La chronique de Pascale Davidovicz : L’affiche rouge du génocide arménien.

A la date commémorative du 24 avril 1915, premier jour de l’effroyable génocide de nos sœurs et frères arméniens, je n’avais pas envie de relater une fois de plus les horreurs que les autorités et le peuple turcs continuent obstinément à ne pas reconnaître.

1915

Parce que les faits parlent d’eux-mêmes et réduisent à néant le négationnisme, il est inutile d’en rajouter à nos lecteurs capables de raison, d’analyse et de compassion.

Alors je voulais saluer le peuple arménien pour le lien indéfectible qui le lie au sort des juifs dans cette terrible période du XXe siècle.

La décision de l’extermination des arméniens.

Mais il faut bien que je parle des faits si je veux les relier à la seconde guerre mondiale et au dénominateur commun entre le génocide arménien et juif et ce qui a fait le combat de ces deux peuples contre la barbarie.

Et ce dénominateur commun, c’est l’Allemagne impérialiste et nazie.

Dès février 1914, des décisions sont prises en vue de la déportation de la population arménienne et de la confiscation de ses biens, et c’est l’entrée de l’Empire ottoman dans la 1ère guerre mondiale au côté de l’Allemagne qui va favoriser le projet des Jeunes Turcs et les faire bénéficier d’un apport important de technologie militaire et de sommes colossales.

Depuis de longue date, la réorganisation de l’armée turque avait été confiée à l’Allemagne.

L’Allemagne avait envoyé à Istanbul une importante délégation militaire commandée par le général Otto Liman von Sanders qui devint conseiller et inspecteur général de l’armée ottomane.

Liman von Sanders Pascha als türkischer Oberbefehlshaber im Ersten Weltkrieg (1916)
Liman von Sanders Pascha als türkischer Oberbefehlshaber im Ersten Weltkrieg (1916)

L’Allemagne n’a jamais remis en question l’alliance de guerre avec la Turquie et a contrecarré tout ce qui pouvait le faire.

C’était ça le crime, un pacte avec des meurtriers et avec cette idée impérialiste de devenir une grande puissance comme la France, la Grande Bretagne ou la Russie.

L’Allemagne considérait que le Proche-Orient pouvait être une base pour cela.

Il y eut cette déclaration funeste de l’empereur d’Allemagne Guillaume II lors de son deuxième voyage en Orient, peu de temps après les massacres contre les arméniens, où il se définit comme le protecteur des 300 millions de musulmans vivant à travers le monde.

Les militaires allemands, alliés des turcs, ont ainsi expérimenté la notion de génocide qu’ils reproduiront quelques années plus tard à l’égard de la population juive.

L’affiche rouge.

affiche

L’Affiche rouge est une affiche de propagande placardée en France par le régime de Vichy et l’occupant allemand, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main-d’Œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne qui furent exécutés le 21 février 1944.

Le groupe avait été entièrement démantelé à la mi-novembre 1943.

Missak Manouchian, Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.

Celestino Alfonso, Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats.

Wolf Josef Boczov, Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats.

Georges Cloa-rec.

Rivo Della Negra.

Thomas Elek.

Maurice Fingercwajg, Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements.

Spartaco Fontano, Fontanot (Fontano) – Communiste italien, 12 attentats.

Emeric Glasz.

Jonas Geduldig.

Léon Gold-berg.

Szlama Grzywacz – « Elek – Juif hongrois, 8 déraillements.

Stanislas Kubacki.

Cesare Luccarini.

Marcel Rayman, Rajman – Juif polonais, 13 attentats.

Roger Rouxel.

Antonio Salvadori.

Willy Schapiro.

Armenak Tavitian.

Amedeo Usseglio.

Wolf Wajsbrot, « Wasjbrot (Wajsbrot) – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements.

Robert Witchitz. Witchitz – Juif hongrois, 15 attentats.

Missak Manouchian
Missak Manouchian

On remarque que dans ce groupe de résistants, désignés terroristes par l’armée d’occupation allemande et leurs sbires pétainistes du déshonorant gouvernement vichyste, il y a beaucoup de juifs.

Le groupe Manouchian regroupait des résistants de toutes origines et de toutes nationalités.

Des immigrés persécutés venus de toute l’Europe, des juifs et non juifs, des allemands, des italiens, des polonais, des espagnols, des hongrois et bien sur des arméniens prêts à en découdre avec l’Allemagne complice de leurs bourreaux turcs.

Tous très jeunes, et portés par les valeurs françaises républicaines que le régime de Vichy avait souillées.

Longuement torturés, ils sont 22 membres du groupe de résistance Manouchian à être fusillés au fort du Mont Valérien le 21 février 1944.

Seule femme du groupe, Olga Brancic, sera décapitée en Allemagne à Stuttgart le 10 mai 1944.

Crédit Photo : ECPAD-Don de l'association des Amis de l'abbé Franz Stock
Crédit Photo : ECPAD-Don de l’association des Amis de l’abbé Franz Stock

Photo de l’exécution du groupe Manouchian au Mont Valérien, le 21 février 1944 authentifiée par Serge Klarsfeld.

Tous les membres ont refusé d’avoir les yeux bandés.

Le groupe Manouchian avait nargué les Allemands en commettant une trentaine d’opérations en plein Paris entre août et novembre 1943. A leur actif, notamment, l’exécution du général Julius Ritter, responsable adjoint pour la France du Service du Travail Obligatoire (STO).

Un prénom.

Il s’appelait Ernest, il était autrichien et était résistant au sein du groupe Manouchian.

Mes recherches m’ont amenée à un Ernest Blankopf, mais je n’ai aucune certitude.

Et puis, peu importe, ce seul prénom d’Ernest, sans nom de famille, symbolise à lui seul toute la Résistance.

Plaque commémorative, 17 rue Mirabeau, Paris 16e
Plaque commémorative,
17 rue Mirabeau, Paris 16e

Souvenons nous que le premier camp de concentration, celui de Dachau, a été ouvert en 1933 pour accueillir tous les opposants allemands au régime nazi.

    Raphael Lemkin, l’homme qui sera à l’origine         du mot génocide

Raphaël Lemkin est un juriste polonais qui forge en 1943, le terme et le concept de génocide, et le fait valoir d’abord au tribunal de Nuremberg, puis à l’ONU en 1948.

Étant d’origine juive, l’invasion de son pays le contraint à se réfugier aux États-Unis où il poursuit ses travaux en liaison avec la nouvelle Organisation des Nations Unies.

raphael lemkin

Raphael Lemkin, présent au procès de Soghomon Tehlirian qui a assassiné Talaat Pacha, l’ancien chef du gouvernement turc à Berlin d’une balle dans la tête le 15 mars 1921,  pose la question à l’un de ses professeurs : « je ne comprends pas pourquoi on n’arrête pas un homme, Talaat Pacha, responsable de la mort d’au moins un million de personnes, qui peut marcher librement dans la rue, alors qu’on arrête un homme parce qu’il en a tué seulement un autre. Cela n’a aucun sens pour moi. Pourquoi n’arrête t-on pas d’abord celui qui a tué un million de personnes ? »

Son professeur lui répond : « Imagine un fermier qui a beaucoup de poulets et ce fermier tue ses poulets, qui s’en préoccupe ? Ce n’est pas ton problème, tu n’es pas supposé intervenir. »

Il continue en expliquant qu’il s’agit de souveraineté nationale et qu’un état souverain peut faire tout ce qu’il veut de ses citoyens.

Raphaël Lemkin répond à son professeur : « « Mais les gens ne sont pas des poulets ! »

Il sera à l’origine du mot génocide et ses travaux s’inscriront comme le fondement du nouveau droit pénal international qui permettra d’accuser de génocides et de crimes contre l’humanité.

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes.

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Louis Aragon

plaque2

Ainsi que je l’ai abordé dans mon article « Opération Némésis : La patiente et méthodique vengeance des arméniens » contre leurs bourreaux publié le 4 mai 2015 ressemble à la vengeance des israéliens après le meurtre de leurs athlètes à Munich en 1972.

Même cause, même détermination et mêmes effets.

Je dédie mon article au peuple arménien et à tous ceux qui les ont rejoint dans leur combat contre la barbarie.

Pascale Davidovicz

Sources : mont-valerien.fr l-afficherouge-manouchian.hautetfort.com Plate-forme d’échanges de données historiques concernant L’Affiche rouge, les FTP-MOI et la Résistance juive.

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