Louis Imbert et Benjamin Barthe. Les pays arabes, réunis au Caire, mettent leurs divergences sur la Palestine en sourdine

Les membres de la Ligue arabe ont unanimement rejeté le plan de paix de Donald Trump, que certains d’entre eux avaient pourtant appelé à examiner, après sa présentation mardi à Washington.

Mahmoud Abbas ne pouvait pas rêver meilleur résultat. La réunion extraordinaire de la Ligue arabe, à laquelle le président palestinien avait appelé, en réaction à la présentation du plan de paix de Donald Trump, a abouti, samedi 1er février, à un rejet ferme et unanime de ce document très décrié.

L’organisation, réunie à son siège au Caire, a indiqué dans un communiqué qu’elle « rejetait l’accord (…) américano-israélien, étant donné qu’il ne respecte pas les droits minimaux et les aspirations du peuple palestinien ». La Ligue a ajouté que les dirigeants arabes se sont engagés « à ne pas coopérer avec l’administration américaine pour mettre en œuvre ce plan ».

« C’est un succès pour Abbas, qui a réussi à réunir à nouveau le monde arabe autour de la cause palestinienne, estime Ibrahim Fraihat, politologue palestinien basé à Doha. Ce n’était pas gagné du tout. Le soutien de ses pairs semblait un peu vacillant ces derniers jours ».

Effritement du camp propalestinien

Dévoilé mardi 28 janvier à la Maison Blanche par Donald Trump et Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, le prétendu « deal du siècle » accorde aux Palestiniens un Etat croupion, mité par les colonies juives, amputé de la vallée du Jourdain, avec, en guise de capitale, de lointains faubourgs de Jérusalem-Est.

Un arrangement en rupture complète avec les termes de référence du conflit, notamment le plan Abdallah de 2002, endossé par la Ligue arabe. Ce texte appelle à la création d’un Etat palestinien sur les territoires de 1967, débarrassés des colonies, avec Jérusalem-Est pour capitale.

Mais la présence à la Maison Blanche, au milieu des partisans extatiques de Benyamin Nétanyahou, des ambassadeurs émirati, bahreïnien et omanais, avait révélé quelques fissures dans cette façade propalestinienne. L’impression d’un effritement des positions arabes traditionnelles s’est accentué à la lecture des communiqués de réaction des différentes chancelleries.

Les Palestiniens, des « professionnels des occasions gâchées »?

Si plusieurs pays comme la Tunisie, l’Algérie, l’Irak et la Jordanie n’ont pas fait mystère de leur circonspection, voire de leur mécontentement, d’autres, très dépendants des Etats-Unis, comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU), ont jugé bon de « saluer les efforts » de Donald Trump et d’appeler à la reprise des négociations, en s’abstenant soigneusement de faire référence au plan Abdallah.

Le communiqué le plus accommodant est celui d’Abou Dhabi qui qualifie le plan Trump, voué par Abbas aux « poubelles de l’histoire », d’« initiative sérieuse » et d’« important point de départ ». Dans la presse saoudienne, étroitement liée à la famille royale, plusieurs éditorialistes ont même fustigé ces derniers jours l’attitude de rejet des Palestiniens, l’un d’eux les qualifiant de « professionnels des occasions gâchées ».

Divergences de vues mises en sourdine samedi

Mais samedi, dans la vaste salle de réunion de la Ligue arabe, ces divergences de vues ont été mises en sourdine. Le discours relativement offensif de Mahmoud Abbas, qui a annoncé la rupture de toutes les relations, y compris sécuritaires, entre l’Autorité palestinienne, d’une part, et Israël et les Etats-Unis, d’autre part, a été chaleureusement applaudi.

« Je n’accepterai jamais cette solution, je ne laisserai pas écrire dans mon histoire que j’ai vendu Jérusalem », a grondé le patriarche palestinien. Un argument imparable sur la scène diplomatique arabe, que son prédécesseur, Yasser Arafat, avait déjà brandi, à l’issue de l’échec des négociations de paix de Camp David, en 2000.

Dans leurs allocutions, retransmises en direct sur les télévisions arabes, les ministres des affaires étrangères ont récité l’un après l’autre les éléments de langage habituels sur la question palestinienne. Le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Faisal Ben Farhan, a assuré que cette cause demeurait la « priorité » du royaume et que son soutien à la création d’un Etat palestinien sur les territoires de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale restait inchangé.

Emirats arabes unis et Bahreïn appellent à « une position constructive et réaliste »

Son homologue égyptien, Sameh Choukry, qui a démenti lui aussi toute évolution de la position du Caire, a réaffirmé le soutien de son pays à la création d’un Etat palestinien sur la bases du droit international et du plan de paix arabe. Ayman Safadi, le ministre des affaires étrangères du royaume de Jordanie, qui redoute de faire les frais du plan Trump, a déclaré que la paix ne pourra jamais naître de « l’oppression et de l’occupation ».

Les seules variantes sur cette partition très convenue sont venues des Emirats arabes unis et du Bahreïn, les deux monarchies du Golfe qui se sont le plus rapprochées d’Israël ces dernières années, du fait de leur hostilité commune à l’Iran. Tout en mentionnant les frontières de 1967, leurs représentants ont réitéré leur appréciation du plan Trump, soulignant qu’il ne s’agissait pas d’une solution définitive. A la veille de la réunion, Anouar Gargash, le ministre d’Etat pour les affaires étrangères des EAU, avait appelé la Ligue à adopter « une position contructive et réaliste, qui aille au-delà des déclarations de condamnation ».

Le début d’une croisade pour Mahmoud Abbas

Malgré ces légers bémols, le communiqué final, en forme de camouflet pour la Maison blanche, a été ratifié par l’ensemble des participants. « On peut estimer que c’est une déclaration de pure forme, mais rien n’obligeait ces pays à l’adopter, observe Ibrahim Fraihat. S’ils l’ont fait, c’est qu’ils estimaient qu’il n’était pas dans leur intérêt de prendre position publiquement contre la Palestine. Cette cause, quoi qu’on en dise, conserve sa force dans l’opinion publique arabe. »

Fort de ce premier succès, Mahmoud Abbas entend poursuivre sa croisade contre le plan Trump. Il devrait plaider dans les prochains jours devant l’Organisation de la conférence islamique, l’Organisation de l’unité africaine et le Conseil de sécurité de l’ONU. Sur le terrain, en Cisjordanie, les observateurs s’interrogent sur l’arrêt de la coordination sécuritaire avec Israël, annoncé par le président palestinien. Jusqu’à présent, cette mesure, promise à plusieurs reprises, n’a jamais été mise à exécution.

Des membres des services de sécurité palestiniens affirmaient, samedi soir, n’avoir pas reçu l’ordre de rompre les contacts avec leurs homologues israéliens. Dès mardi, la directrice de la CIA, Gina Haspel, s’était par ailleurs fait confirmer, à Ramallah, par le chef du renseignement palestinien, Majed Faraj, et par le ministre des affaires civiles, Hussein Al-Sheikh, que la coopération avec l’agence américaine se poursuivrait.

Source: Le Monde. 2 février 2020.

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