Marc Knobel. “Sales juifs”, lors d’un rassemblement antiraciste : comment La France insoumise a-t-elle réagi ?

Illustration : le rassemblement du 13 juin à Paris par Jeanne Menjoulet, @Flickr.

Lors d’un rassemblement antiraciste, place de la République, à Paris, ce samedi 13 juin 2020, 15 000 manifestants ont répondu à l’appel du comité Adama Traoré contre le racisme et les violences policières.

À un moment, des militants de génération identitaire, un groupuscule d’extrême-droite, déploient du haut d’un immeuble une banderole dénonçant le « racisme antiblanc ». Au milieu des cris de protestation, dans la foule, l’insulte de « Sales juifs » est entendue, sans qu’il soit possible de déterminer précisément la ou les personnes qui en sont à l’origine. Mais comment le sait-on ?

Par une vidéo diffusée sur Twitter, à 16h33, par l’hebdomadaire Valeurs actuelles, avec le commentaire suivant : « “Sales juifs”, crient des manifestants antiracistes ulcérés par une banderole de #GénérationIdentitaire pour les victimes de racisme antiblancs. »

Nous avons visionné la vidéo qui dure 1 minute et six secondes. Les insultes antisémites sont proférées dans les 36 premières secondes de cette vidéo, elles ne provoquent pas de réaction ou de réprobation des personnes qui entendent ces slogans, à une exception près (1). Ensuite, dans la vidéo, nous entendons de nombreuses huées, puis les gens qui scandent « pas de justice, pas de paix ».

La préfecture de police ne tarde pas à réagir. À 17h27, elle annonce sur Twitter que le préfet Didier Lallement « signale ces propos antisémites à la justice ». Maintenant que nous venons de rappeler le contexte, nous voulons examiner dans cet article comment des députés de La France insoumise ont pu réagir à ces insultes antisémites, parce que cela a suscité une polémique.

La violente charge de Jean-Luc Mélenchon et les « ragots antisémites »

Sur son compte Twitter, sur place, Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise, passe à l’offensive. Il écrit qu’un « communiqué de la préfecture de police incite à la haine en colportant des ragots antisémites. Méthodes indignes pour diviser, semer la haine et défigurer la marche pacifique des antiracistes. »

Examinons cette réaction. 

  1. La préfecture est d’abord accusée d’« inciter à la haine ». Rappelons que l’incitation à la haine est le fait de pousser par son attitude des tiers à maltraiter certaines personnes. Jean-Luc Mélenchon n’ignore cependant pas que, généralement, le discours de haine fait le plus souvent référence à une incitation à la haine… raciale. 
  2. Mélenchon accuse la préfecture de « colporter des ragots antisémites ». Généralement, les ragots sont des commérages malveillants et sans fondement. Ce faisant, il n’a probablement pas pu ou pas voulu vérifier l’information et ce qu’il en avait été des insultes. Il les met en doute.
  3. Dans un troisième temps, le député accuse la préfecture de « diviser, semer la haine et défigurer la marche pacifique ».

Examinons ces différentes accusations. 

Entre la diffusion de la vidéo et la réaction de la préfecture, il s’est passé 54 minutes. Si ce laps de temps est très court, il faut le reconnaître, il est cependant suffisant pour visionner une vidéo, vérifier l’information, et prendre une décision. Que cela plaise ou non à Jean-Luc Mélenchon, la préfecture de police est dans son rôle de signaler des propos à la justice ou des violences, en l’occurrence des propos incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale, un délit puni par la loi. Ce faisant, en quoi la préfecture pourrait-elle ainsi semer la haine ? Et, la haine envers qui ? 

Demandons-nous également ce qui divise. Le fait de tenir des propos antisémites lors d’un rassemblement contre le racisme et les discriminations ? Et/ou le fait de signaler que des propos antisémites ont été scandés ? Est-ce à dire que de signaler de l’antisémitisme serait un facteur de division ? Que l’antisémitisme n’est pas d’actualité ? 

Enfin, notons le caractère éminemment politique du tweet de Mélenchon. La charge est lancée contre la préfecture de police, notamment son préfet. Ce n’est pas la première fois qu’il s’en prend au préfet Didier Lallement. Par exemple, le 1er février 2020, l’ancien candidat à la présidentielle s’en est pris au préfet après la verbalisation du « gilet jaune » Jérôme Rodrigues. L’occasion d’une nouvelle surenchère verbale puisque cette fois-ci, il avait qualifié le haut fonctionnaire de « psychopathe ».

Ce faisant, il ne faut pas oublier que lorsque Mélenchon sermonne (violemment) Lallement et la police, il s’en prend également à son ministre de tutelle, Christophe Castaner et au pouvoir, les donneurs d’ordre(s). En même temps, l’intention politique pourrait être de contenter, de plaire, de satisfaire également à un/son public (les « gilets jaunes », des électeurs, les militants, des minorités…). Parallèlement, d’autres intentions se profilent.

  1. Mélenchon s’érige en figure de défense des quartiers (et de minorités) contre la police. 
  2. Il poursuit sa lancée, qui consiste à charger, à accuser la police, de « brutalité » depuis de nombreux mois. 

Un exemple ? Rappelons ici les propos du député, dans un autre contexte : « C’est des barbares. Soyez prudents, parce qu’ils ne s’arrêtent plus maintenant. » Voici la réponse adressée ce 24 septembre 2019 par Jean-Luc Mélenchon à un manifestant qui l’interpellait sur les violences policières, en marge d’un défilé parisien contre la réforme des retraites.

Depuis son tweet qualifiant les insultes antisémites de ragots, le député de La France insoumise n’est pas revenu sur son propos. Il se contente juste, le 14 juin, de retweeter un tweet de « La vérité pour Adama » : « Assa Traoré à la fin du rassemblement historique contre TOUS les racismes : “S’il y a eu des propos antisémites aujourd’hui, nous sommes tous chrétiens, juifs, musulmans, nous sommes tous français”. Les racistes n’ont aucune place dans notre combat ! »

Que dit le communiqué de La France insoumise ?

C’est le second temps, après le tweet de Jean-Luc Mélenchon. Le 13 juin 2020, sur son site Internet, La France insoumise publie un communiqué de presse qui « salue la formidable mobilisation initiée par le comité Adama et les collectifs de familles de victimes. Une foule massive, pacifique, résolue a incarné la France que nous aimons, celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. »

Mais, à la différence du tweet de son chef de file, le communiqué ne revient pas sur les insultes, il n’en fait même pas mention. Il ne revient pas non plus sur le propos de Jean-Luc Mélenchon.

Cependant une phrase de ce texte charge le préfet de police, même si la charge est assez vague : « Il a utilisé des techniques provocatrices pour faire dégénérer un rassemblement remarquable de sens politique et de calme. Nous dénonçons ce préfet et les responsables politiques qui, de Beauvau ou à l’Élysée, couvre ses agissements. »

Éric Cocquerel, député de La France insoumise, pense que l’on « invente maintenant l’antisémitisme » 

Le 15 juin 2020, Éric Cocquerel est l’invité du « petit déjeuner politique » de Patrick Roger, sur Sud Radio. Nous nous intéresserons uniquement aux 5 dernières minutes de l’entretien, celles qui portent plus précisément sur les cris de « Sales juifs », à Paris. Le journaliste demande à Éric Coquerel s’il a entendu les cris de « Sales juifs ». Agacé, le député lui répond : « Non arrêtez, c’est insupportable. » Puis, il ajoute aussitôt que c’est « Valeurs Actuelles, votre confrère d’extrême droite Valeurs actuelles, qui balance un truc, repris par l’AFP ». « Je suis consterné », déclare le député qui condamne les faits s’ils sont avérés et ajoute aussitôt : « c’est insupportable de diviser les gens, c’est insupportable de laisser penser que parce qu’à un moment donné vous avez des gens racisés, des noirs, des personnes arabes qui sont dans une manifestation, forcément il y aurait de l’antisémitisme ».

Dans cette affaire, ajoute le député, personne n’a parlé d’Assa Traoré qui a dit « nous sommes tous ici, chrétiens, juifs, musulmans et nous sommes la France, et aucun racisme n’a de place ici. » « Tout le monde aura pu constater une chose : en fait il y avait un piège. Manifestement, beaucoup de gens espéraient qu’il y ait des violences ce week-end. Ça a été une manifestation pour des gens qui étaient amassés ensemble, avec des lacrymogènes tirés, des policiers qui faisaient incursion… ça a été exemplaire en termes de calme, donc comme on n’a pas pu les prendre là-dessus, on nous invente maintenant l’antisémitisme ». 

  1. Notons l’utilisation étrange du terme de « gens racisés », pour qualifier les « noirs » et « des personnes arabes ». 
  2. Son interprétation est sidérante. Il laisse penser qu’il pourrait y avoir une suspicion d’antisémitisme dès lors que des arabes et les noirs assistent à une manifestation. 
  3. Cocquerel condamnerait les faits s’ils sont avérés. Mais, pour cela, il faudrait qu’il y croie. Ce n’est pas le cas, malgré l’évidence. Malgré les témoignages, le député de La France insoumise de Seine-Saint-Denis assure qu’il n’avait rien entendu de tel. Et prévient : « On nous invente l’antisémitisme, ce n’est pas bien de faire ça ». L’élu francilien y voit « un piège » pour tenter de « diviser les gens entre eux ».
  4. Coquerel reprend l’argumentaire de Jean-Luc Mélenchon selon lequel il y aurait eu une tentative afin de diviser le mouvement, de semer le trouble au sein du rassemblement.

Conclusion

Il y a quelque chose de particulièrement déroutant dans cette séquence. 

  1. Si l’on comprend bien les différentes expressions émises ici ou là, non content de ne pas croire qu’il y aurait eu/pu avoir de l’antisémitisme sous la forme d’insultes particulièrement violentes, ceux qui se sont exprimés à ce sujet y voient une forme d’instrumentalisation/de complot organisé par la préfecture et le pouvoir afin de diviser un mouvement (antiraciste). La dénonciation de l’antisémitisme apparaît comme un empêcheur de tourner en rond (2). 
  2. Dans ces expressions choquantes, il y a d’un côté une vision tellement naïve et idyllique de ce rassemblement. Elle flatte même un clientélisme. Qui plus est, La France insoumise semble incapable de s’interroger sur différents courants qui pourraient composer ce mouvement hétérogène : des indigénistes et des décoloniaux.
  3. Enfin, on retrouve là une logique qui avait été mise en œuvre en novembre 2019, lorsque Jean-Luc Mélenchon participait à une manifestation contre l’islamophobie, terme portant controversé, à l’appel entre autres du CCIF, Collectif contre l’islamophobie en France, qui cultive des liens avec les Frères musulmans. Entre Gare du Nord et Nation, on avait entendu l’un des organisateurs de cet événement, Marwan Muhammad, lancer des « Allahou Akbar » (Dieu est grand) repris par une partie de la foule. Jean-Luc Mélenchon avait été étrangement silencieux à ce moment-là. Comme quoi, l’indignation de Mélenchon est bien sélective et à géométrie variable.

1. La journaliste Sarah Benichou a sous-titré la vidéo diffusée par Valeurs actuelles. Sur son compte Twitter, elle explique qu’elle a travaillé avec un logiciel de montage pour nettoyer la piste audio, isoler des voix du brouhaha et bien entendre. Elle diffuse donc la piste originale, sans aucune modification de fréquence et de nettoyage. De ce travail, on entend à un moment d’une voix presque inaudible « Mais non ils ne sont pas Juifs ».

2. Voir Marc Knobel, « Sales juifs », vous avez dit ?, L’Obs, 14 juin 2020.

Marc Knobel

Marc Knobel est ancien membre du conseil scientifique de la Délégation Interministérielle de Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et la haine anti-LGBT. Auteur notamment de Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013, Berg International, 2013.

Source: Revue des Deux mondes. 17 juin 2020.

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1 Comment

  1. Il suffit de voir qui JLM soutient à l’étranger et de qui il s’entoure : des ordures, comme lui. Le terme “racisé” utilisé par Coquerel appartient explicitement au vocabulaire de l’extrême droite indigéniste : l’extrême droite, c’est lui. Et son parti.

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