“Bambi”, de Felix Salten, est une allégorie contre l’antisémitisme

Aux origines du célèbre Walt Disney, un texte somptueux qui flamba dans les autodafés du IIIe Reich
Félix Salten


Et si Bambi n’était pas celui qu’on croit ? Sorti en 1923, le “Bambi” de Felix Salten est une allégorie contre l’antisémitisme. Auteur juif autrichien, il sent la haine grimper en Europe et, à travers son roman, raconte ses peurs.

https://www.franceculture.fr/histoire/bambi-un-roman-contre-lantisemitisme

Un petit faon survivant seul dans la forêt après le décès de sa mère, c’est l’histoire de Bambi. En réalité, la fable qui a inspiré Disney est une allégorie contre l’antisémitisme. Publié en 1923 par un auteur juif en Autriche, le roman Bambi sera brûlé par les nazis qui y voyaient une propagande menaçante.  

“Ce qui est très beau chez Salten, c’est cette manière de jouer d’un jeu d’échelle ou en fait, il parle de choses très graves, mais comme il les attribue à un faon qui est très candide, qui est très innocent, en fait, elles paraissent relativement légères”, résume Maxime Rovère, philosophe et auteur de la préface de la réédition du Bambi de Felix Salten. 

Écrivain et naturaliste

Felix Salten, de son vrai nom Siegmund Salzmann, vient d’une famille juive de Hongrie. Alors qu’il est enfant, sa famille déménage en Autriche, l’un des pays européens à accorder la pleine citoyenneté aux Juifs. 

Journaliste, critique, écrivain, scénariste, Felix Salten évolue dans la haute société viennoise. Il fait partie d’un mouvement de retour à la nature, qui prône l’hygiène, le sport, le soin du corps au début du XXe siècle. 

Émerveillé par les Alpes après un voyage, il se lance dans l’écriture de Bambi, un roman pour adulte qui suit les premiers pas d’un faon abandonné.

“Il est très évident dans la nature de Salten, qu’il y a une menace qui est permanente et qui pèse sur tous les êtres. C’est aussi le prolongement d’une réflexion très allemande sur le corps et sur une nouvelle manière de vivre son corps comme une sorte d’échappatoire. Et puis, c’est surtout pour les Autrichiens, une manière d’explorer leur paysage, parce qu’il y a malgré tout, dans cet environnement là, un attachement aux Alpes qui est très fort”, explique Maxime Rovère.

Le livre est couronné de succès en Europe et aux Etats-Unis. Bambi est vu comme une ode à la positivité, aux débats, à la bienveillance. Les lecteurs sont fascinés par la projection anthropomorphique de l’enfant sur le faon.

Une allégorie contre l’antisémitisme

Rapidement, les lecteurs perçoivent dans ce rite initiatique un sous-texte… Comme si Salten, à travers Bambi, dévoilait ses propres peurs, celle d’une société dans laquelle, en tant que Juif, il est persécuté.  

“On est en 1923, c’est-à-dire que l’antisémitisme en Autriche est très fort et il est partout. Une partie des peurs que raconte Bambi ne sont pas spécifiquement liées aux menaces qui pèsent sur les Juifs, elles sont liées aux terreurs et aux épreuves qu’ont traversées l’ensemble des membres de la société autrichienne. Mais il y a une inquiétude qui vient, je crois, de la guerre, c’est-à-dire que vraiment, les Juifs vivent une situation encore plus particulière puisque non seulement la guerre, ils l’ont vécue comme les autres, mais en plus, ils continuent d’être l’objet d’une sorte de soupçon. Dans Bambi, c’est vraiment cette atmosphère qui est une menace latente”, poursuit Maxime Rovère.

L’insécurité de Bambi face au chasseur est l’allégorie de l’insécurité de Salten face à l’antisémitisme. L’auteur y glisse des références : des mots ressemblant au yiddish, des détails évoquant des figures juives. Le père de Bambi a des airs de Theodor Herzl, père du sioniste et ami de Salten. Comme Herzl, il guide son peuple vers une terre sacrée, qu’il espère sans danger. 

“Cette terrible détresse, dont on ne voyait pas la fin, répandait la rancœur et la barbarie. Elle réduisait à néant tous les usages, elle minait la conscience, anéantissait les bonnes mœurs, détruisait la confiance”

Une relecture sous le régime nazi

1933, Hitler prend le pouvoir en Allemagne, et le Bambi de Salten prend une autre dimension : il est lu comme une pure allégorie anti-nazie. Les chasseurs deviennent les nazis, les chevreuils, les Juifs. Cette relecture vaut au livre d’être inscrit sur liste noire et brûlé lors d’autodafés. Il n’a pas “l’esprit allemand”, tout comme les romans communistes, pornographiques, parodiques. 

“C’est un livre d’un auteur juif, on considère donc qu’il s’inscrit dans une loi générale de lutte contre l’influence des Juifs en littérature et dans la culture en général. C’est le grand délire antisémite du Reich”, développe Maxime Rovère.

1938, l’Allemagne annexe l’Autriche, Salten fuit en Suisse et vend les droits de son livre. C’est Disney qui les récupère.

À cette époque, Walt Disney entretient des relations avec des personnalités antisémites. Son frère s’est notamment rendu à Berlin en 1937 pour faire la promotion de “Blanche Neige” auprès de Goebbels.

Le message politique du Bambi de Salten est alors éclipsé, Disney en fait un film contemplatif aux images enchanteresses. Une ode à la nature, aux saisons et aux animaux qui sort en 1942 avec l’espoir de faire oublier les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. 

Ce qui n’empêche pas Salten d’aimer profondément le Bambi de Disney qu’il considère comme un chef-d’œuvre de douceur et beauté. 

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