Sarah Cattan. Juste un thé au Novitchok

Alexeï Navalny

Nous, en France, on est trop busy. Que fallait-il penser de l’Affaire Obono-VA ? Déjà qu’on sortait à peine de la grosse escroquerie Assa Traoré, vacances aidant.

Nous, en France, on sait bien qu’on va se reprendre tout ça, là, tout de suite : nos débats foireux sur la qualité lexicale du mot ensauvagement. Nos Gilets jaunes. Raoult ou no-Raoult. Et j’en pmasse…

Alors, nous, en France, déjà qu’on n’a pas trop le temps de s’enquérir ou s’émouvoir du sort de Nasrin Sotoudeh ou de celui de Denis Mukwege, ne nous demandez pas aussi d’informer sur celui … d’Alexeï Navalny.

La Russie, ça n’est pas que ce fût si loin. Mais nous en France, nous prendrons l’info. Et passerons à autre chose. Car nous baisserons … la tête.

Les empoisonnements sont pléthore au Pays de Vlad et à force, nous nous sommes habitués à ne plus rien dire tant ces crimes sans commanditaires sont roupie de sansonnet là-bas. Touchant anciens agents, responsables politiques, journalistes et opposants russes. Presque toujours frappés … d’empoisonnement. C’est ballot quand même.

Le dernier en date, ça lui a pris le 20 août : Alexeï Navalny, avocat, blogueur, militant anticorruption et l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine, lequel ne mentionne jamais son nom mais l’appelle … Ce monsieur, Alexeï Navalny, donc, qui n’a cessé au fil des années de défier ce qu’il a appelé … un régime d’escrocs et de voleurs.

Alexeï Navalny

Cet opposant au Kremlin s’est senti mal à bord d’un vol commercial. Le thé offert faillit lui être fatal puisque le voilà dans le coma. Sa porte-parole a beau accuser sans hésiter ledit thé, seule boisson ingérée dans un café de l’aéroport sibérien de Tomsk, Nous avons beau, tous, penser derechef à Anna Politkovskaïa, journaliste empoisonnée en 2004 elle aussi par un thé seul, Anna qui n’échappa guère à la mort promise puisqu’elle fut, deux ans plus tard, assassinée par balles dans la cage d’escalier de son immeuble moscovite, Nous avons beau savoir que la méthode est banale là-bas, le rédacteur en chef adjoint du même journal, la Novaïa Gazeta, ayant subi en 2003 le même sort, Nous avons beau être en mesure de tous les lister, ces morts mystérieuses : seul le silence répond, nulle enquête criminelle n’a été ni ne sera ouverte, les responsables n’ont été ni ne seront jamais retrouvés.

Anna Politkovskaïa

La méthode est rodée : allez prouver que Anna ou Navalny ont été empoisonnés : la réalisation de tests éloquents et irréfutables doit être menée aussitôt. Jamais elle ne le fut. Ou le fut trop tard, les toxines étant alors devenues indétectables. Il sera alors évoqué quelque substance toxique inconnue. Next.

De ci, de là, une tentative de meurtre sera médiatisée : en 2018, Sergueï Skripal, ancien agent de renseignement russe recruté par les services britanniques, est empoisonné non loin de Londres. Par du Novitchok, substance de conception soviétique. Des sanctions internationales suivirent-elles ? Next

Concernant L’Affaire Alexeï Navalny, le diagnostic semble clair : voilà, après moult tractations, l’opposant de Vladimir Poutine transféré par avion médicalisé de l’hôpital d’Omsk à un établissement réputé de Berlin par les bons soins de l’ONG allemande Cinema for Peace, drivée par son fondateur Jako Bizilj.

L’empoisonnement politique est pratique ancienne en Russie. Les noms qui nous reviennent en mémoire ont été exposés à des agents Novitchok, poisons développés secrètement par les autorités soviétiques durant la Guerre Froide, lorsqu’ils ne burent pas, comme Alexandre Litvinenko, ancien agent du KGB, un thé aromatisé au polonium 210, un métal radioactif extrêmement puissant, rare et cher. Litvinenko qui laissa une lettre testamentaire publiée le 25 novembre 2006 par le Mail On Sunday , et reprise par l’INA, intitulée “Pourquoi je pense que Poutine voulait ma mort…” : Il est temps de dire quelques mots aux responsables de mon état actuel. Vous pouvez faire taire un homme mais les hurlements de protestation du monde entier retentiront à vos oreilles pendant le reste de votre vie, M. Poutine. Que Dieu vous pardonne pour ce que vous avez fait, non seulement à moi mais encore à la Russie et à son peuple.

La tombe d’Alexandre Litvinenko, dans le cimetière de Highgate à Londres, le 21 janvier 2016. (TOBY MELVILLE / REUTERS)

L’enquête, elle, mettra quelque dix années avant d’aboutir à la culpabilité du Kremlin. Next.

D’autres[1] ingérèrent à leur insu manganèse, cuivre, zinc et mercure. D’autres encore subirent un autre sort : vous souvient-il de Viktor Iouchtchenko, défiguré par la dioxine. Le Monde rapporta que la concentration de cette substance chimique dans le corps de Iouchtchenko était 10 000 fois supérieure à la valeur maximale autorisée. Nous étions en 2005. Plus de 15 ans après, aucune responsabilité n’a été formellement établie en l’affaire. D’autres, enfin, perdront subitement la vue mais aussi l’usage de la parole : c’est ce qui arriva en 2018 à l’activiste Piotr Verzilov.

Aujourd’hui, Berlin affirme que Navalny a été empoisonné. Il dispose désormais d’une protection exceptionnelle, des policiers montant la garde devant l’entrée des urgences de l’hôpital berlinois de la Charité, signe – s’il en fallait- du sérieux avec lequel Berlin considère l’affaire : les autorités allemandes, Compte tenu du rôle éminent joué par M. Navalny dans l’opposition politique en Russie, appellent Moscou à faire la lumière sur cette tentative d’assassinat et à en juger les responsables, a déclaré Angela Merkel herself, menaçant que l’UE et l’Otan décideront d’une réponse commune appropriée selon l’implication de la Russie, mais … taisant les autres contentieux très lourds entre Berlin et Moscou.

La justice russe n’a toujours pas ouvert la moindre enquête. Le silence est de règle.

Aujourd’hui, la Russie est sommée de communiquer sur son programme Novitchok auprès de l’OIAC, Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, a-t-il été déclaré lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Les alliés de l’Otan sont d’accord pour dire que maintenant la Russie doit répondre à de sérieuses questions. Le gouvernement russe doit totalement coopérer avec l’OIAC dans le cadre d’une enquête internationale impartiale. Les responsables de cet empoisonnement doivent être traduits en justice, pour violation flagrante du droit international. Sic.

Chuuuut. Il ne sied pas de parler d’éventuelles sanctions contre la Russie.

L’Europe ? Obligée de suivre même silencieusement Angela Merkel, L’Union Européenne a appelé la Russie à faire toute la lumière sur l’empoisonnement d’Alexeï Navalny. Paris condamne l’utilisation choquante et irresponsable du Novitchok. Ça ne coûte rien.

Le Kremlin dément toujours toute implication. Comment faire ? Difficile de parler de punition quand vous n’avez pas encore, à ce stade, les responsables, a déclaré un porte-parole de la Commission européenne.

Mais comme l’Otan a annoncé une réunion où sera notamment discuté l’empoisonnement de Navalny, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Les Novitchok, des agents neurotoxiques hérités de la Guerre froide

Les Novitchok, nouveau venu en russe, ne représentent pas un mais une centaine de gaz innervants. Ils ont été développés par l’union soviétique dès les années 70-80 dans les dernières décennies de la Guerre froide. Ils sont présentés comme les gaz les plus mortels jamais créés.

Pour info, ces substances ont été créées de telle façon qu’elles ne sont pas concernées par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques signée en 1993 et entrée en vigueur en 1997.

Pour info encore, la principale voie d’exposition est l’inhalation, et les effets sont rapides, généralement dans les 30 secondes à deux minutes[2].

Enfin, sachez que c’est Vil Mirzayanov, scientifique soviétique, qui révéla en 1990 l’existence du Novitchok, affirmant au New York Times que ce poison suffirait à anéantir une ville de taille moyenne.

Seront entamées des discussions sur de possibles sanctions contre la Russie si Moscou ne livre pas dans les prochains jours des explications sur l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, a prévenu aujourd’hui l’Allemagne. Next.

Real Politik


[1] C’est le cas de l’opposant russe Vladimir Kara-Murza, en 2015.

[2] Science Direct.

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2 Comments

  1. Vrai, tout ça.
    Et inutile. Car.

    Jadis l’Europe (de l’ouest) croyait en la supériorité de son système de valeurs (souvent dit « christianisme ») et s’arrogeait le droit de l’imposer au monde entier.
    Moyennant certes la persuasion ; mais aussi, au besoin et bien volontiers, la contrainte, le supplice, l’armée ou l’inquisition.

    Cette croyance n’est jamais disparue ; voilà par exemple de tels articles qui sous-entendent doctement que l’organisation politique française actuelle dite « démocratie », même bien ébranlée sous nos latitudes, est supérieure à d’autres (la russe, en l’occurrence) et devrait être fortement conseillée, voire imposée à ces « autres », forcément sous-développés voire carrément sauvages poutiniens.

    On leur « conseillera » donc nos modes opératoires : la « liberté » de la presse et de l’opinion, la liberté de s’opposer au pouvoir…
    Au besoin, « on » les sanctionnera s’ils s’obstinent, les abrutis, à se comporter à leur manière. « On » les bombardera à l’occasion (cf. Kadhafi en Libye 2011).
    Pas suicidaires, « on » hésitera quand même à bombarder Moscou pour y promouvoir la « démocratie »…

    Avec la certitude des ignares « on » méconnaitra leurs différences qui sont à l’origine de leur mode de gouvernance.
    L’immensité de leur pays et de leur population ; leurs diversités ethniques, religieuses, culturelles ; leurs mentalités.
    Leur horrible Histoire qui fait rimer, à terme, liberté avec anarchie avec guerre civile avec chaos avec répression avec tyrannie.

    « On » portera Navalny au pinacle. En oubliant que la plupart des Russes ne nous demandent pas notre avis ; car ils connaissent le prix, chez eux, de la « liberté ».

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