La Chronique de Richard Prasquier. Angela Merkel. Un regard juif sur la chancelière

Dans le jeu de couleurs des partis allemands, le noir est la CDU, Parti d’Angela Merkel, et le rouge le SPD, Parti social-démocrate, mais ce sont les jaunes du FDP, Parti libéral et les Verts… des Verts qui seront les faiseurs de rois et qui négocient d’abord pour adapter leurs positions antagonistes sur l’immigration et la politique industrielle.

Une plate-forme commune sera proposée aux socialistes pour une coalition feu tricolore, rouge-vert-jaune et en cas d’échec, à la CDU pour une coalition jamaïcaine, noire, verte et jaune comme le drapeau de ce pays.

Quant à la grande coalition entre socialistes et CDU qui a si souvent servi dans le passé et qui est au pouvoir aujourd’hui,  Olaf Scholz, le leader du SPD et probable futur chancelier, l’a exclue, et on n’a pas oublié que son prédécesseur Martin Schulz avait ruiné son avenir en faisant cette même promesse et en ne la tenant pas.

Ces négociations sont longues mais habituelles, tant la culture du compromis  est ancrée en Allemagne dès le niveau local et Angela Merkel continuera d’expédier les affaires courantes. Les élections, malgré le score historiquement bas de la CDU ne marquent d’ailleurs pas forcément un désaveu de la Chancelière, dont la gestion compétente et solide est largement appréciée. Le manque de flamboyance est une qualité dans ce pays qui se méfie de son histoire.

 Les bavures du candidat de la CDU, Armin Laschet, contrastaient avec le sérieux de son rival socialiste qui a pu apparaitre comme le véritable successeur d’Angela Merkel, d’autant qu’il est son ministre des Finances et qu’il se situe à droite de son Parti alors qu’elle est à gauche du sien. 

 L’Allemagne  vient de cantonner les extrémistes dans les marges, Die Linke d’extrême gauche et l’AfD  qui prospère sur les rancoeurs de l’ex-Allemagne de l’Est, mais dont une frange est vraiment néo-nazie, dépassent à peine 15% à elles deux.

Il ne faut cependant pas crier victoire, car les votes dépendent de l’actualité sécuritaire du moment: ainsi Il y a 4 ans, le silence par crainte d’islamophobie des medias et de la police sur les auteurs  des agressions sexuelles du Jour de l’An 2016 avait fait de l’Afd  le bénéficiaire en boomerang de l’engagement de la Chancelière dans la crise des migrants. 

L’angélisme d’Angela, qu’on le lui reproche ou qu’on l’en félicite, avait, comme toutes ses initiatives, une composante très rationnelle, dans un pays à la démographie vieillissante. Aujourd’hui, l’Allemagne  absorbe de façon honorable les réfugiés syriens sur son marché du travail . Mais la course à l’intégration a exigé de très gros moyens et son échec reste possible. La raison n’est pas tout, et la Chancelière sait mieux que quiconque qu’un antisémitisme grandissant accompagne le multiculturalisme  et les réactions à son encontre, sur fond de haine d’extrême droite, d’islamisme ou d’antisionisme d’extrême gauche.

Elle va effectuer en Israël  une visite d’adieu qui fut reportée par la crise afghane. Même si elle n’approuvait pas certaines décisions du gouvernement israélien, Angela Merkel n’a jamais, contrairement à d’autres, distingué entre la lutte contre l’antisémitisme et le soutien ostensible à l’Etat d’Israël.

On a dû changer la loi pour que la chancelière, qui n’était pas Chef d’Etat, pût parler à la Knesset; elle a organisé des réunions communes de son Cabinet avec le Cabinet israélien. Quel chemin parcouru depuis l’époque où la simple mention du nom «Allemagne» soulevait la colère! Encore en 1984, Helmut Kohl, le premier chancelier qui n’était pas adulte à l’époque de la guerre, fut accueilli en Israël par des manifestations hostiles…

Je pensais que, outre la relève des générations,  c’est l’agenouillement de Willi Brandt devant le monument  du ghetto de Varsovie qui avait déclenché la prise de conscience des Allemands. Non, son geste y fut plus critiqué qu’admiré et en Allemagne de l’Est, où Angela Merkel fêtait alors ses 16 ans, il resta totalement ignoré.

Alors d’où lui vient cette sensibilité  contre l’antisémitisme, dont certains disent que c’est une des clés de sa personnalité, alors que l’Allemagne de l’Est, où elle a passé plus de la moitié de sa vie, était un des ennemis les plus tenaces d’Israël? 

Est-ce de son père, cet étonnant pasteur luthérien qui avait quitté l’Ouest pour l’Est et qui aurait pu montrer à sa fille, brillante chercheuse en chimie quantique, mais peu politisée, l’extraordinaire discours prononcé à Bonn  le 8 mai 1985 par le Président fédéral Richard von Weizsäker? 

Fils d’un haut diplomate nazi, frère d’un physicien chargé de construire la bombe nucléaire nazie, lui-même ancien combattant sur le front de l’Est, von Weizsäcker a su dire avec éloquence que en raison des crimes des nazis, le 8 mai pour les Allemands devait être considéré comme un jour de Libération et non de défaite.  

Des enquêtes suggèrent que beaucoup d’Allemands, plus sensibles à des problématiques environnementales, se désintéressent aujourd’hui de la Shoah et regardent Israël d’un oeil froid sinon hostile. 

Cela ne semble  pas être le cas de Olaf Scholz et de Armin Laschet qui ont tous deux exprimé leur soutien à Israël dans le récent conflit provoqué par les roquettes de Gaza. 

Leurs prises de position sont peut-être aussi une marque de l’influence d’Angela Merkel, mais le départ cette dernière  devra rendre plus impérative encore la vigilance contre la bête immonde et ses travestissements actuels….

© Richard Prasquier

Radio J 30 septembre 2021 9h20

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