Mëir Waintrater. lI y a 38 ans: les massacres de Sabra et Chatila

Ce bref article, publié ici même en 2013, reprend les éléments essentiels d’un dossier bien plus étendu que j’ai publié en janvier 2008 dans le mensuel L’Arche. Les témoignages et commentaires parus entre-temps n’ont fait que valider son contenu. Je le reproduis donc, à la demande de plusieurs amis.
M. W.
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Entre le jeudi 16 septembre 1982 et le samedi 18 septembre 1982, des membres des Phalanges chrétiennes libanaises massacrèrent des Palestiniens et des Libanais musulmans dans les quartiers de Sabra et Chatila, à Beyrouth. Les Phalangistes entendaient venger ainsi l’assassinat de leur chef, Bachir Gemayel, qui venait d’être élu président du Liban. Le massacre de Sabra et Chatila (les estimations du nombre des victimes varient, selon les sources, entre 800 et 3000 morts) s’inscrivait dans le cadre d’une guerre civile libanaise qui, en quinze années de combats, fit environ 150 000 morts, des atrocités étant commises par toutes les parties.

Très vite, toutes les informations – de source israélienne, libanaise ou palestinienne – indiquèrent que le responsable du massacre de Sabra et Chatila était l’officier phalangiste Élie Hobeika. Mais ce dernier ne fut jamais inquiété. Au contraire: entré en politique dans la mouvance pro-syrienne, Élie Hobeika fut par la suite élu au Parlement libanais, et devint ministre dans un gouvernement dirigé par Rafic Hariri.

Si les auteurs du massacre étaient clairement identifiés, une question se posait quant au comportement de l’armée israélienne. En effet, l’armée israélienne, qui était entrée au Liban trois mois auparavant, contrôlait Beyrouth-Ouest au moment du massacre. L’affaire suscita donc une vive émotion en Israël. Le gouvernement israélien dut créer une commission d’enquête indépendante dont les membres furent, conformément à la loi, nommés par le président de la Cour suprême. La commission Kahane remit le 8 février 1983 un rapport, long et détaillé, qui décrivait les événements de septembre 1982.

Sur le massacre lui-même, le rapport est sans ambiguïté: il a été commis par les Phalangistes, et eux seuls. «Nous n’avons aucun doute sur le fait qu’il n’y a pas eu de complot ni de conspiration entre qui que ce soit de la direction civile d’Israël, ou de la direction de Tsahal, et les Phalangistes.» Cependant, la commission Kahane ne s’en tient pas là. Elle introduit dans le débat un concept de «responsabilité indirecte», qui est plus moral que juridique. Et elle met en cause des dirigeants israéliens dont la faute est de n’avoir pas prévu ce qui résulterait de l’entrée des Phalangistes dans Sabra et Chatila, ou de n’avoir pas eu suffisamment de présence d’esprit, lorsque les premières rumeurs sur le massacre commencèrent à circuler, pour ordonner à Tsahal d’intervenir à Sabra et Chatila et d’en faire sortir les Phalangistes.

Ainsi furent blâmés par la commission, à des degrés divers: le premier ministre Menahem Begin, le ministre de la défense Ariel Sharon, le ministre des affaires étrangères Itzhak Shamir, le commandant en chef des armées Raphaël Eytan, le chef des renseignements militaires Yehoshoua Saguy, le commandant de la région nord Amir Drori, et le général Amos Yaron. La recommandation la plus sévère était celle visant Ariel Sharon, qui dut quitter ses fonctions.

Dans la conclusion de son rapport, la commission Kahane évoqua l’argument, non dénué de fondement, selon lequel «des massacres ont eu lieu auparavant au Liban, avec des victimes beaucoup plus nombreuses qu’à Sabra et Chatila, mais l’opinion publique mondiale ne s’en est pas émue et aucune commission d’enquête n’a été établie». Elle rejeta cet argument, en soulignant que l’objectif de son enquête était de préserver «l’intégrité morale d’Israël, et son fonctionnement en tant qu’État démocratique adhérant scrupuleusement aux principes fondamentaux du monde civilisé». La commission ajouta: «Nous ne nous berçons pas de l’illusion que les résultats de notre enquête pourraient suffire à convaincre ou à satisfaire les gens nourris de préjugés et les consciences sélectives. Mais notre enquête ne leur était pas destinée.»

On peut souligner encore, à l’usage des «consciences sélectives», que la faute commise par les Israéliens est moindre – si l’on considère l’implication directe dans les événements, et l’ampleur des massacres – que celles commises par des militaires de diverses nationalités stationnés en Yougoslavie, au Rwanda ou ailleurs.

Mais les Israéliens furent les seuls, ou presque, à avoir enquêté sur les manquements commis par leurs propres militaires; et ils se trouvent mis en accusation de ce fait, tandis que les auteurs du massacre de Sabra et Chatila ont été exonérés de toute poursuite.

© Mëir Waintrater

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4 Comments

  1. Et puis ajoutons que l’année suivante, les meurtriers des milices chiites Amal ont parachevé le travail des phalangistes. Mais comme l’armée israélienne ne pouvait pas être impliquée dans cette nouvelle atrocité, tout le monde a zappé…

  2. Nous devenons ridicules tellement notre sens de la culpabilité nous étouffe. Il n’y avait pas besoin de rapport Kahane pour savoir qu’une responsabilité Israélienne allait être dégagée….

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  1. Jacquot Grunewald. "L'intégrité morale d'Israël" - Tribune Juive

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