Chronique de l’antisémitisme ordinaire dans un village de Pologne à l’heure allemande.

Créée en France par Justine Wojtyniak, jeune metteure en scène d’origine polonaise, Notre classe réveille la mémoire de la tragédie vécue par les juifs lors de la dernière Guerre.notre classe

Ils sont dix dont une voix égrène les noms et les dates en boucle, tout le temps que le public s’installe dans la salle. Ils sont dix – Dora, Rachel, Zocha, Jacob, Rysiek, Menahem, Zygmunt, Heniek, Abraham, Vladek –, collés, tels des revenants, à leurs vêtements suspendus à des porte-manteaux. Ils sont dix, filles et fils de boucher, de fermier, de maçon, de cordonnier…, élèves dans la même école d’une bourgade de Pologne, avant-guerre. Catholiques et juifs, ils vivaient, peu ou prou, en bonne intelligence. Vint l’invasion allemande. Alors, comme dans tout le pays, les vieux démons ressurgirent, la bête immonde se réveilla. Un groupe de catholiques, curé en tête, partit à la chasse aux juifs – « amis », voisins, camarades de lycée compris… Il les rassembla sur une place. Les conduisit dans une grange. Y mit le feu.

Au lendemain de la guerre, un procès eut lieu. La justice déclara que si quelques Polonais avaient pu être complices, la responsabilité de ce massacre incombait aux seuls occupants, ainsi qu’il fut gravé sur une stèle.

Une histoire inspirée par le pogrom de Jedwane, en 1941

C’est cette histoire que raconte Notre Classe, du polonais Tadeusz Slobodzianek. Nourrie de témoignages, de documents d’archives et de travaux de recherche, sa pièce, écrite en 2008, s’inspire d’un fait réel : le pogrom de Jedwabne, au nord-est de Varsovie, au cours duquel, en 1941, plusieurs centaines de juifs furent brûlés vifs – un acte longtemps exclusivement attribué, par les autorités polonaises, aux « Einsatzgruppen ».

S’attachant au parcours de chacun des protagonistes – bourreaux, victimes, rescapés qui ont pu se cacher, fuir en exil, Slobodzianek explore, en quatorze « leçons » qui sont autant de chapitres, les voies obscures qui conduisent à l’abomination, à la folie du crime collectif, à sa dénégation, à l’impossible rémission, aux blessures ouvertes qui ne se refermeront jamais…

Une chronique comme un chant profond

Mais il le fait sans haine, sans esprit de vengeance. Cherchant avant tout à saisir le pourquoi, le comment de l’insaisissable, de l’incompréhensible sur le mode d’une chronique d’un village ordinaire.

Une chronique qui, sous l’effet de la mise en scène de Justine Wojtyniak, s’élève comme un chant profond. Tragique, douloureux, et cependant toujours porté par une vitalité plus forte que l’horreur du réel repeint, par à-coups, aux couleurs d’un onirisme poétique qui n’est pas sans rappeler le théâtre d’un Kantor.

Par-delà le bien et le mal

Dansant, réunis en de magnifiques chorals, une dizaine de comédiens aux origines diverses (France, Pologne, Algérie, Israël…) en sont les interprètes. Si, dans la dernière partie, menant jusqu’aux années 2000, la pièce s’étire un tantinet, ils n’en font pas moins preuve d’une énergie folle, emportés dans un jeu physique, défendant avec le même souci d’humanité, leurs personnages, par-delà le bien et le mal, dans toute leur complexité.

Des comédiens formidables de justesse et de vérité

De Zohar Wexler (Menahem, le juif caché qui plus tard gagnera en Israël), à Fanny Azema (Zocha, la chrétienne qui le protège avant d’émigrer, elle aussi, mais aux États-Unis), en passant par Zosia Sozanska (la juive sacrifiée dans la grange avec son bébé), Stefano Fogher (Abraham, le musicien parti en Amérique avant les « événements »), Georges Le Moal (Zygmunt, le milicien sans pitié)…, tous sont formidables de vérité.

Et puis, encore, il y a Julie Gozlan, bouleversante Rachel, la figure la plus riche. Jeune juive contrainte, afin d’échapper à la mort, à épouser, sans amour, un « gentil » (Claude Attia), elle doit, pour cela, se faire chrétienne, changeant son prénom en Marianna lors de son baptême. Se reniant elle-même, en même temps que sa religion. Toute religion quand elle n’est plus que ferment de haine.

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, à Paris – jusqu’au 10 mai

Didier Méreuze

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