Jean-Claude Lonka. Elle m’avait offert mon premier nounours

Les historiens cherchent à comprendre le passé et à faire partager ce qu’ils ont compris. Il arrive que pour une même recherche des historiens n’aient pas forcément les mêmes conclusions. Je ne suis pas un historien, sauf qu’en prenant de l’âge je sais qu’il y a des histoires petites soient-elles qui sont autant de trous dans ma saga familiale.

Déjà gamin, quand ma mère racontait, j’écrivais quelques notes peu après l’avoir entendu. Je faisais la même chose quand mon père voulait bien aussi raconter son passé.

Tous deux ne racontaient que des choses heureuses, pour celles plus éprouvantes, ils faisaient l’impasse ou ne s’attardaient pas.

Nous, les baby-boomers, nous avons une mission qui est celle de perpétuer la mémoire de celles et ceux qui ont quitté cette terre de façon abjecte.

Suite à mes recherches j’ai décidé de raconter cette histoire sur « Yiddish Pour Tous ».

2021-04-08-Elle m’avait offert mon premier nounours.

Certes tout n’est pas rose actuellement, mais autrefois il en était de même et il fallait pour nos familles toujours tout remettre en question et souvent recommencer ailleurs ce qui avait été détruit : famille, métier, environnement…

Je fais partie des chanceux, de ceux qui ont eu des parents qui ont bien voulu raconter. Pas toujours tout mais des épisodes souvent les plus heureux.

Malheureusement ma maman avait 44 ans à son décès et je n’ai pas eu mon comptant d’histoires familiales de son côté et mon père m’a quand même ajouté des éléments dont il avait eu connaissance, mais du côté maternel comme du côté paternel il y aura toujours des manques.

Chanceux que mon père en fouillant des cendres de la maison familiale retrouve des photos et qu’il les emporte avec lui: je connais ainsi le visage de mes grands-parents, de mes tantes et oncles, pas tous mais une bonne partie, mais je n’ai pas de photo de leurs enfants.

Dans les photos il y a des amis de mon père.

J’ai fait avec Martine, quand nous vivions chez mon père, le tri des photos rangées par ma mère dans des boites de chaussures et biscuits afin de constituer des albums.

S’il y avait la date c’était facile, quand il n’y en avait pas, en fonction des visages, des tailles, des vêtements, on a fait “au mieux”. Pour les noms on se disait : on a le temps.

Mais le temps nous a échappé et de nombreux visages restent inconnus.

Je vous ai raconté il y a longtemps que j’avais conservé mon premier nounours offert par une amie de mon père née comme lui à Kaluszyn.

Je la voyais souvent quand j’étais gamin et puis …

Il y a quelques jours, j’ai été sollicité par un cousin anglais qui comme moi a les mêmes arrière-grands-parents du côté maternel du nom de Zylberstejn.

Il a récupéré des photos et des documents après le décès de tantes et d’oncles. Actuellement il fait le tri et le point. Parmi ces docs un certificat du Consulat de Pologne à Londres avec le nom de notre arrière-grand-mère. Nous travaillons dessus pour savoir à quoi ça correspond. Il a aussi des cartes de vœux envoyées par des Silberstein français, filles et fils de ceux qui sont partis vivre à Londres. Un retour vers le passé que je ne peux pas enterrer.

Et puis, la semaine dernière, j’ai eu le nom de Ida, fille de Kaluszyners qui porte le même nom de famille qu’un ami à mon père. Je l’ai appelé et je lui ai envoyé des photos.

Hier j’ai été ému à en avoir quelques larmes.

Dans les photos retrouvées par mon père, il y celle de l’atelier de peau de mouton de mon oncle Moshé Rosenfeld, époux de Menura, l’une de ses sœurs.

Elle date de 1933.

Il y a ma tante, mon oncle, et 5 autres personnes.

Elle me répond après avoir vu la photo :

La dame à côté de votre tante C’est ma mère.

Et là un sourire éclaire mon visage, c’est elle qui m’avait offert mon premier nounours que je possède encore. Elle se prénomme : Sura Liba.

Sur le Sefer Bukh de Kaluszyn il y a une autre photo de l’atelier de ma tante et de mon oncle où Sura Liba est aussi présente et sur une autre elle est en compagnie de kaluszyners devant l’un des caveaux à Bagneux.

Mon nounours a retrouvé celle qui m’avait fait l’un des plus beaux cadeaux de ma vie de gamin. Le ressort de son cœur ne couine plus quand je presse dessus et il y a un siècle j’ai cousu sur sa poitrine un bouton d’un gilet de ma maman. Ma frangine me faisait des jupes et des chemisiers sur sa petite machine Singer pour mon nounours.

Second coup au cœur. J’ai envoyé à Ida une photo datée de 1932 avec Elie, un jeune frère à mon père et 2 autres jeunes garçons.

Sa réponse : Avec votre oncle Elie et le nommé Goldberg il y a mon père Moshé Yukel.

Et voilà, c’était hier, et comment j’ai vécu Yom HaShoah chez moi en regardant des photos retrouvées miraculeusement par mon père en janvier 1946.

© Jean-Claude Lonka

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