Michèle Chabelski. Chronique

17 Janvier

Bon

Dimanche

Je vous ai lus avec attention, le cœur souvent serré.

Aucune histoire n’est semblable et la douleur ne se partage pas.

J’ai néanmoins constaté qu’à travers les larmes de sang se profilait parfois un rai de lumière, une brise qui berce l’enfant blessé que nous sommes encore…

Nous sommes nombreux à être des éclopés de l’amour…

Nombreux à avoir frissonné de douleur, persuadés qu’aucun remède n’en viendrait à bout…

Nous avions partiellement raison, certaines plaies formant d’irrémédiables chéloïde [1] avec lesquelles nous avons appris à vivre.

Certains ont définitivement cicatrisé en reconstruisant sur l’éboulis initial.

D’autres tanguent encore sur les décombres d’un passé qui n’en finit pas de mourir …

Il est difficile d’envelopper d’un linceul un morceau de vie qui nous a rendu heureux…

On retarde parfois les funérailles toute sa vie…

Le plus dur est de constater qu’on s’est fourvoyé, qu’on a été sourd, aveugle et sot, qu’on n’a pas pris garde aux signes avant-coureurs, qu’on a cru aux belles promesses, qu’on n’a vu que le décor rose dragée d’un théâtre sur lequel pesaient les ombres d’un malheur annoncé.

Ca s’appelle l’amour…

On peut y ajouter un doigt de naïveté, une pincée d’insouciance, c’est si jouissif de se vautrer dans le bonheur…

Et puis cette malice diabolique d’un thaumaturge cruel: le pas d’bol…

Pas d’bol d’avoir lié sa vie à la mauvaise personne, pas d’bol qu’elle ait rencontré le diable, pas d’bol que son esprit confus n’ait pas su démêler le bien du mal, pas d’bol qu’elle n’ait pas pensé aux autres, aux enfants, plongée dans une euphorie égotique qui aveuglait ses yeux satisfaits…

On pourra dire dans une analyse à deux roubles, tu l’as bien cherché, la bestiole masochiste que tu abritais en ton sein ne s’y est pas trompée: elle a soigneusement choisi le bourreau le plus performant pour nourrir sa soif de douleur…

Explication d’une professionnelle livrant ses éclats de génie dans Voici ou Gala…

La vérité, c’est que ces déchirements rongent la chair jusqu’à l’os et que ne reste que l’essentiel de ce qu’on est…

Parfois avec des lambeaux de rêves encore piteusement accrochés au cœur, parfois avec un stock d’amour encore épargné, parfois dans un théâtre sec et désert sur lequel on danse pour cacher l’ankylose qui gagne irrémédiablement…

Mais à faire semblant d’être heureux, il arrive qu’on oublie qu’on est malheureux…

Et puis les choses essentielles finissent par émerger de ces brumes délétères qui nous engloutissent…

Le bonheur des enfants, les rires tonitruants des petits, un beau film, une ensorcelante musique, un enchanteur rendez-vous littéraire, l’amitié, le bonheur de pouvoir rendre heureux ceux qu’on aime…

Et parfois un nouvel amour est parvenu à faire entrer le soleil qu’on croyait noir à jamais…

Résumé des épisodes précédents

Michèle et ses enfants ont déménagé…

Le divorce se fait attendre…

Lena s’est rebellée contre les principes d’éducation maternels.

Elle a demandé asile au nouveau couple, puis s’en est revenue au bout de trois semaines, chassée par les manigances de la concubine qui avait œuvré à éloigner l’enfant rivale.

La suite

Paul accompagnait presque quotidiennement les enfants à l’école, les questionnant habilement sur les sévices infligés par leur méchante mère …

Au nombre desquels on trouvait l’obligation de ponctualité, de courtoisie, de respect de la vie familiale, de soumission au règlement du collège et aux interdits maternels.

Autant dire une géhenne[2], et une enfant martyre qui rêvait de liberté…

Melissa encaissait le supplice en silence, avec patience, attachée à sa réussite scolaire et à la présence chaleureuse de ses amis…

Il appuyait en loucedé[3] sur les meurtrissures, expliquant qu’une femme capable de quitter son mari et de broyer une famille ne saurait jamais être une bonne mère…

Je précise pour ceux qui n’auraient pas suivi, qu’il parlait de moi.

Deux ans ainsi passés à tenter de combler le fossé qui se creusait…

Deux ans où Jacques s’ingéniait avec une générosité et une patience sans défaut à ravauder les déchirures qui me minaient…

L’appartement fut vendu…

Rendu déclara Paul.

A son vrai propriétaire.

End of the story.

J’avais conservé le montant de la vente aux enchères, ce qui lui faisait dire qu’il était parti ruiné m’abandonnant la totalité des biens acquis en commun.

Il était couvert de dettes et la plus grande partie de nos avoirs hypothéqués…

Il mit deux ans à se rendre insolvable, période au bout de laquelle il m’offrit le divorce comme un ex-voto[4] pour services rendus…

Deux ans à organiser la manœuvre qui me privait de tout, mais me rendait irrémédiablement solidaire de ses dettes…

Deux ans à mettre en place la béance financière qui l’amena devant le juge muni d’un témoignage affirmant qu’il était logé dans la chambre de service gracieusement mise a sa disposition par un ami compréhensif…

Deux ans à liquider toutes ses affaires sans payer un sou des sommes dues aux instances créancières…

Deux ans à recueillir les témoignages d’amis proches jurant la main sur le cœur que j’étais une mère calamiteuse qui représentait un vrai danger pour ses enfants… ce qui le poussait à exiger la garde exclusive des filles…

Ce qui n’était en fait qu’un argument de négociation où je fus sommée de choisir entre ce témoignage et le renoncement à une éventuelle prestation compensatoire…

J’obtins un vibrant témoignage de la pédiatre et de la directrice de l’école, mais un reste d’humour me soufflait de lui laisser les enfants pour lui permettre de faire profiter sa compagne des joies de la famille…

J’obtins bien évidemment la garde des enfants, une pension alimentaire et la promesse d’une prestation compensatoire si le Très Haut l’aidait à retrouver un peu de sa splendeur d’antan.

Le Très Haut faisait la sourde oreille.

Sa copine, inquiète de voir apparaître les enfants un matin de printemps, le convainquit de partir pour les Etats-Unis.

Un séjour à Miami sans parler un mot d’anglais, loin de sa mère et des siens, sans les dîners avec des convives aussi fortunés que titrés, mon ami le Président Machin Chose, mon ami le ministre Bidule, Monseigneur, Princesse….

Il ne versait pas la pension promise, ce qui nous valut maints démêlés judiciaires, mais subvenait directement aux besoins des enfants sous le regard courroucé de la duègne[5] qui connaissait par cœur la date des soldes…

La procédure dura longtemps, je vivais de mes économies et des quelques sous restés sur le compte-joint, le divorce fut enfin prononcé et le remariage des amants eut lieu moins de deux semaines plus tard, alors que j’étais en vacances avec les enfants…

Belle Maman m’appela quelques semaines plus tard pour m’affirmer qu’elle avait toujours su que j’étais la meilleure des mères, mais une épouse écervelée incapable de comprendre ce qu’était un homme…

Lui ne serait jamais parti.

Ce que confirma sa sœur Renée.

L’histoire ne le dira pas.

L’amour éprouvé pour Jacques sortit passablement écorché par cette scission…

Un grand brûlé ne présente plus la même capacité ni le même désir de séduction qu’avant l’accident.

Mon cœur carbonisé s’émiettait, l’éloignement des enfants à qui leur père avait expliqué que j’étais partie avec une cassette de quatre milliards (de francs) accélérait l’effondrement de mes quelques illusions résiduelles….

Brisée, dénutrie, impécunieuse, je ne tentais même pas de recoller les morceaux épars…

Bien que libérée du joug conjugal qui m’avait écrasée d’humiliations ininterrompues, partageant mon chagrin avec un papa livide et défait, je me regardais mourir doucement malgré les bras protecteurs de Jacques qui se désespérait de mon inconsistance affective…

Notre histoire s’acheva un jour où je m’avisai que j’étais irrémédiablement perdue et que je choisis d’aller mourir seule sur la montagne qui m’attendait…

De Profundis[6]

Regrets éternels…

Jacques dont le visage , la voix chantante, la douceur, l’humour la générosité, la patience, resteront à jamais inscrits sur ma mémoire en lettres de feu…

Jacques, follement aimé, Jacques, encastré dans mon cœur et ma peau, dont je n’arracherais jamais une miette de mon âme, Jacques gravé sur ma mémoire à jamais…

A l’âge de dix sept ans, Lena annonça à son père que j’étais désespérante, interdisant pétards à la maison et retours tardifs à l’heure du laitier, ce que son père confirma, et il l’installa en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire dans un studio près de chez moi où elle put enfin vivre ses rêves loin de la badine menaçante d’une mère nigaude et affectivement déshydratée…

La maturité lui poussa plus tard, mais les années perdues pesèrent lourd dans les regrets qui creusent un irréparable sillon dans le lien mère / enfant…

Melissa resta sagement avec moi, attachée à se construire un avenir d’autonomie et d’amour, où se tresseraient harmonieusement carrière et vie de famille, soutenue par une colonne vertébrale ignorant les appels à la rébellion…

Je repris mon métier de prof, retrouvai avec passion le chemin des salles obscures, et le plaisir des repas partagés avec des copines entre fous rires et folles larmes, grattée à l’os des lambeaux d’un passé qui n’était pas encore totalement un passé mais sur lequel viendrait se poser le couvercle de l’essentiel d’une vie simple et sans apparat…

Lauriers affectifs, bras tièdes et vibrantes déclarations d’amour, bouches collantes d’un résidu de Kinder oublié posées brusquement sur ma joue, trottinettes et carambars, cavalcades vers l’école dans les remontrances outragées Mamie on va être en retard à cause de toi, si vous vous étiez dépêchés on serait à l’heure, puis les devoirs, le sujet, le verbe et le déterminant, le calcul et les tables d’additions , Mamie mon amoureux s’appelle Victor déclare Zoé, la mienne c’est Liv murmure Jacob tandis que Lena gronde tu ferais mieux de faire tes devoirs au lieu de dessiner des cœurs pour Liv, Romy enfile sa tenue de foot, ben quoi les filles peuvent pas taper dans un ballon, elles font même mieux que ça, Noa la douce qui grimace devant les bébés jumeaux qui rient avec le ventre devant les facéties de cette sœur adorée…

La vie, quoi….

Lé’haïm!!

Ce n’est qu’un au revoir, je ne suis pas masochiste pour me priver de votre chaleur, de votre présence, de votre humour, de votre sincérité, de votre affection, de vos paroles compatissantes et réconfortantes, de cette douceur qui m’envahit chaque fois que j’attrape mon téléphone et que je sais y trouver vos mots doux, votre cœur et votre amitié…

Alors juste merci …

Merci de me donner ce que vous me donnez dont je ne pourrai plus me passer…

Que cette journée signe l’amitié qui nous unit dans ce ces ténèbres sanitaires où on clapote avec angoisse…

Je vous embrasse

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[1] Les chéloïdes s’étendent toujours au-delà des limites de la lésion originale, parfois par plusieurs centimètres. La couleur, la forme et les dimensions des cicatrices peuvent changer avec le temps. Elles ne sont habituellement pas douloureuses, mais elles provoquent souvent des démangeaisons.

[2] (DANS LA BIBLE)  Enfer. AU FIGURÉ Torture ; souffrance intolérable.

[3] Argot : en douce.

[4] Un exvoto est une offrande faite à un dieu en demande d’une grâce ou en remerciement d’une grâce obtenue à l’issue d’un vœu (votum).

[5] Gouvernante ou vieille dame chargée, en Espagne, de veiller sur la conduite d’une jeune personne. Vieux. Vieille femme revêche servant de chaperon.

[6] Psaume récité ou chanté dans les prières pour les morts.

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