Michèle Chabelski. Chroniques. Suite…

Bon

  Lundi

    Résumé des épisodes précédents

   Michèle et Jacques ont entamé une idylle lavée des relents qui polluent le mariage agonisant des Cohen…

    Jacques s’est séparé de sa compagne et pousse Michèle à se libérer à son tour du joug conjugal…

    Paul refuse de divorcer pour des raisons qu’elle identifiera plus tard…

   Il semble pour le moment vouloir se dérober aux promesses faites à sa concubine en demeurant l’époux officiel de Michele…

 Il propose une solution intermédiaire :

  Ils ne divorceront pas, occuperont chacun une partie de l’appartement en s’occupant alternativement des enfants .

    La suite

      L’arrangement, pour boiteux qu’il soit, fonctionne malgré un étonnement manifeste de l’entourage.

     Et me permet d’enfouir sous des couches d’allégations bravaches cette minuscule lumière verte qui ne parvient pas à mourir…

   Le destin s’est comporté en disc-jockey expérimenté…

   Sur un morceau inachevé il a fait crépiter les notes d’une nouvelle musique coupant la respiration des danseurs ainsi désarçonnés…

    Mes nouvelles amours germées sur un terrain pourtant faisandé m’ont aussi entraînée dans une farandole qui disloquait parfois les certitudes sur lesquelles je dansais…

   Ainsi va la vie…

    Épouser un homme aimé et retrouver quelques cinquante ans plus tard l’étincelle adolescente dans ses yeux un peu délavés après une balade à l’amble d’un demi-siècle, restera à jamais gravé sur ma peau comme un idéal de métaphysique amoureuse…

  N’empêche…

     Jacques est un peintre de génie…

  A petites touches pastel ou vives, il a tracé sur la toile de son amour le portrait en pied d’une jeune femme épanouie, rayonnante, souriant avec allégresse à l’artiste …

   J’ai troqué mes tenues sophistiquées, façades d’une volcanique réussite, contre des jeans et des T shirts qui dévoilent autant les rires de l’âme que les contours sensuels d’une silhouette adolescente…

    Je découvre les regards échangés sur la lumière rasante d’un soir qui tombe, les mains jointes devant un tableau peint par la main de Dieu, les fous rires partagés dans un restaurant gastronomique dont les fenêtres s’ouvrent sur une colline aux reflets orangés d’un soleil couchant et dont les assiettes caressent les papilles de saveurs inédites…

    Le monde est beau pour le chiffon ressuscité …

   Le thaumaturge s’appelle Jacques et il a les yeux bleus…

   Je pars en vacances avec mes enfants, tandis que dans une alternance sans nuage, Paul les emmène se baigner dans une mer tiède du bout du monde, accompagné de sa mère un peu décontenancée par ce luxe un rien tapageur et les rires tonitruants des enfants qui s’éclaboussent sur une plage de farine douce…

    Elle ne peut rien refuser à son fils, elle observe la scène avec un mélange de satisfaction et d’ennui…

   Belle Maman a vieilli, le temps a un peu émoussé ses piques, sa rivale est à terre, une nouvelle belle fille se profile, qui marchera sur les braises enfin éteintes de ce mariage qui n’en finit pas de mourir…

   Elle me regrettera, me le dira, mais ceci est une autre histoire…

    Pour l’heure, il est tôt, on tambourine à ma porte.,

    Entre !!

Lena est écarlate, fiévreuse, se tient le ventre …

    Maman j’ai mal…

   J’ai très mal.

   Plusieurs alertes la semaine précédente avaient conclu à un bobo sans importance, ma fille se tord, le monde s’ouvre sous mes pieds, Paul n’est pas rentré, mes parents viennent garder Melissa, le temps de filer à la clinique dans une galopade éperdue…

    Le monde s’embrume, des ombres grises crayonnent les lueurs du matin qui se lève, ma fille, ma petite fille…

   Arrivée à la clinique de Boulogne où nous attend déjà Sylvia, amie et responsable des lieux, un chirurgien a été appelé, radio, échographie, examens, le diagnostic tombe : appendicite aiguë, menace de péritonite, il faut opérer d’urgence.

    Nous sommes sur place, le chirurgien va intervenir rapidement…

    T’as appelé Paul ? demande Sylvia.

       Non.

  Tu l’appelles ?

    Le deal a été tacitement établi sur un silence mutuel, mais la situation mérite une transgression…

    Appelle-le. Dépêche-toi.

     L’heure avançant, je le trouve à son bureau, j’explique en pleurant, Lena, appendicite, opération…

   Le clic du téléphone a effacé ses derniers mots…

    La lumière se déplace vite.

    Le son se déplace vite.

      Mais rien ne se déplacera jamais aussi vite que Paul ce matin-là…

   Quelques secondes plus tard ou presque, il est là, haletant, les yeux rouges…

    Je l’ai entendu gronder dans les couloirs, ma fille où est ma fille ???

    Lena a été prémédiquée et patiente sur le chariot…

    Il lui prend la main, l’embrasse avec passion, lui caresse la joue…

   J’assiste, muette et bouleversée aux effusions.

    Il lui parle doucement, lui murmure des mots d’amour, la rassure, son regard est feu et velours, il aimerait déposer sur le chariot la lune qu’il aurait décrochée rien que pour elle, un baume, une offrande à sa déesse en souffrance.

    Avant que le brancardier qui s’impatiente un peu annonce qu’il va l’emmener, Paul se penche, lui embrasse la joue, qu’est-ce que tu voudrais ma fille, dis-moi ce que tu veux, et je te l’offrirai, dis-moi…dis-moi. S’il te plaît…

    La voix de Lena est déjà toute ensommeillée…

   Elle murmure …

    Elle murmure quoi ?

     Bah un truc assez inattendu et troublant…

    Mais pas d’inquiétude.

     Je vous le dirai.

      On ne se perd pas de vue, n’est-ce pas ?

    Si on dit demain même lieu, même heure, ça vous va ?

   Moi j’y serai…

     Que cette première semaine de 2021 signe enfin l’arrivée des vaccins, qui ont sans doute été malencontreusement versés en rase campagne et qu’il a fallu ramasser un à un…

    Je vous embrasse

5 Janvier

Bon

Mardi

Résumé des épisodes précédents

Lena souffre d’une appendicite aiguë et doit etre opérée d’urgence..

Elle est conduite à la clinique où le chirurgien s’apprête à intervenir.

Paul, appelé après quelques atermoiements de son épouse, arrive, ventre à terre ,et découvre sa fille , prémédiquée sur le chariot prêt à la conduire en salle d’opération.

Fou d’inquiétude, délirant devant l’enfant qui commence à sombrer dans le sommeil, il lui promet la lune, le ciel et les étoiles..

Et lui pose la question in fine:

Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

Dis moi ce que tu veux..

Ce que tu veux..

La suite

Lena regarde son père qui l’embrasse et lui serre passionnément la main.

Je suis un peu en retrait, observatrice bouleversée de ce feu qui rougit les yeux de Paul.

Dis-moi ce que tu veux…

Je pressens un orage, un typhon qui va mettre à mal l’équilibre précaire d’une famille déjà bancale, estropiée par les embardées conjugales…

Mais qui fonctionne néanmoins, en clopinant certes, dans un alliage chaotique où fusionnent les amours extra-conjugales des parents…

Dis-moi ce que tu veux…

Elle tourne légèrement la tête vers moi.

Je voudrais…

Je voudrais que Maman et toi vous vous réconciliiez…

Cette solution, qui semblait remplir son rôle d’amortisseur des sorties de route parentales, avait finalement brouillé un message hautement perturbant pour les enfants, en permettant la floraison de scénarios illusoires…

Il lui serre la main.

Me regarde, un indéchiffrable sourire aux lèvres …

Des yeux bleus remplis d’amour me caressent le cœur …

Le flottement sera de courte durée…

Le poignard touchera sa cible avec férocité…

Ma fille…

Je ferme les yeux en signe d’assentiment.

Je me penche, je l’embrasse, le chariot est déjà en route vers l’ascenseur dont les portes se referment dans un couinement dissonant…

Nous restons face-à-face, muets, étrangers, sonnés, des rafales d’angoisse et de douleur me tordent les entrailles, j’ai signé le pacte d’une plume trempée de sang, la brûlure du sacrifice s’infiltre déjà dans mon corps tétanisé, la nouvelle me cueille dans une convulsion qui déchire ouvertement le rideau de la mystification, la lumière verte agonit dans un dernier soubresaut, emportée dans le tourbillon des amours mortes et d’une nouvelle passion brûlante…

Je ne l’aime plus…

En tout cas, plus inconditionnellement, de cet inoxydable amour où s’encastraient indulgence et pardon.

Je viens de contracter une alliance avec le diable, et le diable c’est moi, un choix fissionnel qui me démembre et m’arrache à l’écrin où s’enchâssait un bonheur inespéré avec Jacques…

Les enfants grandiront donc dans une famille remembrée, après tout c’est peut-être le prix à payer pour avoir collaboré avec la science dans un défi à dieu qui me refusait l’enfant…

Tout a un coût et le serment tacite prêté à Lena m’installe dans le rôle si éperdument espéré : celui de mère, d’inamovible pôle de sécurité et d’amour offert aux filles dans un confort qui assurera l’insouciance qui est le propre de l’enfance…

Paul m’embrasse la joue avec désinvolture, je retourne au bureau, je serai là dans une heure.

Incapable d’affronter le tête-à-tête que je ne désire pas non plus du reste…

J’attendrai seule la fin de l’intervention, soutenue par Sylvia qui fait de fréquents allers-retours vers la salle d’opération, et m’annonce enfin, tout va bien, on finit de la recoudre et on l’emmène en salle de réveil.

Je peux enfin lâcher les chiens et laisser dévaler le torrent de larmes qui me laboure les joues dans une impudeur honteuse…

J’appelle Paul qui revient cueillir le premier sourire de notre fille encore groggy, bisous, câlins, je cours embrasser Melissa restée avec mes parents, je reviens, Lena s’est endormie, j’ai rassuré Jacques au téléphone qui s’inquiétait, je rentre enfin chez moi, Paul me rejoindra plus tard dans le lit conjugal ou il s’endormira d’un sommeil de plomb, écrasé de fatigue et enfin soulagé…

J’attendrai en vain le geste qui assassinera les mois de souffrances et d’humiliations, le regard qui me reconnaitra comme épouse, seuls les yeux bleus caresseront mon âme tuméfiée, Jacques…

Jacques…

Le destin mutilera le soleil entré par effraction dans ma vie en irradiant mon quotidien …

Y-a-t-il un commandement ordonnant un choix sacrificiel ?

Honnêteté et bonheur se sont-ils épousés pour le meilleur et pour le pire ?

Pas toujours pour le meilleur…

Il me faudra expliquer à Jacques cette lâcheté, ces yeux fermés qui consentaient, ce nouveau partage du lit conjugal, l’avenir qui se dessine en ombres et en cendres, les enfants sanctifiées, la mère juive, le…

Le fossoyeur termine de fixer le dernier rivet sur le cercueil des amours triomphantes…

Parler au milieu des sanglots qui étouffent et cracher d’inaudibles explications, tenter de faire comprendre et…

Et la suite ?

Mais certainement, mes amis…

Je ne faillirai pas à ma quotidienne promesse.

Demain.

Même lieu

Même heure

Que cette journée signe l’arrivée de vaccinodromes où se feraient piquer ceux qui sont convaincus.

Mais non.

Ce n’était qu’une boutade d’humoriste en mal de notoriété…

On attendra…

Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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