Farhad Khosrokhavar : Des femmes djihadistes vont être renvoyées en France

Elles sont environ 500 femmes sur 5000 Européens à avoir rejoint Daech. Pourquoi un tel phénomène? Farhad Khosrokhavar, sociologue franco-iranien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste de la radicalisation, vient d’écrire avec Fethi Benslama, psychanalyste et membre de l’Académie tunisienne, un ouvrage intitulé Le Djihadisme des femmes. Pourquoi ont-elles choisi Daech? (Seuil, 14 septembre 2017).

LE FIGARO. – Comment expliquer la présence de femmes au sein de Daech?

Farhad KHOSROKHAVAR. – Al-Qaida privilégiait les hommes majeurs et sans problèmes mentaux. Daech s’est montré moins regardant. Dès le début, le mouvement a embauché toutes les catégories sociales, psychopathes compris, et aussi des femmes, plutôt jeunes, susceptibles de mettre au monde des «lionceaux». Le nombre d’adolescentes peut représenter jusqu’à 20 % des recrues de Daech dans certains pays européens.

Quels sont les profils psychologiques de ces femmes?

Certaines affirment avoir été violentées dans leur enfance par un homme de la famille. S’il y a là une part de vérité, il semble qu’il y ait aussi beaucoup d’imaginaire. D’autres souffrent de cet entre-deux que représente l’adolescence. Cette période, qui durait quatre à cinq ans auparavant, s’étend désormais sur quinze à vingt ans. Celle-ci est souvent synonyme de manque d’autonomie, lié à l’absence de travail, sur fond d’éclatement familial. En rejoignant Daech, les jeunes femmes – dont des converties – vont pouvoir vite se marier et avoir un enfant. Cette expatriation est une sorte de rite de passage à la vie adulte. Une manière d’occulter un malaise, un traumatisme, pour une bonne partie d’entre elles. Un tiers environ a des problèmes d’ordre mental. Les autres sont animées d’une volonté d’affirmation de soi.

En quoi les motivations des femmes se différencient-elles de celles des hommes?

Les filles, souvent bonnes élèves, sont en quête d’altérité dans un monde nouveau. Elles intègrent une structure patriarcale forte avec des maris successifs qui meurent en «martyrs» et des enfants promis eux aussi au combat. En quelque sorte, une famille sacralisée qui perpétue l’oumma, la communauté arabe. Chez les hommes, souvent déscolarisés, il y a l’affirmation d’une virilité qui n’a pas l’occasion de s’exercer dans la société moderne. Là-bas, ils deviennent des chevaliers de la foi, des héros qui roulent en 4 × 4, portant mitraillette en bandoulière et Ray-Ban.

En Occident, cette recherche d’une société patriarcale explique-t-elle le port du voile?

Le port du voile ne doit pas être réduit à une soumission à l’homme. Il y a aussi une ultime provocation envers une société sécularisée. En France, la plupart des femmes – notamment des converties – qui portent la burqa l’ont fait depuis la promulgation de la loi interdisant le voile intégral dans les lieux publics.

Le rejet de notre mode de vie occidental suffit-il à comprendre l’idéologie mortifère de Daech?

L’idéologie de Daech se veut un contre-pied à tous les idéaux de Mai 68 que sont l’occultation de la violence et de la mort, la promulgation d’une société ouverte et antipatriarcale. Elle est aussi une façon de cristalliser la haine de soi… et du coup des autres.

Pourquoi associer violence et religion?

Le besoin de sacré est toujours présent dans nos sociétés. Mais plus personne ne propose le paradis sur terre. Tant le christianisme depuis le XVIIe siècle que les utopies de nos sociétés contemporaines que sont la République, les socialisme, communisme ou nationalisme. La force de Daech est d’avoir eu l’idée de proposer une version mythifiée de la religion. Le paradoxe est que des femmes et des hommes puissent y croire. La «chance» de Daech est d’avoir bénéficié de la conjugaison de ceux, en Occident, qui recherchent une nouvelle sacralité et de ceux, en Orient, qui veulent en découdre avec l’impérialisme occidental.

Comment la société occidentale peut-elle réagir?

L’islamisme est une machine à tuer. Il tue à 95 % dans le monde musulman et relativement peu en Occident. Chez nous, s’il ne remet pas en cause le système politique et économique, il touche aux fondements symboliques du «vivre ensemble». Il instille une forme de violence, revendiquée au nom d’une sacralité religieuse. Ce retour de sacralité déstabilise énormément la population.

Que deviennent les femmes djihadistes?

Environ 5 % d’entre elles rejoignent la brigade al-Khamsa, où elles apprennent à manier les armes. Les autres, visiblement déçues, cherchent à partir. Mais elles sont souvent violentées ou périssent dans des bombardements. Certaines, récupérées actuellement par les Kurdes, vont être renvoyées en France.

Peut-on encore parler de déradicalisation?

Même l’Angleterre, qui travaille depuis 2007 sur un système de déradicalisation, enregistre des résultats contrastés. Les cas des repentis, qui doivent apprendre à se réinsérer, et des endurcis, rejoindre la prison, sont relativement simples. Reste les indécis, qu’il faut entourer de psychologues, sociologues, imams modérés… Il faut tâcher de les convaincre de l’impasse de la violence. Il nous reste à inventer des formes de cure pour y arriver.

Source lefigaro

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