Kotel. Un mur pour quoi faire? Charles Baccouche

                                                   

                                  

Je suis juste un mur, pas tout à fait tout de même, car j’existe depuis au moins 2 500 ans, peut-être plus et je ne soutiens rien.

Je suis une ruine, une relique et pourtant je joue un rôle important pour le monde entier, au centre de Jérusalem, au cœur de la Vieille Ville, qu’encerclent les murailles de Saladin, bien plus jeunes que moi.



On m’appelle le Kotel ha Maaravi ou Occidental chez les hébreux et Mur des Lamentations selon les sensibilités des peuples à travers le temps.

Je suis un long mur fait de grosses pierres avec des buissons entre elles et même des oiseaux qui peut-être y nichent. Mes visiteurs m’écrivent de petits mots qu’ils insèrent entre mes pierres, des demandes, des suppliques, des prières.



Je suis chargé d’histoires et d’Histoire, je suis un mur qui enflamme ceux qui m’approchent, ceux qui me parlent, oui il existe des multitudes de gens qui me parlent, qui prient le plus souvent mais comme je suis un Mur je ne leur réponds pas.

Une blague qui m’amuse : On demande à un vieil homme qui depuis cinquante ans se balance en priant devant moi s’il est satisfait de ses prières et lui de répondre :
« J’ai l’impression de parler à un mur ».

Je suis donc le dernier vestige du Temple qui était, selon la Bible, construit pour accueillir la Shéhina ou Présence de D… sur terre.
Mais ce Temple fut deux fois construit et deux fois fut détruit, en dépit du rôle éminent qui lui était assigné: rapprocher la Shéhina (la Providence) de l’Homme et l’Homme du Tout Puissant.


A Salomon, homme de paix et de sagesse, revint l’honneur de bâtir le premier Temple à Jérusalem, au Xème siècle avant l’ère vulgaire. Le nom de Salomon signifie « paix » et Jérusalem signifie « les deux paix », celle d’en haut et celle d’en bas, c’est-à-dire qu’au temple terrestre, dans la Jérusalem d’en bas, la tradition fait correspondre le Temple Céleste.

Ce Temple réceptacle de la sainteté fut néanmoins détruit par le colosse babylonien Nabuchodonosor en 586 avant l’ère vulgaire.
En 515 avant notre ère, sous l’égide de Darius roi de Perse, les hébreux exilés à Babylone revinrent au pays de leurs pères (Livre d’Esdras 6 :15) ; fut alors érigé le deuxième Temple qu’Hérode, dit le Grand, agrandit fastueusement.

Ce Temple fut à son tour détruit par Titus, futur empereur romain, en 70 de notre ère, qui dans le même souffle détruisit Jérusalem plongeant les hébreux dans une grande misère physique et morale.

Je suis donc les restes, les ruines de ces hauts lieux de piété dans ce qui est le pays, nous dit la Bible, « donné par Dieu au peuple descendant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob pour tout le temps que le ciel sera tiré au-dessus de la Terre ».

Ce peuple est devenu un peuple en ballottage, voué à la ruine et à l’opprobre des Nations pour ne pas avoir tenu ses promesses au Ciel, et destiné finalement à une disparition prochaine.
Je suis le seul témoin de cette banale histoire, un monument de l’antiquité, bien plus modeste, évidemment, que les grands temples grecs et romains.

A la stupéfaction des mêmes Nations, à travers les siècles de sang que l’humanité appelle l’Histoire, des gueux, des misérables, bref des Juifs, les descendants des hébreux exilés, se tinrent devant mes pierres, me faisant part de leur détresse, de leurs désirs, de leurs espoirs et, plus surprenant, me demandant de faire venir le temps de la reconstruction du Temple de l’Eternel à partir de mes ruines et même (quelle audace pour ces réprouvés!), leur retour au pays que le Tout-Puissant leur a donné.

Bien sûr, on leur a expliqué qu’ils étaient maudits, qu’ils avaient gravement désobéi à D…, qu’ils avaient enfreint la Loi du ciel, qu’ils n’étaient plus que les témoins de la nouvelle alliance, et que moi LE MUR, j’étais le lieu sacré d’où le Prophète de l’Islam s’était rendu au ciel.
On leur a dit qu’ils étaient sortis de l’Histoire et qu’il ne leur restait plus qu’un choix : soit se convertir aux nouvelles religions le Christianisme puis l’Islam, soit disparaître, eux les responsables des persécutions qu’ils enduraient en raison de leur entêtement.

On leur a dit encore qu’ils empêchaient la parousie. (Le retour du Christ à la fin des temps pour l’établissement du Royaume de D… sur la terre.)

Mais, après tant de siècles où ils prièrent au long du temps de l’exil, répétant inlassablement « L’An prochain à Jérusalem », voilà que malgré tous les efforts mis en œuvre contre eux, ils ne disparaissent pas mais reviennent en masse au pays de leurs pères, le reconstruisent et, comble d’insolence, (houtzpa dans leur langue), ils rentrent au Pays dévasté, le cultivent, le défendent, se rendent maîtres de mes espaces… et prient à nouveau devant moi !
De Mur des Lamentations, je suis devenu, par d’étranges grâces, le signe de la renaissance du vieux peuple qui a osé porter la Loi au monde.

C’est une bien étrange histoire tout de même que j’accompagne, moi simple mur, de bout en bout.

Un jour, le 7 juin 1967, alors que j’étais devenu un dépotoir et une « vespasienne », j’entends des rumeurs qui vont s’amplifiant et le son du Shofar qui se rapproche. Je vois surgir des Juifs mais cette fois en uniformes et armés…

Je n’en avais plus vu depuis 2 000 ans !

A leur tête, des généraux, jeunes comme les soldats de l’an II, un rabbin à la barbe chenue serrant dans ses bras comme on ferait d’un enfant un grand rouleau de la THORA, la loi du Monde en fait, sonnant à se faire exploser les poumons dans une corne de bélier : Le shofar.

Ce sont des parachutistes avec le général Motha Gur à leur tête, qui proclament avec des sanglots dans la voix “le Mont du Temple est entre nos mains” et les prières qui s’envolent par-dessus mes pierres résonnent de l’antique “Shéma Israël Adonaï éloenou Adonaï éhad. Ecoute Israël, l’Eternel notre D… l’Eternel est Un. »

Oui, ils étaient vraiment revenus cette fois, les Réprouvés, dans leur ancienne patrie, dans la Jérusalem d’or, d’airain et de lumière, dans les plaines du Sharon, et sur les montagnes de Galilée.

La légende devenait la réalité, ni par la pitié des Nations ni par leur antagonisme, mais par eux-mêmes avec la présence invisible et redoutable de son « Gardien qui ne dort ni ne sommeille »

Si longtemps ils avaient lancé dans la nuit de leurs exils leur espérance du retour au pays de leur père que le D… d’Israël avait juré de leur donner à jamais.

Leur prophète moderne, Théodora Herzl, le leur avait bien dit en 1902 :

« Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende ». Il arrive parfois que les prophètes ne se trompent pas.

Tenez-vous bien et venez voir (Il faut se méfier de ce que disent les médias) : vous verrez des centaines, non, des milliers de ces Juifs devant moi, souvent étrangement attifés, en uniformes de l’armée, en châle de prière, en loques ou vêtus de tous les costumes du monde, Hommes et Femmes se séparant pour me rejoindre (ils ne m’ont pas demandé mon avis, d’ailleurs je ne le leur aurais pas donné).

Maintenant et chaque jour, chaque nuit, chaque heure, ils prient comme des sentinelles du temps le long de moi, enfin le long de mes pierres.

Et les voilà se pliant, se balançant devant moi, psalmodiant des prières en hébreu, en Yiddish, en judéo-arabe, en russe, en anglais, en … je perds le compte.

Ils formulent des demandes en fermant les yeux, ils glissent des papiers dans mes interstices, ils pensent que je peux intercéder pour eux auprès du Tout Puissant (et…peut-être après tout ?)

Ils s’éloignent à petits pas, à reculons pour ne pas me tourner le dos et cela intrigue les visiteurs non-informés : visiteurs chrétiens, venus du monde entier, voyageurs curieux, historiens, groupes de touristes, toujours émus quand ils s’approchent de moi.

Le Mur. Salvador Dali


Je vois souvent arriver vers moi des cortèges dansants et chantant, portant les haténé Mitsva, c’est-à-dire des enfants de 13 ans faisant leurs Bar Mitsva (leur entrée dans la Communauté d’Israël) entourés par leurs parents, les familles emmenées par un chantre ou un rabbin, barbes, chapeaux, kippot (calottes).

Le Mur, par Vaéthanan



Ils se plantent devant mes pierres et entonnent des bénédictions et des psaumes et tout ce qui constitue l’âme de ce peuple, son attachement opiniâtre à sa langue, à sa terre, à son Livre.

Et moi qui suis ou qui devrais être habitué, je vous avoue que mon cœur de pierre s’attendrit devant ces enfants et qu’il m’arrive de confondre la rosée du matin avec des larmes de joie.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

2 Comments

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*