De la tour solaire à la voiture autonome, par Alain Chouffan

La petite ville de Sdé Boker, capitale du Néguev, va-t-elle aussi devenir la capitale mondiale du solaire ?

On le sait : Israël peut se prévaloir de compter une start-up pour 1 500 habitants. Le plus fort ratio du monde ! En quelques décennies, ce pays de 8 millions d’habitants – d’à peine 22,000 km2 – est devenu une vitrine de l’innovation et de la haute technologie. 3 visites dans cette pépinière de start-up le prouvent : la tour solaire la plus haute du monde, les avancées mondiales sur la route de la voiture autonome, et les miracles de l’Agriculture avec le jujubier et la salicorne.

On se frotte les yeux. En plein désert du Néguev, là, devant nous, surgit une immense tour, bien visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. Au pied de cette tour sont plantés de petits miroirs, presque collés les uns aux autres. 50 000 au total ! Impressionnant ! Alors, une base futuriste ? Non ! Avec cette tour solaire la plus haute du monde – 240 mètres – c’est le gigantesque projet écologique d’Israël dont l’entrée en fonction est prévue courant janvier 2018. Une prouesse technique inédite, à la mesure des espoirs placés par Israël, dans les énergies renouvelables. Située près du village de Ashalim, ce projet colossal conçu par le Professeur David Faiman, directeur du Centre israélien national de l’énergie solaire à Sde Boker (Université Ben Gourion), place Israël à la pointe d’une nouvelle technologie : la production « massive » d’électricité. Et de surcroît à… bas prix !

Pour faire accepter son projet, le professeur David Faiman, physicien nucléaire d’origine russo-britannique a mené un combat de titan, auprès des autorités israéliennes. Il aura mis 30 ans de sa vie, « toute une vie », précise-t-il, pour gagner son pari. Il a été le premier à avoir compris l’importance, pour Israël, d’une autonomie énergétique en matière d’électricité. Certes, le gouvernement israélien voulait bien investir dans ce projet mais à une seule condition : faire baisser le prix de l’électricité produite ! « Bien sûr, rétorque David Faiman, c’est la principale raison pour laquelle les techniques solaires se sont adaptées en masse en Israël. Le coût de ce mode de production dépasse celui des combustibles fossiles. Or, mon projet, justement, vise à réduire les coûts de production. Comment ? David Faiman explique qu’il suffit d’utiliser une nouvelle technologie. Laquelle ? En réduisant la surface des miroirs qui coûtent chers, et en les incurvant au milieu comme une enclave parabolique où se concentreront tous les rayons de soleil. » Voilà pour la théorie. Reste à faire coïncider ses idées à la réalité des résultats.

Commence alors le parcours expérimental. En 2009, David Faiman demande à la société israélienne Zenith Solar de lui confectionner des échantillons de panneaux paraboliques. Premier succès : ces nouveaux panneaux atteignent des performances supérieures de 70 % par rapport aux panneaux conventionnels. Et les matériaux utilisés sont des miroirs de plastique et donc recyclables à 99 %. Deuxième succès : il est possible de produire ces panneaux en masse, entre 500 et 1 000 unités par mois. Les travaux pratiques, à présent. dans deux kibboutz. En 2011, le Kibboutz Ketura inaugure une installation qui diminue les prix de production de l’énergie sur un champ solaire de cinq mégawatts, puis au Kibboutz Kvutzat Yavneh, à l’est d’Ashdod, où on expérimente les panneaux améliorés.

Résultats concluants. La performance des panneaux innovants est impressionnante. Alors ? Rien ! Le gouvernement israélien hésite toujours. David Faiman se désespère, mais ne renonce pas. Il trouve un argument massue : il affirme qu’Israël pourra atteindre un taux de 10 % d’exploitation de ressources naturelles propres d’ici 2020 contre 2,5 actuellement. « Je les estime à 80 milliards de kilowattheures par an, soit une augmentation annuelle de 0,8 milliard de kilowattheures », calcule le professeur. Bien vu ! Le gouvernement cède. Il lance, en 2010, un appel d’offres, et va jusqu’à s’engager à acheter l’électricité produite pendant… 25 ans ! Quatre ans plus tard, les travaux, évalués à 700 millions d’euros, commencent. Construit par les Israéliens, ce projet colossal est financé par le groupe américain General Electric, avec le concours d’un autre américain, BrightSource, spécialiste de ce genre de centrale, et le fonds privé d’investissement israélien Noy.

Aujourd’hui, David Faiman est un homme heureux. Il voit, enfin devant lui, la concrétisation de ses idées. Répartis sur une superficie équivalente de 400 terrains de football ces miroirs dont le nettoyage est assuré par des robots, suivent le déplacement du soleil. « Ces miroirs ont été positionnés au centimètre près explique un ingénieur présent sur les lieux. Si on ne le fait pas de façon précise, on aura des problèmes de collision. » Leur mission ? Rediriger les rayons du soleil vers le sommet de la tour ou se trouve le « chaudron », cuve, remplie d’eau dans laquelle sont fondus des sels de sodium. L’énergie solaire, ainsi concentrée sur une surface d’un million de mètres carrés, chauffe l’eau à 600 degrés. Ces sels de sodium ont pour but d’emmagasiner une quantité importante d’énergie, et de la maintenir sur une longue durée. Le chaudron devient alors une chaudière bouillante qui dégage une vapeur si puissance qu’elle est en mesure d’actionner turbine qui la transforme en électricité. Mais alors pourquoi une tour aussi grande ? « La tour est grande parce que les panneaux ont été serrés ensemble pour maximiser la capture de l’énergie solaire. Et plus ils sont proches, et plus la tour doit être grande, explique Eran Gartner, directeur du groupe Megalim Solar Ltd qui a conçu la tour. Alors la plus grande du monde ? Ce n’est pas au fait que nous voulons battre des records, mais à cause de la densité du champ solaire. Plus les miroirs sont concentrés, plus la tour doit être élevée pour qu’il n’y ait pas d’interférence entre les rangées de miroirs. L’État d’Israël souhaite que nous utilisions un maximum de terrain, en terme d’électricité par unité de terrain, et c’est pourquoi la tour doit atteindre cette hauteur. » « Ce système produira quelques 310 mégawatts d’électricité, soit 1,6 % des besoins énergétiques du pays, soit environ 130 000 ménages, 5 % de la population israélienne », précise, de son côté, le Professeur Daniel Feuermann, co-directeur du centre national de l’énergie solaire à Sde-Boker. Avec ce projet phénoménal, baptisé aussi Tour Ashalim, Israël amorce sa révolution verte. La petite ville de Sde Boker, capitale du Néguev, va-t-elle aussi devenir la capitale mondiale du solaire avec la plus grande tour du monde ?

L’agriculture au milieu du Néguev

La visite de ce complexe solaire en plein Néguev, en avant-première de sa prochaine inauguration, n’a été possible qu’avec le concours de la plus grande organisation verte d’Israël, le KKL, qui bénéficie d’importants contacts sur place. « La préservation des forêts, poumons verts d’Israël, et encourager le développement de l’agriculture dans les régions arides du Néguev, c’est l’affaire du KKL », nous affirme l’excellente guide Myriam Kadouch. L’objectif dans cette vaste région désertique couvrant 60 % de la superficie d’Israël, et abritant à peine 12 %, de sa population, est de faire fructifier l’Agriculture. Un objectif qui relève du miracle. Un défi que les Israéliens ont relevé. « Bien qu’Israël soit un pays désertique, il ne souffre pas de problème d’eau, et son agriculture compte parmi les plus sophistiquées du monde », affirme Daniel Atar, président mondial du KKL. En effet, grâce à leur savoir-faire pour solutionner les problèmes d’eau, et à de nombreuses recherches, les Israéliens ont réussi à adapter les plantes à des conditions particulièrement difficiles : un sol pauvre, une eau rare et… salée. Presque impossible. Et pourtant, l’agriculture israélienne n’a cessé d’avancer. Même s’il ne tombe que 200 millimètres de pluie par an, les Israéliens sont quand même parvenus à faire pousser toutes sortes de fruits et de légumes. Comme par exemple la tomate cerise, une invention israélienne. Arrosée au goutte à goutte – un système d’irrigation au pied des plantes, grâce à un réseau de fins tuyaux percés, qui permet d’économiser jusqu’à 50 % de la consommation d’eau, une autre invention israélienne ! – la tomate cerise parvient à tirer profit d’une eau pourtant salée, pompée dans la nappe phréatique à 800 m de profondeur. Ou encore, les fraises, cultivées dans des serres expérimentales de l’Institut Ramat Haneguev ou nous sommes. « Regardez cette plantation de fraises nous montre l’agronome Elisha Zurgil, chaque rang a son numéro, c’est une variété différente. On cherche de nouvelles variétés. Certaines sont tellement récentes qu’elles n’ont pas encore de nom, elles sont en cours de développement. Comme par exemple cette fraise prévue pour mûrir juste au moment de Noël ou cette autre variété en forme de cœur pour la Saint Valentin. » L’imagination donne des ailes aux agronomes. Ils se passionnent en ce moment pour la culture en serres, de deux nouvelles variétés à croiser : la salicorne et le jujubier. « Pourquoi la salicorne ? Vous connaissez ? nous demande avec un petit sourire taquin Eran Doron, maire de Ramat Hanegev, et Président du Conseil Régional de Ramat Hanegev. Non ! Comme vous le voyez, ce n’est pas une algue, elle en a l’apparence, mais elle a surtout toutes ses qualités avec une saveur d’iode particulièrement saline et acidulée. Elle pousse près des plages ou elle acquiert sa salinité. Elle a commencé à être cultivée ici, à Ramat Haneguev. Mais après des années de recherches minutieuses, nous avons fini par trouver une espèce pour la croiser, et remplacer ainsi le sel dans la nourriture. Elle se cuisine comme les légumes verts, haricots verts, petits pois. Avec sa saveur subtile d’iode, elle est plus raffinée que les cornichons. Nous l’envoyons en Europe, où seuls les grands restaurants l’utilisent car elle coûte très chère. Surtout en Israël. »

Un peu plus loin, le jujubier est en essai dans des pots connectés. Résistant à la sécheresse, ses fruits, les jujubes, ont des vertus sédatives et… cosmétiques ! Cosmétiques ? Comment en est-on arrivé là ? Chelo Tunk, membre du kibboutz Hatzerim, berceau de la micro-irrigation, à une dizaine de kilomètres de Beer-Sheva l’explique : « Le jujubier possède une richesse, l’huile de jujubier. Il y a près de vingt-cinq ans, nous l’avons importé du Mexique et adapté à cette terre aride du Néguev. Nous pensions, au départ, en extraire l’huile pour l’utiliser en mécanique. Mais incroyable, c’est l’industrie des cosmétiques qui en découvre ses bienfaits. Elle nous achète aujourd’hui toute notre production. » Voilà le miracle d’un marché à forte valeur ajoutée ! “En matière d’agriculture, nous avons les techniques les plus performantes du monde ! ajoute-t-il fièrement. Aujourd’hui, tout est produit en abondance : fruits, légumes, produits laitiers, volailles, œufs. Et même, leur savoir-faire est exporté dans le monde entier ! Les oliviers ont fait leur apparition. Motivée pour des raisons économiques, l’agriculture est un secteur de haute performance et pour lequel le pays cherche sans cesse de nouveaux marchés.

La voiture autonome

Enfin, dernière intrusion dans le « miracle israélien » : une visite dans l’incroyable société Mobileye, spécialisée dans le développement de la voiture autonome. On ne compte plus, dans le monde, les “une” que les journaux lui ont consacré le… 13 mars 2017 ! Ce jour-là, Mobileye a été rachetée pour… 15,3 milliards de dollars ! Environ 14, 3 d’euros ! Du jamais vu ! Un montant record pour l’achat d’une start up israélienne par un groupe étranger. 15 fois plus que la somme déboursée par Google (1,1 milliard de dollars) pour s’offrir une autre société israélienne, Waze, en juin 2013. L’acheteur ? Le groupe américain Intel… Nichée à l’entrée de Jérusalem, dans l’austère zone industrielle de Har Hotzvim, Mobileye, fut fondée, en 1999, par Ziv Aviram et Amnon Shashua, Elle est connue par les automobilistes pour ses systèmes anti-collision et surtout, ses algorithmes, capables d’interpréter toutes les informations fournies par des caméras de chaque côté de la voiture, en émettant des bips lorsqu’elle rencontre un obstacle.

Visiter Mobileye exige de passer à travers d’importantes mesures de sécurité, assurées ce jour-là, par deux ingénieurs de la société. Ils nous dirigent, à travers un dédale de couloirs souterrains, vers une sorte de bunker qui ne s’ouvre qu’après avoir composé un code. Une fois à l’intérieur,

aucune précaution n’est négligée : fermeture de la porte, à double tour, ramassage des cartes d’identité, interdiction de prendre des photos, et surtout interdiction de s’approcher, de la voiture-test juste devant nous. Une voiture, sans porte ni fenêtres, mais d’où sortent, comme les tentacules d’une pieuvre, par centaines des fils de toutes les couleurs, reliés à des ordinateurs, des compteurs, des écrans géants ou défilent à toute allure de multiples signaux. « Nous travaillons aujourd’hui sur une voiture autonome pour BMW commente Udi Remer, responsable du projet, docteur en physique mécanique, Elle sera totalement autonome en 2021. Vous voyez sur ce côté, se trouve une caméra intelligente qu’on surnomme le “troisième œil du conducteur”. Elle fournit des avertissements et des alertes détaillées en temps réel. Ce capteur de vision intelligent fonctionne comme un œil bionique. Il identifie les dangers potentiels de la route : véhicules, cyclistes, piétons, distance entre les voitures, lignes de marquage au sol, panneaux de signalisation, tout est détecté. En cas de danger imminent, des alertes visuelles et sonores avertissent le conducteur et lui permettent de réagir suffisamment tôt pour éviter la collusion. Par exemple, la voiture s’arrête toute seule à un feu rouge. L’alerte est diffusée 2 secondes avant la collision, laissant le temps au conducteur de réagir. Le conducteur pourra alors voir, sur le boîtier qu’il a en face de lui, une cartographie ou sont collectées toutes les informations recueillies par 8 caméras, 5 radars, et des capteurs laser à détection en 3 D. » Oui, mais comment réagira la voiture devant des endroits dangereux ou des réactions inattendues d’un piéton ? « Nous travaillons bien entendu sur ces situations extrêmes, et nous avançons, précise encore Udi Remer. Mais en résumé, les capteurs doivent savoir tout prendre en considération, et, grâce aux algorithmes, trouver une solution. »

Le rachat de Mobileye n’est pas un abandon de la start-up à Intel, Au contraire. Il s’agit plutôt d’une fusion entre les deux sociétés. Un état de fait confirmé par Brian Krzanich, directeur général d’Intel : « Cette fusion dit-il alliera les technologies d’Intel dans les domaines de la trajectoire et de la conduite du véhicule au savoir-faire de Mobileye en ce qui concerne la vision électronique. » Déjà, un campus de 50 000 mètres carrés va être construit sous l’égide d’Intel, sur le mont Hotzvim, ou opère Mobileye. 4 000 nouveaux salariés s’ajouteront aux 700 employés actuels, parmi lesquels 200 docteurs es sciences. Objectif : créer le plus grand centre mondial de la voiture autonome. Et en faire une réalité à l’horizon 2021. À quoi servira finalement la voiture autonome ? À réduire à zéro les accidents ? Non, réduire seulement les risques d’accident. Car, dans n’importe quel cas, la voiture réagira beaucoup plus vite que les réflexes du conducteur. Lors de la conférence de presse qui a suivi la signature de cet achat, en présence de Benjamin Netanyahu, Amnon Shashua, un des deux créateurs de Mobileye, a précisé que « dans cet accord, ce n’est pas d’argent qu’il s’agit. Ce que nous voulons, c’est changer le monde. Et si nous voulons le changer et devenir un acteur-clé, nous devons penser en termes d’industrie globale, pas seulement en termes de produit. Voilà la raison de notre fusion ». (1) Ajoutant, avec une pointe d’humour, que d’ici une génération, l’image du chauffeur tenant un volant fera partie d’un passé révolu. « Mes petits-enfants ne croiront pas qu’un jour des gens aient pu conduire des voitures… »

(1) Le Point. 23 mars 2017

Alain Chouffan

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