Tsav 8, l’appel de la guerre dans la vie d’un artiste

Le «Tsav 8», cet appel d’urgence de l’armée israélienne pour les réservistes que le dessinateur Gilad Seliktar a reçu en 2012 est devenu le sujet de son dernier livre éponyme qui a été traduit en français.
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Auteur de bandes dessinées pour adultes et adolescents, dessinateur pour divers journaux, illustrateur de livres pour la jeunesse, Gilad Selitkar, 37 ans, enseigne aussi la communication graphique à Betzalel, l’école israélienne des beaux-arts. Si lorsqu’il écrit et dessine pour les enfants, il montre un monde doux et harmonieux, avec son public adulte, l’artiste s’expose plus et met en avant des thèmes beaucoup plus intimes et personnels. Commencé avant l’été 2012, l’auteur y raconte son monde bousculé au moment de l’appel de mobilisation d’urgence, «Tsav 8» (Editions çà et là). Un roman graphique qu’il retravaillera après l’opération Pilier de défense (novembre 2012), et qui, ironie du sort, sortira en français peu après l’opération Bordure protectrice à Gaza en été 2014. Israpresse a rencontré ce dessinateur prêt à tout quitter pour remplir son devoir, sans mettre de côté son talent d’artiste .
IsraPresse : Comment êtes-vous arrivé dans le monde de la bande dessinée, quelles ont été vos inspirations ?
Gilad Seliktar : Enfant, j’avais beaucoup d’imagination et je cherchais toujours des histoires intéressantes. Cela a commencé avec les livres pour enfants très présents chez nous, cela a continué avec l’introduction du magnétoscope qui a ouvert les portes de l’animation du monde entier et enfin la bande dessinée à laquelle j’ai été exposé dans les magazines pour adolescents. Dans les années 80, il y avait peu de bandes dessinées en Israël, j’y étais donc exposé par les journaux. Heureusement cette période était florissante et les meilleurs créateurs ont posté des planches dans les magazines pour enfants et adolescents, alors j’achetais et collectionnais chaque journal où il y avait une bande dessinée, avant de créer mes propres histoires.
Je me suis concentré sur les travaux de Ouri Fink alors très en vue et publié dans tous les journaux, de Michel Kischka (dessinateur israélo-belge, NDLR) qui a apporté la sensibilité européenne. De plus, ma sœur aînée Galit collectait pour moi des œuvres de Doudou Gueva (célèbre illustrateur israélien, NDLR) publiées dans les quotidiens.
Il y avait aussi des bandes dessinées traduites et publiées en hébreu, «Les Schtroumpfs», «Astérix» et «Tintin» mais il n’y avait pas de continuité et il était impossible de savoir si et quand le prochain livre serait traduit.
Lorsque j’ai commencé à lire en anglais, découvrir des comics très différents m’a influencé comme «Calvin et Hobbes» de Bill Watterson et les brochures de MAD. On peut dire que j’ai appris à lire en anglais pour pouvoir lire des bandes dessinées étrangères.

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Tsav 8, extrait

 

IP : «Tsav 8» (littéralement «Ordre n°8») soulève un moment très israélien dans la vie du pays, être mobilisé immédiatement en urgence en cas de guerre. Que pouvez-vous nous dire concernant les critiques de la version française de l’ouvrage ?

Gilad Seliktar : Les critiques françaises étaient très bonnes. La guerre dont je parle dans le livre est le fond de ma vie ici en tant qu’artiste, et c’était ma réaction. Il y a eu quelques critiques qui s’attendaient à ce que le conflit et la guerre prennent une plus grande place, mais la majorité a compris et accepté l’approche de l’ouvrage.
L’album a été nommé au nom du document militaire mobilisant en cas de guerre et lorsque je l’ai suggéré, l’éditeur a beaucoup aimé, mais quand nous avons vérifié, il n’y avait pas de traduction satisfaisante de «Tsav 8» en français, il n’y a rien de tel dans une langue différente, pas de traduction car cela n’existe simplement pas. Au début, cela m’a surpris et j’ai eu du mal à garder le nom brut en français, mais avec le temps je me suis habitué. Par ailleurs, il semblait logique que dans notre pays, il y ait une ordonnance qui nous annule en tant qu’individu et nous englobe dans un ensemble en un instant, quelque chose de très israélien, et apparemment immuable.

Tsav 8, extrait
Tsav 8, extrait

IP: Contrairement à votre précédent livre, «Ferme 54» (Editions çà et là, 2008), que vous avez écrit avec votre sœur Galit, «Tsav 8» est uniquement le vôtre. Pourquoi ?
Gilad Seliktar : «Tsav 8» est très intime et je n’aurai pas pu le créer avec un autre écrivain. Cet album raconte le passé et le présent dans ma vie d’un point de vue très personnel. J’ai travaillé sur le livre pendant cinq ans, et le temps est devenu un élément-clé dans le livre, ce qui a en également influencé la trame pendant sa création.
L’intrigue est basée sur mon service de réserve routinier dans lequel je distribuais l’ordre de «Tsav 8» à des soldats réservistes injoignables par téléphone.
L’opération Pilier de défense à Gaza en novembre 2012 a donné un contexte complètement différent à mon service de réserviste que je remplissais jusque-là et qui était l’histoire que j’écrivais. Cette fois, on m’a appelé au milieu de la nuit en urgence par Tsav 8, et tout s’est figé, je me suis arrêté de travailler sur le livre et suis allé remplir mon devoir de réserve, distribuer des ordres sous les bombes. Lorsque je suis retourné en studio après quelques jours, en regardant les pages griffonnées, l’histoire n’était plus la même, elle a commencé à changer en temps réel en fonction de mon expérience, et alors que des milliers de missiles tombaient partout dans le pays. Je me suis retrouvé en guerre intérieure en tant qu’artiste, et je me suis posé des questions sur l’appartenance et le contrôle de la création, le contrôle de moi-même et mon destin en tant que soldat réserviste.
IP: L’album contient relativement peu de dialogues. S’exprimer par le dessin est-il plus important pour vous ?
Gilad Seliktar : Dans la bande dessinée, la combinaison entre texte et image crée un sens supplémentaire que je tente de connecter de différentes manières. Sur les pages sans texte, les illustrations et sa narration racontent la même histoire qui serait apparue dans le texte. C’est une décision d’introduire un récit à des rythmes différents.
Je m’inspire beaucoup du cinéma où il y a aussi une bande sonore qui accompagne le film. Dans la bande dessinée, j’ai la couleur et la ligne, puis la décision d’abandonner le texte et dessiner seulement ce qu’il décrit emmène l’histoire ailleurs et lui donne une autre dimension.
Tsav 8, extrait
Tsav 8, extrait

IP : Quels sont vos prochains projets ?
Gilad Seliktar : Pour le moment, je m’occupe d’une nouvelle édition de la version hébreu de «Tsav 8» et travaille à mon prochain livre, une comédie noire qui traite de la vie d’une famille qui rencontre des difficultés financières à un moment critique de leur vie. Je continue également de développer et illustrer des travaux autobiographiques de littérature pour la jeunesse et des livres pour enfants.
Propos recueillis par Nelly Ben Israël
http://www.israpresse.net/tsav-8-lappel-de-la-guerre-dans-la-vie-dun-artiste/

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