Boualem Sansal. “Nous ne pouvons assister sans réagir à la montée de la haine contre nos concitoyens juifs sans risquer de perdre tout ce qui fait notre admiration pour la France et, en définitive, notre fierté d’être français” ( 2 )

Boualem Sansal, abasourdi par l’arrêt de la Cour de Cassation, m’a confié hier matin ce qu’il écrivit concernant “l’Affaire Sarah Halimi”. Les mots de l’écrivain-lanceur d’alerte infatigable prennent encore plus de résonnance aujourd’hui.

“Dans la nuit du 4 avril 2017, à Paris, Sarah Halimi, une femme juive de 65 ans, est sauvagement assassinée. Son meurtrier, Kobili Traoré, un musulman radicalisé d’origine malienne au casier judiciaire long comme le bras, s’acharne sur elle pendant 40 longues minutes, d’abord dans son salon, puis sur le balcon de Sarah Halimi. Il hurle « Allah Akbar », insulte sa victime, la traite de « grosse pute », de « sheitane » (démon en arabe). Plusieurs voisins entendent puis assistent, de leurs fenêtres ou de la cour, épouvantés, au massacre. Dans l’excellent article que Noémie Halouia a consacré à cette affaire dans le dernier numéro de Causeur, elle rapporte le témoignage de l’un d’entre eux : « la première chose qui m’a réveillé, c’est des gémissements d’un être vivant en souffrance. C’était de la torture. Au début, je pense que c’est un animal ou un bébé. Mais après, en ouvrant le rideau et en ouvrant la fenêtre, je comprends que c’est une femme qui gémit sous les coups qu’elle reçoit. A chaque coup, j’entends un gémissement, elle n’a même plus de force pour pousser un cri ». Kobili Traoré tape tellement fort que son poing droit est tuméfié. Puis, apercevant dans la cour la lumière des lampes torche de la police, il hurle « attention, il y a une vieille dame qui va se suicider », saisit sa victime – encore vivante –  par les poignets et la fait basculer par-dessus la balustrade de son balcon.  Sarah Halimi gît dans la cour, morte, ensanglantée.

Sarah Halimi connaissait Kobili Traoré, il était son voisin, il la menaçait constamment, elle avait peur de lui. Cinq ans auparavant, la sœur de ce dernier avait bousculé l’une des filles de Sarah Halimi en la traitant de « sale juive ». Cinq jours après la mort de Sarah Halimi, les quelque cinq cent personnes qui participent à la marche blanche organisée à Belleville en sa mémoire défileront sous les – « désormais traditionnels » relève Noémie Halouia –  « morts aux juifs » et « nous on a les kalash » qui fusent des cités voisines.

« Désormais traditionnels » … Oui, car les précédents sont désormais nombreux. Les « morts aux juifs » avaient déjà rythmé les défilés des manifestations pro-palestiniennes organisées, malgré leur interdiction, en juillet 2014 notamment à Paris et en Ile-de-France. Dans le même registre, les réactions qui ont suivi les meurtres de six personnes dont trois enfants juifs en 2012 par Mohammed Merah : l’imam bordelais Tareq Oubrou a expliqué avoir dû passer des semaines de prêche sur ce cas en raison de l’empathie pour Mohammed Merah qu’il se manifestait parmi les fidèles de sa mosquée. Le frère de Mohammed Merah, Abdelghani, a, quant à lui, témoigné des you-yous qui ont accompagné la mort de son frère et des félicitations que certains voisins sont venus présenter à leur mère, regrettant que Mohammed n’ait pas tué davantage de juifs. Mais cela remonte encore plus loin :  Entre 1999 et 2000, année de la Seconde Intifada, le nombre d’actes antisémites a été multiplié par neuf, passant de 82 à 744. Depuis, il reste à un niveau extraordinairement élevé compte tenu du faible nombre de juifs en France, oscillant selon les années entre 400 et 900 environ en fonction, surtout, des soubresauts du conflit israélo-palestinien. En 2002, la publication de « Les territoires perdus de la République », qui montre avec force témoignage la prééminence, l’ampleur et la violence de la haine à l’encontre des juifs dans certains quartiers sensibles, fait l’objet d’une véritable omerta politique et médiatique. Et ce ne sont ici que quelques exemples, parmi tant d’autres preuves qui s’accumulent depuis près de vingt ans maintenant.

Le meurtre atroce de Sarah Halimi ne permet malheureusement pas de rompre le silence médiatique et politique. La France est alors en pleine campagne présidentielle, les quatre candidats en tête des sondages sont dans un mouchoir de poche. Il faut soigner ses électeurs et, disons-le tout net, les juifs sont bien moins nombreux que les musulmans – moins de 500 000 contre près de 6 millions. De surcroît, le rapport de l’Institut Montaigne sur « l’islam de France » publié en septembre 2016 indiquait que « l’antisémitisme était un marqueur d’appartenance » pour un quart des musulmans et le sondage Fondapol de novembre 2014, que « Les musulmans répondants sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne à partager des préjugés contre les Juifs. La proportion est d’autant plus grande que la personne interrogée déclare un engagement plus grand dans la religion. »

En ce début avril 2017, Emmanuel Macron est mis en difficulté par l’affaire Mohammed Saou. On vient juste de découvrir que ce référent « En Marche » du Val d’Oise a notamment partagé des posts Facebook de Marwan Muhammad, fondateur du CCIF (Comité contre l’islamophobie en France, organe proche des Frères musulmans qui sont l’une des têtes de pont de l’islam fondamentaliste politique en France) ; qu’il soutient le régime d’Erdogan en Turquie ; qu’il a déclaré qu’il « n’a jamais été et ne serait jamais Charlie ». Emmanuel Macron louvoie, écarte provisoirement Saou de ses fonctions tout en louant son travail remarquable et reporte la décision le concernant à celle de la commission éthique de son mouvement … Décision dont on n’entendra évidemment jamais parler. (Le même Saou vient d’ailleurs d’être réintégré dans ses fonctions départementales.)  François Fillon, empêtré dans ses affaires de famille et de costumes, n’ose plus bouger une oreille de peur de perdre les quelques centaines de milliers de voix qui pourraient faire la différence pour une qualification au second tour. Jean-Luc Mélenchon fait de grandes déclarations sur la laïcité mais brigue sans aucune vergogne le vote communautariste musulman et s’entoure de qui il faut pour cela. (Pour preuve, quelques semaines plus tard, on apprendra que Danièle Obono, fraîchement élue députée de la France Insoumise, est proche du Parti des Indigènes de la République, groupuscule identitaire dont la porte-parole, Houria Bouteldja, s’est notamment illustrée en déclarant « Mohamed Merah, c’est moi, et moi, je suis lui ». Ces révélations n’entameront en rien l’enthousiasme du soutien dont Madame Obono bénéficie de la part de Jean-Luc Mélenchon.) Dans cette collection de tartuffes, il n’y a que Marine Le Pen, pourtant l’héritière d’un parti fondé par des antisémites à peine repentis, pour condamner  – à une petite reprise, et sans non plus en faire son cheval de bataille – ce crime et demander que l’on aborde enfin le sujet de « l’antisémitisme islamiste ».

Qu’on aborde enfin ce sujet ? Effectivement, il serait temps. Mais qui osera encore le faire ? Georges Bensoussan, historien de la Shoah, spécialiste du monde arabe, a payé très cher d’avoir évoqué ce sujet lors de l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut au début du mois d’octobre 2015. Multiplicité de tribunes extraordinairement violentes contre lui, désaveu cinglant par Alain Jakubowicz, président de la LICRA (ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) mais également par Gilles Clavreul, responsable de la DILCRA (délégation interne à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine LGBT)  qui dénonce sur Facebook le « fantasme xénophobe » de Georges Bensoussan, et, finalement, procès à l’initiative du Parquet qui verra la Licra et la plupart des associations antiracistes communier avec le CCIF dans la dénonciation du soi-disant racisme des propos de l’historien. La relaxe de ce dernier, dont le Parquet a fait immédiatement appel, ne conduira cependant personne à revenir sur le fond de ce qu’a dénoncé Georges Bensoussan, savoir le développement et l’enracinement sur le territoire français d’un antisémitisme arabo-musulman, d’autant plus préoccupant qu’il serait à l’origine de la quasi-totalité des actes antisémites violents d’après une source proche du ministère de l’intérieur. Les motivations fondamentales de la cabale médiatique et intellectuelle contre Georges Bensoussan laissent planer le malaise : en effet, aucun des parangons auto-intronisés de l’antiracisme qui se sont déchaînés contre lui n’ont relevé qu’il s’était contenté de rapporter la teneur des propos du sociologue algérien Smaïn Laacher. Aucun déchaînement contre Smaïn Laacher donc, aucune réaction d’ailleurs à ce que celui-ci avait lui-même dit. Manifestement, avec un Algérien, la dénonciation du « fantasme xénophobe » est plus compliquée qu’avec un non musulman.

Il est en vérité aujourd’hui politiquement très difficile de faire coexister dans un même discours, lutte contre le racisme et contre l’antisémitisme. Les principaux coupables du second se recrutent parmi les principales victimes du premier. En effet, l’apparition de cet antisémitisme, nouveau sous nos cieux, s’inscrit dans une recrudescence puissante du fondamentalisme musulman qui n’épargne pas la France. Cette recrudescence ne se traduit pas que par des attentats effroyables mais par une vraie sécession de populations entières. J’ai déjà décrit ailleurs comment dans certains quartiers, celles-ci ont constitué de véritables contre-sociétés régies par un islam vindicatif et revendicatif, hostile à la France et à tout ce qu’elle incarne.

L’hostilité de cette contre-société ne concerne pas uniquement la laïcité, elle vise beaucoup plus largement nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Car point d’égalité dans une contre-société fondamentaliste qui se définit sur un principe identitaire, pour laquelle l’individu musulman, la oumma, le dar al islam sont supérieurs à tout autre individu, communauté ou nation non musulmane. Point de fraternité universelle mais une fraternité réduite à une communauté des croyants qui se définit en conflit avec l’Occident en général et la France en particulier. Point de liberté dans un groupe qui fonctionne sur un mode clanique, imposant à chacun de ses membres la soumission à Dieu, à l’islam, à ses dogmes et à ses combats, en ce compris le positionnement conflictuel vis-à-vis de la civilisation occidentale.  Cet islam ne reconnaît pas une seule et même humanité mais des humanités différentes. Certains hommes valent plus que d’autres à ses yeux. Et dans les formes paroxystiques de ce fondamentalisme religieux, certains hommes ne valent rien.

On comprend dès lors très bien pourquoi l’antisémitisme prospère au sein de cet islam fondamentaliste. Il n’est qu’une des formes d’un rejet de l’autre qui est consubstantiel à cet islamisme et qui se décline aussi sous la forme de racisme, de xénophobie, d’homophobie, de sexisme.

Mais c’est la haine du juif qui est la plus intense. D’aucuns attribuent celle-ci au conflit israélo-palestinien, à la politique israélienne, à la poursuite des installations juives en territoires occupés. Mais ils ne savent pas ou prétendent ne pas savoir qu’il plonge ses racines dans une histoire beaucoup plus ancienne. Dans son livre de référence « Juifs en pays arabe – Le grand déracinement 1850-1875 », Georges Bensoussan rapporte la violence de cet antisémitisme dans les pays arabes et ce, de temps immémoriaux ; il explique comment, du Maghreb à l’Irak et de l’Egypte au Yémen, la vie de dhimmis des juifs dans le monde arabe n’avait rien à envier, en termes d’oppression subie, de misère imposée, de sous-citoyenneté, d’humiliations et occasionnellement de pogroms, à celle des juifs dans l’empire des tsars. Cet antisémitisme arabo-musulman n’est pas né du conflit israélo-palestinien, il s’en nourrit. Ce conflit ne crée pas cette haine, il n’augmente pas son intensité ; en revanche, en lui procurant le soutien de toute une gauche qui, comme le démontre Jean Birnbaum, ne comprend décidément rien au fait religieux, il légitime son expression.  En mettant ses réseaux, sa culture, sa verve, son accès aux médias, sa place privilégiée à l’université et dans le monde de la recherche au service des combats arabo-musulmans, tant en France qu’à l’étranger, la gauche – extrême, morale, « antiraciste » par psittacisme plutôt que par conviction – n’est pas seulement bête, elle est extraordinairement néfaste. Elle fournit à nos adversaires (dont elle se refuse à voir qu’ils sont aussi, et d’une certaine manière surtout, les siens) une façade humaniste que leurs motifs et leurs buts n’ont pas. Nos alliances politiques avec l’Arabie Saoudite ou le Qatar, nos interventions militaires ratées au Moyen-Orient, la colonisation sont eux aussi instrumentalisés pour justifier ce qui est présenté comme une résistance légitime à l’oppression. Mais encore une fois, ce sont nos cerveaux occidentaux qui sont sensibles à ces disputatio brillantes, argumentées, rationnelles ; dans l’esprit conquérant de l’islam politique, le combat contre l’Occident n’a même pas besoin de ces justifications.

Le soutien de ces « idiots utiles » est en grande partie la cause du silence de l’Etat sur l’antisémitisme des « quartiers ». Car malgré sa faible représentativité électorale, cette gauche est extrêmement influente dans les corps intermédiaires, elle a ses entrées dans un grand nombre de médias, est passée maître dans l’art de manipuler des éléments de langage droits-de-l’hommistes dégoulinants de pathos. Aujourd’hui, il est permis de dire certaines choses qui il y a vingt ans, dix ans, voire même cinq ans eurent valu à leur auteurs le piloris de la part de la gauche morale : on peut dire qu’il est possible d’être d’extrême-droite sans être antisémite ; on peut même dire qu’il existe un antisémitisme d’extrême-gauche ; mais on ne peut pas dire qu’il existe un antisémitisme arabo-musulman. Pour en parler, il est plus prudent de faire référence au « nouvel » antisémitisme et rester dans les allusions, les périphrases et les sous-entendus. A la moindre erreur, à la moindre référence trop directe, la cabale médiatique se déchaîne et le contrevenant est immédiatement envoyé rôtir dans l’enfer du racisme, sans qu’aucun gage de sa moralité, aussi irrécusable soit-il, ne puisse l’en sortir. Car répondre à des accusations aussi graves et se justifier demande des explications longues, à étapes, incompatible avec l’immédiateté des médias et leur incapacité à traduire la subtilité et la complexité. Et on le sait bien, le démenti a beaucoup moins d’impact que l’accusation. Une fois que le doute plane, c’est mort, et nos responsables politiques l’ont compris depuis longtemps.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus. L’incapacité politique de désigner cet antisémitisme pour ce qu’il est empêche d’en faire l’analyse historique et religieuse et par voie de conséquence, d’entreprendre les actions spécifiques et ciblées qui seraient nécessaires. De là une France qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans une politique multiculturaliste à relents –  involontairement, mais inévitablement –  racialistes. Racialistes pour ne pas dire racistes car cette attitude culturaliste qui prétend être inspirée par le respect de cultures différentes n’est rien d’autre que l’abandon à bas bruit de notre modèle d’intégration, jugé inaccessible pour ces populations présumées, par nos responsables politiques, incapables de sortir de leurs modes de pensée et de fonctionnements archaïques.

Ce silence doit prendre fin. Sarah Halimi nous y oblige, nous, citoyens français. La France ne peut pas être un pays où les Juifs se font agresser et tuer parce que juifs dans l’indifférence générale.  Nous sommes tous héritiers d’une histoire, nous sommes tous comptables d’un héritage qui, de Salomon de Troyes à la France de Vichy en passant par l’émancipation des juifs en 1791 –(que la France a été la première en Europe à consentir) et l’affaire Dreyfus, ne nous permet pas d’assister sans réagir à la montée de la haine contre nos concitoyens juifs sans risquer de perdre tout ce qui fait notre admiration pour la France et, en définitive, notre fierté d’être français.”

Boualem Sansal

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1 Comment

  1. Avec ses révélations illustrant l’antisémitisme légendaire des Musulmans bien avant celui lié au conflit israélo-palestinien, Boualem Sansal fait penser aux encyclopédistes du temps de la Révolution Française.
    Le développement du sujet, dans son long article, devrait convaincre les gauchistes de leur myopie désolante, permettant aux islamistes de France de répandre à leur aise, auprès de leur Communauté, leurs idées archaïques et djihadistes, allant jusqu’à menacer ces jours-ci le maire de Nice, Eric Ciotti, de le tuer pour s’être permis de féliciter Israël à l’occasion de l’anniversaire de son indépendance.

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