Un nouveau rabbin pour relancer la communauté juive de Québec

Au bout de l’avenue de Mérici, dans Sillery, la discrète synagogue de la communauté juive Beth Israel Ohev Sholem connait depuis quelques jours une activité renouvelée.
Le nouveau rabbin Yacov Weil est arrivé à Québec au début du mois d’août. (Présence/Philippe Vaillancourt)

Un duo étonnant discute à bâtons rompus de l’avenir de la communauté. Téléphone intelligent dernier cri en main, le président de la congrégation, David Weiser, échange quelques idées avec le nouveau rabbin que son conseil d’administration vient d’embaucher. Ils nourrissent de grands projets, à commencer par le développement d’un centre culturel ouvert à tous.

C’est que l’ancienne communauté juive de Québec est à la croisée des chemins, elle qui bien failli fermer ses portes l’an dernier, conséquence d’une communauté étiolée par les années. Mais le conseil d’administration a finalement opté pour un nouvel éclairage et espère relancer la communauté grâce à une approche novatrice.

Pour cela, elle se tourne vers le rabbin Yacov Weil. L’homme de 36 ans originaire de Strasbourg (France) en est à sa première expérience de rabbinat. Formé comme psychothérapeute, il s’est surtout démarqué en tant que chantre – c’est-à-dire ministre officiant, celui qui dirige la prière lors des offices – dans des communautés juives de diverses tendances depuis le début de sa carrière. Hazzan professionnel reconnu, il compte même un album à son actif.

«Du fait d’être chanteur et thérapeute est née une vocation pour le travail social. Je définirais mon approche du rabbinat comme ça», dit-il calmement. «J’ai travaillé dans des communautés orthodoxes, ultra-orthodoxes, consistoriales ou traditionalistes, libérales et Massorti. Tout cela m’a appris que dans le fond, ce qui m’intéresse c’est le tronc commun.»

«En amenant quelqu’un comme Yacov qui a beaucoup d’expérience dans des lieux différents, qui connait tous les mouvements, qui comprend notre mission d’être inclusifs, qui maîtrise le chant, ça peut unir les gens peu importe leurs croyances ou leur faction», explique David Weiser. Le Québécois de 45 ans est président de la communauté depuis le mois d’avril. Cet expert en nouvelles technologies qui a déjà travaillé dans le monde du jeu vidéo consacre de plus en plus de temps à la découverte de sa foi juive.

«Sincèrement, la communauté juive de Québec est un bel exemple d’intégration d’une minorité. Mais les portes n’ont jamais été ouvertes pour inviter les gens: c’est la communauté qui sortait pour aller faire des activités ailleurs», confie-t-il.

Offrir des cours

Une situation à laquelle les deux hommes entendent bien remédier au cours des prochaines années en multipliant les cours sur la culture et la spiritualité. Ces cours seront donnés dans les locaux de la communauté et seront ouverts à tous. Pour financer le projet de renaissance culturelle de la communauté de Québec, la congrégation entend faire appel à des réseaux internationaux de donateurs.

«Notre proposition communautaire sera avant tout culturelle, sociale, puis cultuelle», liste le rabbin dans l’ordre. «Comme dans toutes les religions, nous devons nous réinterroger: tout n’est jamais bon à jeter entièrement, et tout n’est jamais bon à garder non plus. Nous avons un travail de tri à faire.»

Yacov Weil qualifie même cette nouvelle orientation de «défi complètement fou». «On pourrait dire qu’on est dans un délire vivant, que nous sommes tous atteints de cette douce folie. Mais je crois que c’est un beau défi à vivre. Et comme rabbin, j’essaierai au maximum de remplir cette mission que l’administration a bien voulu m’offrir», ajoute-t-il tout sourire.

«Une des grosses difficultés d’aujourd’hui part de la méconnaissance qu’on peut avoir d’une religion à une autre, d’un humain à un autre. On a tous des clichés les uns sur les autres. Et pendant des siècles, on a préféré nous opposer les uns aux autres au lieu de partager une étude, un texte, une connaissance qui est plutôt enseignée tantôt dans le christianisme, tantôt dans le judaïsme», poursuit-il.

L’Holocauste, un héritage universel… et familial

Parmi l’enseignement évoqué, la question de la Shoah s’impose par son importance dans l’histoire du judaïsme, mais aussi en raison de l’histoire familiale de Yacov Weil, dont le grand-père Robert Weil était un rescapé d’Auschwitz.

«Je suis touché de plein cœur par cette histoire familiale. J’ai eu la chance de connaître mon grand-père. Mais il ne m’a jamais parlé de son expérience dans les camps. Néanmoins, il a écrit un témoignage, que je cherche à faire rééditer d’ailleurs.»

Ses grands-parents Dreyfus, eux, ont échappé à la déportation et aux camps. Mais le rabbin a la gorge nouée et verse quelques larmes en racontant l’histoire du frère de sa grand-mère fusillé par les Allemands. «Je suis là aujourd’hui pour en témoigner. Mais une partie de ma famille n’a pas eu cette chance…»

À la lumière de son histoire familiale, il soutient que sa génération veut s’inscrire dans un renouveau. «Sans nier le passé, sans nier l’histoire, sans enlever la question du recueillement, mais en faisant quelque chose, en informant et en le rendant lisible, audible, d’une quelconque manière. Ce qui est important pour moi de mener à bien, c’est de faire sauter les verrous de la porte. De faire rentrer les gens. D’informer, d’éduquer, de partager. Donc on va essayer d’être à la fois novateurs, tout en restant bien enracinés dans les richesses de notre passé, mais complètement au goût du jour», promet-il.

Après le désert, la soif

Le défi est de taille, convient David Weiser, puisque la communauté juive de Québec ne compte environ que 150 personnes, dont 50 qui fréquentent la synagogue avec une certaine assiduité.

«On veut aider les gens qui ne sont pas nécessairement très religieux à se connecter à leur héritage», dit-il. «On ne veut pas convertir les gens, mais faire connaître certains principes. Étudier, apprendre, questionner. On pense que ça peut intéresser les gens. On veut être inclusifs et casser certaines traditions. Il faut évoluer. S’il n’y a pas de changement, c’est une religion qui risque de disparaître.»

Symbole d’un changement de mentalité, la communauté compte désormais un nouveau logo composé de dégradés de bleus pour bien représenter la variété des pratiques. «Ça fait Fifty Shades of Jew», lance le président. «Tout le monde a une façon de voir son judaïsme. Nous ne sommes pas obligés d’être tous pareils!»

«Le judaïsme est riche de ces discussions. Il aime discuter, débattre, qu’autour de la table tout le monde puisse poser des questions, même si on ne sait pas toujours répondre», renchérit le rabbin.

David Weiser rappelle avec humour qu’«on dit toujours que quand il y a deux juifs, il y a au moins trois opinions». «Et au moins autant de synagogues!», complète Yacov Weil.

Redevenant sérieux, les deux hommes jaugent le défi qui les attend et la mission qu’ils se donnent.

«Ce que j’ai senti avant que je n’arrive, c’est quelque chose que je n’avais pas rencontré depuis très longtemps dans une communauté. C’était l’envie», dit le rabbin. «C’est le bon endroit, parce qu’ils ont envie.»

Venu vivre à Montréal quelques mois en repérage l’an dernier, Yacov Weil a bien conscience d’arriver dans une société qui a connu une forte sécularisation au cours des dernières décennies. Une observation qu’il lie à une lecture symbolique du désert. «Le désert est très intéressant à vivre, pas seulement au niveau symbolique, de la pensée théologique ou de la théorisation de la vie, mais à vivre vraiment dans son corps.»

Suit une fragile renaissance, comme ce projet de redéploiement d’un héritage de foi au sein d’une communauté qui, au sortir du désert, a soif.

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