Hagay Sobol – Israël et le Soudan, le rapprochement

Après l’électrochoc des accords d’Abraham, l’onde de paix se propage désormais en Afrique

Normalisation entre le Soudan et Israël

Photo-montage du Premier ministre soudanais Abdalla Hamdok et son homologue israélien Benjamin Netanyahu.

Le Soudan, dans la foulée des accords de paix d’Abraham, vient d’annoncer la normalisation de ses relations avec Israël, sous les auspices des USA. Si Khartoum a beaucoup à gagner, du retrait de la liste des Etats soutenant le terrorisme jusqu’aux aides économiques indispensables à la survie du pays, cette embellie diplomatique profitera également à tout le continent africain en créant des synergies stratégiques, en particulier dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

C’est au cours d’une conversation téléphonique dans le Bureau ovale en présence de Donald Trump que des dirigeants israéliens et soudanais ont annoncé la normalisation des deux pays qui contrairement aux Emirats Arabes Unis (EAU) et Bahreïn ont été en conflit direct. De par sa situation stratégique et ses ressources naturelles, le retour du Soudan dans le concert des nations aura un impact substantiel dans la stabilisation et le développement économique du continent africain tout entier.

 Une haute valeur symbolique

Le fait que le Soudan musulman annonce une normalisation de ses relations avec l’Etat Juif est tout sauf anodin, car ce rapprochement revêt une valeur hautement symbolique. C’est à Khartoum, pilier du front anti-Israël en Afrique, que fut prise la fameuse résolution du « triple non » de la Ligue Arabe envers « l’entité sioniste », – non à la paix, non aux négociations, non à la reconnaissance -, suite à la guerre des six jours en 1967. Cette avancée constitue une rupture nette avec une politique panislamiste faisant de ce pays une base idéologique et logistique à la fois pour les milices djihadistes sunnites, – Oussama Ben Laden a vécu au Soudan de 1992 à 1996 -, et l’Iran chiite qui a utilisé ce territoire pour le transfert d’armes à destination de ses supplétifs, ayant nécessité l’intervention directe d’Israël. Ce positionnement a valu au Soudan d’être mis au ban de la communauté internationale et de se retrouver dans une situation économique désespérée. Après l’électrochoc des accords d’Abraham, l’onde de paix se propage désormais en Afrique.

Le soudan au bord du gouffre

Le Soudan qui fut un temps le pays le plus vaste d’Afrique, a vu se succéder les conflits et les coups d’Etat militaires. Malgré des ressources naturelles considérables, incluant les énergies fossiles ou l’uranium, il est un des pays les plus pauvres de la planète. Une situation économique encore aggravée par l’indépendance du Soudan du Sud qui le prive de la manne pétrolière. Après le renversement de l’islamiste Omar el-Bechir, resté 30 ans au pouvoir et accusé de génocide par la Cour Pénale Internationale, son successeur, Abdel Fattah Abdelrahman al-Burhan ouvre une nouvelle page en s’alliant avec les Etats-Unis et Israël. En s’engageant à ne plus soutenir le terrorisme, il compte obtenir des aides financières, favoriser les investissements et les coopérations internationales, ainsi que l’accès à des marchés économiques indispensables à la survie à court terme du pays. En ce qui concerne l’Etat Hébreu, bien que la normalisation soit partie intégrante du « package deal » avec l’administration Trump, il existe également des raisons plus spécifiques. Durant l’intermède du Président Gaafar Nimeiry, pro-occidental, et sous l’influence du Président égyptien Anouar el-Sadat, signataire du premier accord de paix israélo-arabe, les relations entre les deux Etats étaient mutuellement bénéfiques. Ainsi, Khartoum a aidé secrètement au rapatriement en Israël des juifs éthiopiens, ou Falashas, lors de « l’opération Moïse » dans les années 1980, durant la grande famine.

« Le retour d’Israël en Afrique »

Les relations entre l’Etat Hébreu et le continent africain sont anciennes. Israël a partagé très tôt son expérience de l’agriculture en milieu désertique et a régulièrement apporté une aide humanitaire lors de conflits comme au Darfour à majorité musulmane ou au Sud Soudan à destination des minorités chrétienne et animiste. Mais cela s’est dégradé avec les années de conflits au Moyen-Orient et sous l’influence de leaders tels que le libyen Mouammar Kadhafi. Si désormais, un nombre croissant de pays entretiennent des relations diplomatiques avec l’Etat Hébreu, il existe cependant une « zone d’exclusion » allant du Sahel jusqu’à la Méditerranée, avec deux exceptions notables, l’Egypte et très récemment le Tchad. Ce dernier ayant signé un accord officiel en 2019. La normalisation avec le Soudan fait sauter un verrou stratégique et psychologique important. De par les frontières qu’il partage, avec la Libye, menacée par l’ingérence turque, et avec des alliés d’Israël, ainsi que son débouché sur la Mer rouge, les impacts régionaux et internationaux sont potentiellement considérables, en termes diplomatiques, sécuritaires et économiques.

Un espoir pour l’Afrique

Cet accord va favoriser la réintégration régionale du Soudan en apaisant les tensions avec le Soudan du Sud, et avec ses autres voisins, alliés des USA et de l’Etat Hébreu. Ce faisant, se dessine un continuum territorial imposant allant de la Mer rouge à la Méditerranée qui permettra la mise en place de synergies dans tous les domaines, et en premier lieu dans la lutte contre le terrorisme djihadiste tirant parti de l’immensité des territoires et des divisions. L’officialisation de la présence israélienne et son association aux dispositifs existant, tels que la force Barkhane Française et le G5 Sahel augmentera son efficacité. Il suffit de se rappeler du règlement de la prise d’otage islamiste du centre commercial Westgate à Nairobi au Kenya. Contrecarrer la politique expansionniste de la Turquie en Libye est également une priorité car ce conflit risque de contaminer tous ses voisins, d’autant plus qu’Ankara y a déployé des supplétifs islamistes venant de Syrie. La convergence d’intérêt avec le Forum EastMed (Egypte, Israël, Grèce, Chypre, Jordanie, Autorité Palestinienne, France), constitué pour l’exploitation et la sécurisation des ressources en Méditerranée orientale, parait naturelle. Ensuite, la stabilisation régionale favorisera une exploitation optimale des ressources et la mise en place d’infrastructures partagées. A titre d’exemple, on imagine aisément l’impact économique du transit de pétrole provenant de cette nouvelle aire pacifiée, de la Mer rouge à la Méditerranée, en direction de l’Europe, via le « hub énergétique » utilisant le pipeline israélien allant d’Eilat à Ashkelon, comme cela a déjà été contractualisé pour les hydrocarbures émiratis. Cela réduirait drastiquement les coûts de production et la dépendance de l’UE (Union Européenne) à la Russie. Les domaines concernés sont multiples et l’avenir très prometteur.

Les élections américaines, un changement de cap dans la poursuite du processus de paix ?

A n’en pas douter, même s’il soulèvera des critiques, tant en interne, de la part des partis islamistes soudanais, ou de l’habituel front du refus, l’Iran, la Turquie et le Hamas en tête, le processus engagé, aura une influence bien plus large. Car les pays ayant mené une politique de boycott active envers Israël n’ont rien gagné, bien au contraire. D’autant plus que certains Etats africains n’ayant plus de relation officielle ont cependant maintenu des liens diplomatiques officieux, à l’image de l’ambassade longtemps tenue secrète d’Israël au Bahreïn qui a fonctionné pendant 10 ans, ce qui explique la rapidité de la mise en œuvre de coopérations avec les pays du Golfe, une fois l’accord annoncé. Ce rapprochement est le résultat de la politique étrangère de l’administration Obama, considérée comme pro-iranienne et menaçant la sécurité des alliés traditionnels de l’Amérique. Ainsi, il est paradoxal de constater que ce n’est pas le lauréat du Prix Nobel, celui sur lequel se fondaient tous les espoirs qui a fait le plus avancer la cause de la paix. Mais celui que personne n’attendait, le très décrié Donald Trump. Même si les accords d’Abraham et ses suites en Afrique, ou les négociations sur la frontière maritime entre le Liban et Israël, sont les seules réussites à mettre au crédit du locataire actuel de la Maison Blanche, cela pèsera lors du scrutin présidentiel de novembre, et plus généralement sur la diplomatie des USA sur le long terme. Si Jo Biden devait l’emporter, il lui sera difficile de renier cet héritage et de faire machine arrière, d’autant plus que des fuites savamment orchestrées annoncent qu’Oman, l’Arabie Saoudite et de manière plus surprenante le Qatar, seraient les prochains candidats sur la route de la normalisation.

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2 Comments

  1. Bien vrai, tout ça.

    Et le « verrou palestinien » a sauté ; nul besoin désormais pour des pays arabo-musulmans de conditionner leur relations avec Israël par l’avènement d’un « Etat palestinien » ni par la « solution du problème palestinien ».
    Même si certains en parleront encore longtemps du bout des lèvres, pour la galerie et pour leur propre opinion publique.

    Changement de paradigme donc. Une percée historique, rien de moins.

    Israël est désormais la clé de voute d’une alliance, improbable encore hier, des Etats sunnites du proche Orient et de l’Union européenne (France en premier) ; face à la Turquie et l’Iran et leurs allées.
    Un enjeu majeur en étant les réserves gazières en méditerranée orientale.

    Hagay Sobol admet donc, même si cela lui en coûte, la part du crédit qui en revient à Donald Trump, ayant facilité les choses par une incitation-caution américaine moyennant entre autres l’argent et les ventes d’armes.
    Trump qui se retire certes militairement de la région mais laisse derrière une délégation unie et armée à sa main.
    Même si une cheville ouvrière en est son gendre Jared Kushner.

    Il reste à Sobol de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Mentionner, au moins une fois, Netanyahou, l’autre cheville ouvrière, sans lequel rien de tout ça ne serait possible.

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