insistant sur des faits avérés mais qui touchent à un sujet aussi sensible que la déportation ? Chacun y répond avec sa sensibilité, parfois honnêtement, parfois de façon politicienne.

Que sait-on de la France de Vichy ? Tout le monde sait, Zemmour aussi, que le régime de Vichy, et Pétain en particulier, a causé la déportation et l’extermination de milliers de Juifs dans les camps de concentration, trouvant parfois des compromis odieux tels que celui qui consista à proposer de déporter les enfants juifs de moins de 16 ans de la zone libre (pourtant non désignés par les nazis), pour parvenir à répondre à l’exigence quantitative formulée par l’Allemagne sans toucher aux juifs Français (du moins ceux naturalisés de longue date) de la zone occupée.

Tout le monde sait, Zemmour aussi, que les lois juives ont été durcies par Pétain lui-même. Tout le monde sait, Zemmour aussi, que Pétain a dénaturalisé des milliers de Juifs « trop fraichement » français, les rendant éligibles à la déportation. Tout le monde sait que Pétain était xénophobe et antisémite.

Bref, tout le monde sait tout cela, mais beaucoup ne supportent pas qu’on puisse rappeler ce que tout le monde sait aussi, à savoir qu’une distinction a bien été opérée entre Français juifs et Juifs étrangers, au moins jusqu’en 1944. Distinction qu’on pourrait résumer par la phrase assez choquante mais qui en découle pourtant logiquement : Pétain a sauvé de nombreux juifs Français. Non pas qu’il aimait les Juifs, ou encore était un grand humaniste, mais juste qu’il a fait ce qu’il a fait. Tout porte à croire, par ailleurs, qu’il aurait agi ainsi, certainement pas sous l’effet d’une pulsion compassionnelle pour les Juifs, mais simplement pour garder la tête haute et montrer que malgré la défaite, la France restait encore capable de protéger ses citoyens, fussent-ils juifs.

Alors, évidemment, les propos paraissent outranciers. Et sans doute le sont-ils aux oreilles de ceux qui n’acceptent pas que la moindre nuance soit apportée, même celle qui, dans le fond, ne rend pas Vichy plus acceptable. On ne peut pas, on ne doit pas, on n’a simplement pas le droit de dire ou d’écrire le moindre propos qui pourrait laisser éventuellement penser que le régime de Vichy n’était pas le mal absolu. Et finalement, je comprends leur point de vue. La déportation, c’est sacré. Et si l’on commence à nuancer, quand bien même serait-on dans le vrai, on ne sait pas jusqu’où s’étendra la nuance. Alors ne nuançons pas…

Qu’en est-il enfin des « intentions » de ceux qui cautionnent Zemmour ? Certains d’entre eux sont probablement racistes. Ils sont peu nombreux si j’en crois ce que je lis sur les réseaux sociaux. A leurs yeux, les Juifs sont de la vermine, et les arabes ne valent guère mieux.

Sans doute aussi, une petite part de ceux-là considère que les chambres à gaz sont une invention, etc. D’autres, dont je fais partie, ne veulent absolument pas réhabiliter Pétain et ne pensent pas que Zemmour ait voulu le faire.

Ceux-là aussi ont compris que la France devait cesser de se sentir coupable pour s’affranchir de l’obligation qu’elle s’est imposée à elle-même d’accueillir toute la misère du monde. Ceux-là, comme Zemmour préfèrent, lorsqu’il s’agit de l’histoire de France, voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Ceux-là préfèrent insister sur le rôle héroïque de Pétain en 14/18, plutôt que, sans l’occulter pour autant, sur la honte qui fut la sienne pendant l’occupation allemande. C’est aussi simple que cela.

J’aimerais tant qu’à leur tour, les détracteurs de Zemmour comprennent son point de vue, le mien par la même occasion, afin que nous cessions de nous éloigner des vrais sujets, par ces querelles inutiles.

©️ Elie Sasson

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8 Comments

  1. Ceux qui parlent le mieux de Zemmour sont ceux qui l’ont lu c’est pourquoi on ne se laisse pas manipuler le cerveau par les « bien-pensants » fossoyeurs de la France ! Merci Mr Sasson!

  2. Quel est l’intérêt de noircir des pages sur ce qu’aurait Franz-Olivier Giesbert (FOG) bégayé au micro à la télé ? Est-il une autorité en la matière ? En quoi d’ailleurs l’est-il ?

    Soyons factuels.

    Premier point : Les Juifs « étrangers » envoyés par Pétain et Vichy à la mort, via Drancy ou autrement, avaient parfois des enfants nés en France.
    Enfants français selon une loi de 1927.
    Vichy a retiré la nationalité française de ces enfants par décret ; d’un trait de plume ; pour qu’ils puissent être raflés et montés dans les trains comme leurs parents et finalement gazés.

    Second point : La nationalité française des Juifs d’Algérie, français en vertu de la loi Crémieux, leur fut retirée par Vichy (c’était probablement le cas des parents de Z). Toujours d’un trait de plume.
    Ce qui les mettait dans l’antichambre d’Auschwitz. Ils devaient leur survie aux difficultés militaires de l’Allemagne au Maghreb, et finalement à sa défaite. L’Allemagne n’est jamais vraiment arrivée à gouverner l’Algérie. En revanche, des Juifs tunisiens furent raflés et exterminés, ce qui démontre quel sort attendait les Juifs algériens si la guerre avait duré un peu plus.

    Pétain et Vichy considéraient donc que la francité des Juifs n’était que provisoire.

    On pourrait dire que les Juifs « étrangers » furent exterminés LES PREMIERS ; et que les Juifs « français » allaient l’être très probablement ensuite ; qu’ils ne devaient leur survie qu’à la fin de la guerre ; fin qui se profilait déjà dès le début 1943 et la défaite allemande à Stalingrad, dès juillet 1943 par le débarquement allié en Sicile ; défaite qui rendait pas mal de Vichystes et de Pétainistes « prudents », effrayés qu’ils furent par le spectre d’une terrible vengeance, surtout en cas d’occupation russe de l’Europe et de la France.

    Bref, Pétain a laissé les Juifs « français » vivre mais provisoirement ; et in fine contraint et forcé.

    Pétain n’a pas de circonstances atténuantes et Zemmour ment ; tantôt par omission, tantôt par exagération. MAIS ZEMMOUR MENT.

  3. Excellent article.Peut etre aurait il ete possible d ajouter que le tandem Petain Laval voulait utiliser la question juive comme monnaie d echange pour les futures negociations avec le reich,dont Laval souhaitait,et Petain sentait,la victoire.Si Stalingrad est le tournant de la guerre qui surprit beaucoup,c est la bataille d Orel-Koursk (juillet-aout 1943) qui consomma definitivement toutes les capacites offensives allemandes et crea la panique dans les rangs de Vichy.

  4. En effet,les collabos consideraient qu une victoire de l Angleterre sur Mussolini-vous citez le debarquement en Sicile-n etait pas bien grave et annoncait peut etre une negociation entre l Axe et les allies pour contrer l URSS.Alors qu une victoire copmplete de Staline avait des consequences incalculables.

  5. Tous mes copains juifs d’environ 11 ans à 14 ans étaient français et nés en France. Ils ont pourtant été arrêtés par la Police française, déportés et gazés. Dire que le répugnants PETAIN a sauvé les Juifs français est une ignoble connerie. Et donc ZEMMOUR ment!

  6. Les nazis tuaient aussi les jeunes Juifs alsaciens,redevenus allemands en 1940,en les presentant comme des traitres alors qu en verite,nombre d entre eux avaient des peres ou grands peres qui avaient servi dans l armee allemande en 1914-1918,le traite de Francfort de 1871 ayant transfere au IIeme reich la souverainete sur l Alsace Lorraine.

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