Le Billet de Jacques Neuburger. Chaleur, soleil et hannetons

La chaleur, soudain forte, ne rend pas Paris très respirable, j’ai voulu vers midi sortir, ce ne m’était pas aisé.
Mais ces quelques centaines de mètres parcourues difficilement me furent un peu comme l’exploration du monde réel par Siddhartha dans le joli film Litlle Buddha qui passait dans les cinémas il y a quelque chose comme un quart de siècle.

Sans entrer dans le détail, le contraste était si frappant entre toutes ces personnes attablées et gaies au restaurant, tous ces gens faisant la queue pour une place en terrasse ou à l’intérieur, soudain devenu luxe suprême – et les plus pauvres ramassant ce que les commerçants du marché avaient jeté. J’ai vu un homme qui cherchait des vêtements d’enfant dans une poubelle et qui se faisait méchamment railler, injurier par un passant.

J’ai alors beaucoup envié le savoir-faire, le savoir-vivre, le tact de mon père qui savait avec un tel naturel aborder un miséreux dans la rue, parler avec, puis, sans le blesser, lui glisser dans la main de quoi l’aider un peu….

Mais soyons optimistes: j’avais sur le marché acheté deux petits géraniums et me voici aussitôt entreprenant de les  replanter.
Les plantant, remuant la terre, horreur, voici que surgissent à mes yeux d’énormes chenilles de hanneton! Féroces dévoreuses de feuilles, fleurs, racines. Durant trois années avant de devenir hannetons pour quelques jours. J’allais les bouter hors de là lorsque quelques vers jadis appris à l’école, du Jacques Prévert ou du Maurice Carême sans doute, me sont revenus en mémoire, des vers avec ce charme infini des chansons jadis que nous apprenions à l’école parlant de soleil, de mouches, d’abeilles ou bien de hannetons et puis d’élèves en blouses qui durant la dictée laissaient courir leur imagination suçottant leur porte-plume et suivant du regard la petite bête dansant dans le soleil. Et je me suis dit: Chenilles, Géraniums, si l’un grignote un peu les pieds de l’autre, ça n’est point mon affaire, faites votre vie, Vivez et Débrouillez-vous…..

Les choses soudain parurent simples, le soleil soleil, le bonheur de vivre bonheur de vivre, chaque être précieux et source d’émerveillement, chaque instant comme une étincelle d’éternité.

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