Yves Sokol. C’est arrivé un 17 mars

Napoléon et l’organisation du judaïsme : «heureux comme Dieu en France»

17 mars 1808 : Napoléon Ier institue les consistoires israélites

En revenant de la campagne d’Austerlitz, Napoléon s’arrêta les 22 et 23 janvier 1806, à Strasbourg, où le préfet et les notabilités du département lui firent entendre de vives doléances au sujet des juifs. “Ils envahissaient, disait-on, toutes les professions de brocanteurs et de marchands; ils ruinaient les cultivateurs par l’usure et les expropriaient; ils seraient bientôt propriétaires de toute l’Alsace”

Napoléon avait une piètre opinion des commerçants et des financiers. On s’imagine aisément quels pouvaient être ses sentiments à l’égard de ceux qu’on lui dépeignait comme des usuriers.

Napoléon est convaincu que si les juifs sont des usuriers, “le mal ne vient pas des individus mais de la Constitution même de ce peuple”. Et il propose de réunir “les Etats généraux des juifs, c’est-à-dire d’en mander à Paris cinquante ou soixante et les entendre. Je veux, dit-il, qu’il y ait une Synagogue (assemblée) des juifs à Paris, le 15 juin.”

Son plan était, en somme, de se servir des juifs eux-mêmes pour corriger les juifs, au besoin malgré eux. En attendant d’élaborer une loi nouvelle, il accorda un sursis d’un an aux cultivateurs pour le payement de leurs dettes

Voici les 12 questions soumises à la délibération à l’assemblée des notables juifs:

1. Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes ?

2. Le divorce est-il permis par la religion juive ?

3. Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ?

4. Aux yeux des juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont-ils des étrangers ?

5. Dans l’un et dans l’autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ?

6. Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? ont-ils l’obligation de la défendre ? sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre les dispositions du Code Civil ?

7. Qui nomme les rabbins ?

8. Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs ? Quelle police judiciaire ?

9. Ces formes d’élection, cette juridiction de police judiciaires sont-elles voulues par leurs lois ou simplement consacrées par l’usage ?

10. Est-il des professions que la loi leur défende ?

11. La loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leurs frères ?

12. Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?

Les réponses des notables qui ne pouvaient que donner satisfaction à l’Empereur.

Décisions du Grand Sanhédrin.

Puis il donna lecture des décisions doctrinales prises par l’Assemblée :

Le rabbin David Sintzheim, Chef (Nassi) du Sanhédrin

Article 1er. – Polygamie.

Il est défendu à tous les Israélites de tous les Etats où la polygamie est prohibée par les lois civiles, et en particulier à ceux de l’Empire de France et du Royaume d’Italie, d’épouser une seconde femme du vivant de la première, à moins qu’un divorce avec celle-ci, prononcé conformément, aux dispositions du Code Civil et suivi du divorce religieux, ne les ait affranchis des liens du mariage.

Art. 2. – Répudiation.

Nulle répudiation ou divorce ne pourra être fait selon les formes établies par la loi de Moïse, qu’après que le mariage aura été déclaré dissous par les tribunaux compétents (civils). En conséquence, il est défendu à tout rabbin… de prêter son ministère dans aucun acte de répudiation ou de divorce, sans que le jugement civil qui le prononce lui ait été exhibé en bonne forme…

Art. 3. – Mariage.

Il est défendu à tout rabbin ou autre personne de prêter leur ministère à l’acte religieux du mariage, sans qu’il leur ait apparu auparavant de l’acte des conjoints devant l’office civil.

Le grand Sanhédrin déclare, en outre, que les mariages entre israélites et chrétiens, contractés conformément aux lois du Code Civil, sont obligatoires et valables et que bien qu’ils ne soient pas susceptibles d’être revêtus de formes religieuses, ils n’entraîneront aucun anathème.

Art. 4. – Fraternité.

En vertu de la Loi donnée par Moïse aux enfants d’Israël…, qui nous ordonne d’aimer notre semblable comme nous-mêmes… et de ne faire à autrui que ce que nous voudrions qu’il nous fût fait, il serait contraire à ces maximes sacrées de ne pas regarder nos concitoyens, Français et Italiens, comme nos frères.

Art.5. – Rapports moraux.

Le grand Sanhédrin prescrit à tous les israélites, comme devoirs essentiellement religieux et inhérents à leur croyance, la pratique habituelle et constante, envers tous les hommes reconnaissant Dieu créateur du ciel et de la terre, quelque religion qu’ils professent, des actes de justice et de charité dont les Saints Livres leur prescrivent l’accomplissement.

Art. 6. – Rapports civils et politiques.

Un israélite né et élevé en France et dans le royaume d’Italie et traité par les lois des deux Etats comme citoyen, est obligé, religieusement, de les regarder comme sa patrie, de les servir, de les défendre, d’obéir aux lois, et de se conformer, dans toutes ses transactions aux dispositions du Code Civil.

outre… tout israélite appelé au service militaire est dispensé par la loi, pendant la durée du service, de toutes les obligations religieuses qui ne peuvent se concilier avec lui.

Art 7. – Professions utiles.

Considérant… qu’il résulte de la lettre et de l’esprit de la loi mosaïque que les travaux corporels étaient en honneur parmi les enfants d’Israël, et qu’il n’est aucun art mécanique qui leur soit nominativement interdit, puisque la Sainte Ecriture les invite et leur commande de s’y livrer… et que cette doctrine est confirmée par le Talmud, le grand Sanhédrin ordonne à tous les israélites, et en particulier à ceux de France et du royaume d’Italie, qui jouissent maintenant des droits civils et politiques, de rechercher et d’adopter les moyens les plus propres à inspirer à la jeunesse l’amour du travail, et à la diriger vers l’exercice des arts et métiers ainsi que des professions libérales… Invite, en outre, les Israélites… à acquérir des propriétés foncières, comme un moyen de s’attacher davantage à leur patrie; à renoncer à des occupations qui rendent les hommes odieux ou méprisables aux yeux de leurs concitoyens, et à faire tout ce qui dépendra de nous pour acquérir leur estime et leur bienveillance.

Art. 8. – Prêt entre Israélites.

Le mot Nésche’h, que l’on a traduit par celui d’usure, a été mal interprété ; il n’exprime, dans la langue hébraïque, qu’un intérêt quelconque et non un intérêt usuraire… En conséquence, le grand Sanhédrin ordonne à tous les Israélites… de n’exiger aucun intérêt de leurs coreligionnaires, toutes les fois qu’il s’agira d’aider le père de famille dans le besoin, par un prêt officieux; statue, en outre, que le profit légitime du prêt entre coreligionnaires n’est religieusement permis que dans le cas de spéculations commerciales, qui font courir un risque au prêteur… selon le taux fixé par la loi de l’Etat.

Art. 9. – Prêt entre Israélites et non-Israélites.

Le mot No’hri ne s’applique qu’aux individus des nations étrangères et non à des concitoyens, que nous regardons comme nos frères. (Mais) même à l’égard des nations étrangères, l’Ecriture Sainte, en permettant de prendre d’elles un intérêt, n’entend point parler d’un profit excessif et ruineux…

En conséquence, le grand Sanhédrin ordonne de ne faire aucune distinction, à l’avenir, en matière de prêt, entre concitoyens et coreligionnaires;

Déclare que toute usure est indistinctement défendue, non seulement d’Hébreu à Hébreu et d’Hébreu à concitoyen d’une autre religion, mais encore avec les étrangers de toutes les nations, regardant cette pratique comme une iniquité abominable aux yeux du Seigneur.

La rédaction de l’article 3 donna lieu à une discussion serrée. Napoléon ne prétendait rien moins que de voir les rabbins bénir les unions mixtes et les recommander “comme moyen de protection et de convenance pour le peuple juif”. Il voulait que, dans chaque département, sur trois mariages, on n’en autorisât que deux entre juifs et juives et que l’autre fût obligatoirement un mariage mixte.

Celui-ci dut se contenter du compromis que nous avons énoncé plus haut.

DÉCRET

Au Palais des Tuileries, le 17 mars 1808.NAPOLÉON, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D’ITALIE, et PROTECTEUR DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN ;

Sur notre rapport du ministre de l’Intérieur ;

Notre Conseil d’État entendu,

ART I. Le règlement délibéré dans l’assemblée générale des Juifs, tenue à Paris le 10 décembre 1806, sera exécuté et annexé au présent décret.

2. Nos ministres de l’Intérieur et des Cultes sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.

Signé NAPOLEON.

Par l’Empereur :

Le Ministre Secrétaire d’état, signé HUGUES B. MARET.

REGLEMENT

Les députés composant l’assemblée des Israélites, convoqués par décret impérial du 30 mai 1806, après avoir entendu le rapport de la commission des neuf, nommée pour préparer les travaux de l’assemblée, délibérant sur l’organisation qu’il conviendrait de donner à leurs coreligionnaires de l’Empire français et du royaume d’Italie, relativement à l’exercice de leur culte et à sa police intérieure, ont adopté unanimement le projet suivant :

Art I. Il sera établi une synagogue et un consistoire israélite dans chaque département renfermant deux mille individus professant la religion de Moïse.

II. Dans le cas où il ne se trouvera pas deux mille Israélites dans un seul département, la circonscription de la synagogue consistoriale embrassera autant de départements, de proche en proche, qu’il en faudra pour les réunir. Le siège de la synagogue sera toujours dans la ville dont la population israélite sera la plus nombreuse.

III. Dans aucun cas, il ne pourra y avoir plus d’une synagogue consistoriale par département.

IV. Aucune synagogue particulière ne sera établie, si la proposition n’en est faite par la synagogue consistoriale à l’autorité compétente. Chaque synagogue particulière sera administrée par deux notables et un rabbin, lesquels seront désignés par l’autorité compétente.

V. Il y aura un grand rabbin par synagogue consistoriale.

VI. Les consistoires seront composés d’un grand rabbin, d’un autre rabbin, autant que faire se pourra, et de trois autres Israélites, dont deux seront choisis parmi les habitants de la ville où siégera le consistoire.

VII. Le consistoire sera présidé par le plus âgé de ses membres, qui prendra le nom d’ancien du consistoire.

VIII. Il sera désigné par l’autorité compétente, dans chaque circonscription consistoriale, des notables, au nombre de vingt-cinq, choisis parmi les plus imposés et les plus recommandables des Israélites.

IX. Ces notables procéderont à l’élection des membres du consistoire, qui devront être agréés par l’autorité compétente.

X. Nul ne pourra être membre du consistoire, 1° s’il n’a trente ans ; 2° s’il a fait faillite, à moins qu’il ne soit honorablement réhabilité ; 3° s’il est reconnu avoir fait l’usure.

XI. Tout Israélite qui voudra s’établir en France ou dans le royaume d’Italie, devra en donner connaissance, dans le délai de trois mois, au consistoire le plus voisin du lieu où il fixera son domicile.

XII. Les fonctions du consistoire seront, 1° de veiller à ce que les rabbins ne puissent donner, soit en public, soit en particulier, aucune instruction ou explication de la loi qui ne soit conforme aux réponses de l’assemblée, converties en décisions doctrinales par le grand sanhédrin ; 2° de maintenir l’ordre dans l’intérieur des synagogues, surveiller l’administration des synagogues particulières, régler la perception et l’emploi des sommes destinées aux frais du culte mosaïque, et veiller à ce que, pour cause ou sous prétexte de religion, il ne se forme, sans une autorisation expresse, aucune assemblée de prières ; 3° d’encourager par tous les moyens possibles, les Israélites de la circonscription consistoriale à l’exercice des professions utiles, et de faire connaître à l’autorité ceux qui n’ont pas des moyens d’existence avoués ; 4° de donner, chaque année, à l’autorité connaissance du nombre de conscrits israélites de la circonscription.

XIII. Il y aura à Paris, un consistoire central, composé de trois rabbins et de deux autres Israélites.

XIV. Les rabbins du consistoire central seront pris parmi les grands rabbins ; et les autres membres seront assujettis aux conditions de l’éligibilité portées en l’article X.

XV. Chaque année, il sortira un membre du consistoire central, lequel sera toujours rééligible.

XVI. Il sera pourvu à son remplacement par les membres restants. Le nouvel élu ne sera installé qu’après avoir obtenu l’agrément de l’autorité compétente.

XVII. Les fonctions du consistoire central seront, 1° de correspondre avec les consistoires ; 2° de veiller dans toutes ses parties à l’exécution du présent règlement ; 3° de déférer à l’autorité compétente toutes les atteintes portées à l’exécution dudit règlement, soit par infraction, soit par inobservation ; 4° de confirmer la nomination des rabbins, et de proposer, quand il y aura lieu, à l’autorité compétente, la destitution des rabbins et des membres du consistoire.

XVIII. L’élection du grand rabbin se fera par les vingt cinq notables désignés en l’article VIII.

XIX. Le nouvel élu ne pourra entrer en fonction qu’après avoir été confirmé par le consistoire central.

XX. Aucun rabbin ne pourra être élu, 1° s’il n’est natif ou naturalisé français ou Italien du Royaume d’Italie, 2° s’il ne rapporte une attestation de capacité, souscrite par trois grands rabbins italiens, s’il est italien, et français, s’il est français, et, à dater de 1820, s’il ne sait la langue française en France, et l’italienne dans le royaume d’Italie ; celui qui joindra à la connaissance de la langue hébraïque quelques connaissance des langues grecque et latine, sera préféré, toutes choses égales d’ailleurs.

XXI. Les fonctions de rabbins sont 1°, d’enseigner la religion, 2° la doctrine renfermée dans les décisions du grand sanhédrin ; 3° de rappeler en toute circonstance l’obéissance aux lois, notamment et en particulier à celles relatives à la défense de la patrie, mais d’y exhorter plus spécialement encore tous les ans, à l’époque de la conscription, depuis le premier de l’autorité jusqu’à la complète exécution de la loi, 4° de faire considérer aux Israélites le service militaire comme un devoir sacré, et de leur déclarer que, pendant le temps où ils se consacreront à ce service, la loi les dispense des observances qui ne pourraient point se concilier avec lui, 5° de prêcher dans les synagogues, et réciter les prières qui s’y font en commun pour l’Empereur et la famille impériale, 6° de célébrer les mariages et de déclarer les divorces, sans qu’ils puissent, dans aucun cas, y procéder que les parties requérantes ne leur aient bien et dûment justifié de l’acte civil de mariage ou de divorce.

XXII. Le traitement des rabbins membres du consistoire central est fixé à six mille francs ; celui des grands rabbins des synagogues consistoriales, à trois mille francs ; celui des rabbins des synagogues particulières sera fixé par la réunion des Israélites qui auront demandé l’établissement de la synagogue ; il ne pourra être moindre de mille francs. Les israélites des circonscriptions respectives pourront voter l’augmentation de ce traitement.

XXIII. Chaque consistoire proposera à l’autorité compétente un projet de répartition entre les Israélites de la circonscription, pour l’acquittement du salaire des rabbins ; les autres frais du culte seront déterminés et répartis sur la demande des consistoires par l’autorité compétente. Le paiement des rabbins membres du consistoire central sera prélevé proportionnellement sur les sommes perçues dans les différentes circonscriptions.

XXIV. Chaque consistoire désignera hors de son sein un Israélite non rabbin, pour recevoir les sommes qui devront être perçues dans la circonscription.

XXV. Ce receveur paiera par quartier les rabbins, ainsi que les frais du culte, sur une ordonnance signée au moins par trois membres du consistoire. Il rendra ses comptes chaque année, à jour fixe, au consistoire assemblé.

XXVI. Tout rabbin qui, ne se trouvera pas employé, et qui voudra cependant conserver son domicile ne France ou dans le royaume d’Italie, sera tenu d’adhérer, par une déclaration formelle t qu’il signera, aux décisions du grand sanhédrin. Copie de cette déclaration sera envoyée, par le consistoire qui l’aura reçue au consistoire central.

XXVII. Les rabbins membres du grand sanhédrin seront préférés, autant que faire se pourra, à tous autres pour les places de grands rabbins.

Certifié conforme :

Le Ministre Secrétaire d’état, signé HUGUES B. MARET

Napoléon apporte la liberté aux juifs de maints pays.

Cette liberté “dirigée”, Si nous osons dire, qui favorisa incontestablement l’accession des juifs à toutes les carrières, fit oublier les mesures brutales de l’empereur, et du Nord au Midi, de l’Est à l’Ouest, en hébreu, en français et même en allemand, de nombreux poètes chantèrent, en des odes dithyrambiques, L’ “aigle incomparable”, au prestige, certes, inégalé.

Les juifs devaient bien, après tout, une certaine reconnaissance à Napoléon, car, grâce à lui. le mouvement d’émancipation se propagea à travers d’autres pays : la Hollande, une partie de l’Italie, la Suisse, la Confédération Rhénane (avec Mayence et Francfort), la ville libre de Hambourg. Malheureusement à la chute de Napoléon, presque tous ces pays, (à l’exception de la Hollande), retirèrent aux juifs les avantages que leur avait concédés l’empereur des Français.

© Yves Sokol

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